L'accès aux soins partout, pour toutes et tous


Thème : Santé


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Depuis plusieurs décennies, une combinaison de facteurs démographiques et de politiques publiques, soit inadéquates, soit manquant de volontarisme, a entraîné une augmentation continue de la désertification médicale. Concomitamment, la France connaît une baisse de sa densité démographique médicale et une augmentation des besoins en soins, notamment due à la transition démographique. Ainsi, une partie croissante de la population peine à organiser son parcours de soins : 30,2 % de la population vit dans ce que l’on appelle aujourd’hui communément un « désert médical » et plus de 6 millions de personnes n’ont pas de médecin traitant.

La situation française varie en fonction des territoires et ces inégalités s’accentuent : depuis 2012 les départements qui ont gagné des praticiens sont ceux qui étaient déjà les plus avantagés.

Ces difficultés, qu’elles soient liées à l’absence de médecins de proximité, au manque de spécialistes, à la fermeture de lits à l'hôpital ou des services d’urgence, produisent les mêmes effets, une baisse dramatique de la qualité des soins, et surtout la fin de l’égalité d’accès aux soins. L’accès aux soins est bien multifactoriel : l’emplacement géographique est crucial mais à l’heure de la financiarisation du système de médico-social, la composante financière devient un frein croissant pour les personnes malades. Ainsi, vivre dans une zone médicale sous-dense multiplie par deux le taux de renoncement aux soins. Un renoncement qui est multiplié par huit lorsque vivre dans une zone sous-dotée s’ajoute à une « pauvreté en conditions de vie », selon la DREES.

C’est ainsi que la promesse d'égalité d'accès à la santé, au cœur de notre modèle social, est brisée pour de nombreux citoyens.

Ainsi, face à ces inégalités inacceptables et attachés à la défense du service public de la santé pour tous, partout sur notre territoire, les sénateurs du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain ont mené de nombreuses auditions - associations, élus, soignants, syndicats…- qui ont nourri leur réflexion et permis de formuler des propositions pour répondre à cette problématique cruciale pour l’ensemble de nos concitoyens.

Pour répondre à l’urgence médicale de nos concitoyens, nous devons offrir de nouveaux outils pour les territoires. Beaucoup se sont d’ores et déjà mobilisés face au désarroi quotidien des administrés, toutefois leurs leviers d’actions ne sont pas toujours adaptés. Ainsi, nous constatons que beaucoup de politiques publiques globales d’incitations à l’installation se révèlent inefficaces, alors que nous ne disposons pas d’outils pour mesurer précisément les besoins. Il s’agirait donc de développer ces indicateurs d’évaluation et de conditionner les aides à des objectifs précis d’amélioration de l’accès aux soins à long terme en zone sous-dense, afin d’augmenter le caractère dissuasif du non-respect des obligations attachées à l’octroi de ces aides. Pour adapter les réponses aux besoins spécifiques de chaque territoire, il est nécessaire de redéfinir le cadre juridique d’intervention des collectivités territoriales en matière de politique publique de santé afin de reconnaître le rôle crucial qu’elles jouent déjà et qui a été valorisé pendant la pandémie Covid 19.

L’exercice des professions médicales doit évoluer pour répondre aux besoins de la population. Il s’agit donc de rétablir l’obligation de participer à la permanence des soins ambulatoires (PDSA) pour les médecins généralistes dans les territoires où la continuité des soins n’est pas assurée, tout en limitant l’installation des médecins libéraux dans les territoires déjà bien dotés – certes de moins en moins nombreux. L’adoption d’un tel principe de conventionnement sélectif des médecins libéraux apparaît comme un prolongement indispensable des dispositifs d’incitation à l’installation dans les zones sous-dotées et ne fait qu’étendre un modèle de régulation à l'installation qui existe déjà pour plusieurs autres professionnels de santé (pharmaciens, infirmiers, masseurs-kinésithérapeutes, sage-femmes, chirurgiens-dentistes, orthophonistes). Aussi, nous devons développer l’initiative du temps partagé médical, qui crée un relais court de nombreux médecins dans des centres médicaux en zone sous-dotées. Enfin, nous souhaitons ajouter plus de flexibilité dans l’exercice, en développant l’exercice mixte de la médecine générale par le développement des partenariats entre la ville et l’hôpital.

Par ailleurs, et c’est l’objet de notre proposition de loi déposée le 13 mars 2025, il est urgent de mobiliser des professionnels déjà présents et qui ne demandent qu’à pouvoir exercer : les Padhue, médecins diplômés en dehors de l’Union européenne. Leur présence est cruciale au fonctionnement de nos hôpitaux de proximité et des CHU, car ils représentent près de 7% des médecins actifs en France. Pourtant, les modalités de reconnaissance de leurs diplômes sont strictes, longues et illisibles et les obligent à travailler avec un statut précaire et peu de rémunération. Nous proposons donc que les médecins exerçant en France depuis deux ans soit dispensés d’épreuves suite à un avis favorable de leurs encadrants.

Les évolutions des professions médicales doivent aussi s’inscrire dans un temps plus long pour réformer en profondeur l’exercice de la médecine générale en France et favoriser une installation des médecins généralistes plus équilibrée sur le territoire. Ces réformes s’articulent autour de deux axes : favoriser la coopération entre les professionnels de santé et réformer la formation de médecine générale pour diversifier les profils et ainsi diversifier les choix d’installation.

A moyen-terme, la libération du temps médical, la valorisation des compétences des acteurs de santé, ainsi que l’organisation coordonnée des soins sont autant de leviers pour répondre à ces enjeux. En premier lieu, pour lutter contre le détournement du temps médical vers les tâches administratives, l’accent doit être mis sur la formation et le recrutement d’assistants médicaux. De même, le développement de l’exercice coordonné en équipe de soins pluriprofessionnels de premier recours participerait à la libération du temps médical. Ce modèle, reposant sur une collaboration étroite entre les professionnels médicaux, paramédicaux et les fonctions administratives et de coordination, est une solution clé pour la restructuration des soins primaires en France, tant dans les zones rurales qu’urbaines. En réduisant l’exercice isolé, il est possible de mieux structurer les parcours de soins, de libérer du temps médical et d'améliorer ainsi l'accès aux soins ainsi que la qualité des prises en charge.

Aussi, alors que la proposition de loi sur le métier infirmier est (enfin !) examiné par le Parlement, nous souhaitons insister sur le développement de la profession d’infirmières en pratique avancée (IPA), disposant de compétences élargies, se situant à l’interface entre l’exercice infirmier et l’exercice médical. Avec l'accord des patients, ils prennent en charge ceux qui leur sont confiés par un médecin au sein de l’équipe de soins, selon un protocole d’organisation prévoyant les modalités de collaboration. Dans cette perspective, nous proposons d’augmenter à la fois les rémunérations des IPA et les aides durant la formation, afin de rendre ce métier plus attractif et de faciliter l’accès à la formation pour les infirmiers souhaitant évoluer vers cette pratique.

Pour continuer à faciliter l’exercice en zone sous-dense, l’installation doit être accompagnée, et c’est l’objectif des guichets uniques départementaux. Car le manque de clarté des processus actuels constitue un frein significatif, surtout dans les zones sous dotées, où le soutien administratif fait souvent défaut. Ce modèle prouve que des actions concertées et bien pilotées peuvent inverser la tendance de la désertification médicale, comme en témoignent les chiffres encourageants du département des Pyrénées Atlantiques (+2% de médecins généralistes installés entre 2021 et 2022).

A plus long-terme, jusqu’à une échelle décennale, la formation de professionnels de santé est la clé de la densité médicale. Des années de numerus clausus ont appauvri notre territoire, tout comme la dureté de ces études qui détourne beaucoup d’étudiants de professions dont ils ont un jour rêvé. Les gouvernements successifs ont réagi trop tard et trop faiblement : la réforme en faveur d’un numerus apertus n’a que timidement augmenté le nombre de places disponibles car aucun moyen supplémentaire n’a été accordé aux facultés et établissements partenaires. Notamment, le nombre de maîtres de stage est largement insuffisant. Aussi, rien n’est fait pour lutter contre les disparités entre spécialités médicales. A titre d’exemple, le nombre de médecins généralistes a diminué de 11 % entre 2010 et 2022. De la même manière, le nombre de dermatologues a chuté de 19 %, de gynécologues médicaux de 17 %, et de psychiatres de 6 %. Enfin, et c’est un phénomène commun à l’ensemble des professions de santé, aucune réflexion n’est entamée sur la qualité de ces études, qui connaissent des taux d’abandon et des taux de suicides très élevés. La précarité des statuts d’étudiants en santé et en travail social n’est pas traitée.

Les difficultés d’accès aux études de soins doivent faire l’objet d’un travail approfondi pour assurer l’ouverture de ces études aux jeunes issus de milieux ruraux, ultramarins et défavorisés. Le modèle de prépa privé doit être réguler pour supprimer ce frein majeur à l’accessibilité financière. Par ailleurs, le développement d’antennes d’enseignement délocalisées abattrait une barrière géographique pour les premières années d’études. Aussi, généraliser le développement d’une spécialité santé permet de créer des vocations et de lutter contre l’auto-censure, tout en proposant un soutien dans les matières scientifiques nécessaires à ces études. Enfin, il faut faciliter le retour d’étudiants français partis entamer leurs études à l’étranger et souhaitant revenir les finir en France.

Un dispositif de subvention de la formation médicale existe déjà et doit être renforcé. En effet, le CESP (Contrat d’Engagement au Service Public) a été créé en 2010 dans l’objectif d’assurer une meilleure répartition des professionnels de santé sur l’ensemble du territoire et de permettre un accès aux soins pour tous, en fidélisant les jeunes médecins dans des spécialités et des zones sous-denses où la continuité des soins est menacée. Le CESP permet aux étudiants en médecine de percevoir une rémunération brute mensuelle de 1200 euros pendant leurs études, sous condition d’engagement à exercer dans une zone sous-dense pendant un nombre d’années qui équivaut au versement de cette rémunération. Ce dispositif innovant souffre pourtant de lacunes majeures, notamment l’absence de suivi des étudiants engagés dans un CESP, alors que l’accompagnement vers un projet professionnel est clé pour la réussite. Aussi, il doit être élargi à d’autres professions.

Enfin, il a été démontré que les professionnels s’installent majoritairement là où ils ont été formés ou dans leur région d’origine. Il est donc crucial de permettre aux internes de réaliser leurs stages de manière libre et inciter à les effectuer en zone sous-dense. Au-delà de l’installation, une telle démarche permet de déconstruire des préjugés sur les milieux rural, ultramarin et défavorisés et les spécificités médicales des habitants. Or, la majorité des stages se déroulent dans les CHU des grandes villes, limitant ainsi le contact des étudiants à la réalité des cabinets de médecine générale en zones sous-dotées. Cette situation freine l’émergence de vocations et constitue un obstacle à l’installation des jeunes médecins dans ces régions. Les zones rurales et périurbaines sont souvent perçues comme peu attractives, en partie en raison du profil sociologique des médecins, généralement issus de milieux urbains et favorisés.

Or les incitations actuelles à la diversification des lieux de stages sont principalement financières et matérielles, avec un succès limité. Ces mesures ignorent les facteurs sociaux et créent des effets d’aubaine sans assurer la stabilité des installations à long terme. Il convient donc de mettre en place des conditions d’accueil propices à la réalisation de ces stages en dehors des CHU. Internat rural, stages en ambulatoires en amont, accompagnement sur place : les solutions sont nombreuses.

L’enjeu des stages en zones rurales est d’autant plus prégnant pour les internes en médecine générale. Dans ce cadre, la création d’une quatrième année d’internat semblait vouloir pourvoir cette expérience. La réforme de l’internat en médecine générale, introduisant une quatrième année, a été votée dans le cadre de la LFSS 2023 (article 37), avec un arrêté publié le 3 août 2023. Cette nouvelle maquette de formation est en vigueur depuis la rentrée universitaire 2023-2024, et les premiers étudiants entreront en 4e année à la rentrée 2026-2027. Pourtant, alors que l’échéance approche, les décrets d’application ne sont pas encore parus. De nombreuses modalités restent flous : les modalités de rémunérations, le cadre d’accompagnement de ces docteurs juniors, le choix des lieux d’exercice. Le contenu pédagogique de cette année supplémentaire reste également à préciser. Il est urgent d’apporter des réponses à aux internes. Par ailleurs, face aux multiples propositions de lois favorables à la régulation de l’installation des médecins, la Conférence des doyens, l’Ordre et plusieurs syndicats étudiants soutiennent la création d’un assistanat territorial pour les jeunes médecins thésés. Ce contrat volontaire, d’un ou deux ans, se ferait en échange de plusieurs contreparties, dont l’accès au secteur 2 au bout d’un an ou deux. De même, il est nécessaire d’entamer la réflexion sur l’allongement de la formation d’infirmière.

 

En conclusion, le groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain au Sénat propose d’appliquer au plus tôt des mesures d’urgences telles que :

  • L’obligation de participation à la permanence des soins
  • Etendre la régulation à l’installation aux médecins
  • Favoriser la régulation administrative des Padhue
  • Développer les formes mixtes d’exercice de la médecine générale
  • Développer le « temps partagé médical » pour établir le principe de la solidarité territoriale
  • Réformer le rôle et les compétences des collectivités territoriales dans la lutte pour l’accès aux soins
  • Evaluer et conditionner les aides à des objectifs précis d’amélioration de l’accès aux soins à long terme en zone sous-dense
  • Libérer du temps médical, par le recrutement d’assistants médicaux et en favorisant le développement de l’exercice coordonné en équipe de soins pluriprofessionnels de premier recours
  • Développer la profession d’infirmière en pratique avancée (IPA)

Réformer les formations en santé pour y faciliter l’accès pour toutes et tous, peu importe leurs origines sociales ou géographiques

 


Contributeurs :

Annie LE HOUEROU- Sénatrice des Côtes d'Armor,
Emillienne POUMIROL- Sénatrice de Haute-Garonne,
Marion CANALES- Sénatrice du Puy-de-Dôme,
Christophe CHAILLOU-Sénateur du Loiret,
Jean-Luc FICHET-Sénateur du Finistère,
Monique LUBIN-Sénatrice des Landes,
Nicole BONNEFOY - Sénatrice de Charente,
Hervé GILLE - Sénateur de Gironde,
Laurence HARRIBEY - Sénatrice de Gironde,
Serge MERILLOU - Sénateur de Dordogne,
Jean-Jacques MICHAU - Sénateur de l'Ariège,
Franck MONTAUGE - Sénateur du Gers,
Corinne NARASSIGUIN - Sénatrice de Seine-Saint-Denis,
Simon UZENAT - Sénateur du Morbihan,
Adel ZIANE - Sénateur de Seine-Saint-Denis


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