L’Art confisqué : plaidoyer pour une véritable émancipation culturelle.


Thème : Culture, art contemporain et émancipation populaire.


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Camarades,
Depuis plusieurs décennies, nous proclamons notre filiation au mouvement ouvrier, au Siècle des Lumières et à l’universalisme républicain. Nous nous disons fidèles à la Culture, à l’Art et à l’Esprit, mais ces vertus deviennent chimériques si nous ne les arrimons pas à la critique la plus lucide de notre temps. Car il ne s’agit plus, aujourd’hui, d’une simple « économie de marché » : c’est une économie de rente qui règne, et cette rente a conquis le champ artistique avec une brutalité redoutable.

Nous le constatons dans le secteur de l’art contemporain, désormais sous la coupe d’oligopoles financiers, parmi lesquels figurent en bonne place des puissances telles que BlackRock, qui étendent leur emprise sur l’imaginaire collectif. Les grands noms de la finance, véritables rentiers de la spéculation culturelle, transforment artistes et œuvres en simples produits boursiers, calibrés pour prospérer dans le grand jeu de l’offre et de la demande. Ils masquent leur domination derrière un discours d’ouverture et de liberté, mais leur mainmise est palpable et avilissante.

Où est, dès lors, notre courage politique ? Où sont les voix socialistes qui dénoncent la montée en puissance de ces géants financiers, capables d’imposer ce que nous devons admirer ou acquérir, de décider quel créateur sera adoubé et lequel restera dans l’ombre ? L’art, pourtant, devrait nous libérer : il se retrouve ligoté à des stratégies spéculatives, devenant un levier de rente que l’on exhibe dans les salles de vente et les musées contrôlés par les mêmes intérêts.

Que dire également de ce néo-expressionnisme que certains investisseurs — au premier rang desquels BlackRock — promeuvent comme la dernière coqueluche du marché ? Derrière les couleurs éclatantes et les gestes audacieux, trop souvent la provocation est un simulacre : vite absorbée par les circuits financiers, elle perd toute vigueur subversive. Ceux qui s’y opposent, ou qui refusent d’entrer dans ces réseaux d’influence, se voient refuser l’accès aux grandes galeries et aux subventions.

Camarades, n’est-il pas urgent de désigner clairement cette confiscation ? Nous ne sommes plus dans une concurrence « libre et non faussée » — illusion depuis longtemps éventée — mais sous la coupe d’un capitalisme de rente où les profits artistiques s’agrègent à des logiques d’accaparement qui sévissent aussi dans le logement, la santé ou l’éducation.

Ce système engendre un entre-soi où l’on choisit les « élus » — non pour la force de leur création, mais selon des affiliations opaques, des cercles fermés, où le népotisme figure en maître de cérémonie. Les portes s’ouvrent à certains noms et se ferment à d’autres, relégués à une marginalité silencieuse. Loin des projecteurs, des créateurs talentueux, libres et authentiques, peinent à survivre, tandis que des esthétiques jugées « vendeuses » triomphent dans un tapage médiatique savamment orchestré.

On a voulu, sous prétexte de démocratisation, prétendre que n’importe qui, sans maîtrise ni don, pouvait se parer du titre d’artiste. Pendant ce temps, les financiers, en coulisses, se félicitent de ce relativisme qui gonfle la bulle spéculative : l’abstraction, le conceptuel, le spectaculaire, tout est bon pour nourrir le divertissement et le profit. Mais l’art, dans ce tourbillon, s’étiole en marchandise.

Il ne s’agit pas de vouer aux gémonies les formes nouvelles, ni de regretter un âge d’or révolu. Il s’agit de dénoncer la captation insidieuse du pouvoir de créer par des logiques de rente et d’exclure les artistes qui ne rentrent pas dans les cases officielles. Il s’agit de questionner cette hiérarchie imposée qui consacre de supposés « maîtres », quand d’autres, moins dociles, se trouvent rejetés. On érige en « totems » des courants bien commodes pour le marché (et le néo-expressionnisme en est un exemple flagrant), tandis que s’éteignent, dans la discrétion, d’authentiques sources d’innovation et d’imaginaire populaire.

Et qu’en est-il du Parti socialiste ? Ce parti, jadis héritier d’un idéal d’émancipation, n’a-t-il pas la charge de défendre celles et ceux qui créent en marge des grandes multinationales ? De se lever contre le monopole des musées et des lieux d’exposition souvent pilotés, de près ou de loin, par l’establishment financier ? Trop souvent, nous persistons à alimenter ces mêmes réseaux, parce qu’il est plus aisé de suivre la notoriété du moment que de parier sur la diversité des expressions artistiques et la vitalité des initiatives indépendantes.

Souvenons-nous qu’il n’en a pas toujours été ainsi. Au temps du Front populaire de 1936, l’accès de toutes et tous à la culture était considéré comme un levier d’émancipation collective, et l’on innovait avec des ciné-clubs, des bibliothèques de quartier, des associations de pratique artistique. Plus tard, on a vu naître les Maisons de la Culture ou le Festival d’Avignon, qui cherchaient à rendre les arts vivants à un public élargi, loin de tout rentier culturel.

Voilà l’exemple qui doit nous inspirer. À l’heure où la finance internationale et son bras armé, BlackRock, investissent massivement l’art — tout comme ils ont investi le logement, la santé, l’éducation —, il incombe au Parti socialiste de reprendre le flambeau de la lutte contre l’économie de rente. Nous devons :

1. Nommer et dénoncer sans ambiguïté les collusions entre finance et monde de l’art, notamment l’emprise de BlackRock et autres géants spéculatifs.
2. Proposer un plan ambitieux pour l’émancipation culturelle, en soutenant la création véritable, hors des réseaux d’influence, et en rouvrant l’espace public à l’art populaire et indépendant.
3. Redonner sens à l’exigence artistique, en rappelant qu’un art fort procède d’une confrontation exigeante avec la technique, la forme, l’histoire, et ne se réduit pas à un effet de mode.
4. Instituer une transparence culturelle, par le contrôle démocratique des budgets, la mise en place d’instances délibératives ouvertes, et une rotation des comités de sélection pour briser tout népotisme.
5. Relancer l’éducation populaire, pour que chaque citoyen acquière les clés de compréhension et de pratique de l’art, contre la dictature de l’argent qui réduit le public à un consommateur passif.

Camarades, c’est ainsi que nous pourrons, dans la plus pure tradition républicaine et socialiste, honorer l’héritage de ceux qui ont jadis lutté pour faire de la culture un véritable outil d’émancipation. Il ne s’agit pas de s’indigner seulement quand survient l’opprobre d’un groupuscule extrémiste. Il s’agit de nous engager pleinement contre cette économie de rente qui confisque les biens communs et, parmi eux, l’imaginaire créateur de l’humanité.

Si nous voulons encore mériter le titre de socialistes, ne laissons pas l’art devenir le jouet d’une finance triomphante. Ne réduisons pas la culture au rang de vitrine pour des « valeurs » creuses. Osons, au contraire, renouer avec l’esprit d’un Front populaire qui voyait dans la beauté un chemin vers la dignité. Osons élever, au cœur de notre projet politique, ce combat pour une création affranchie de l’argent-roi et pour la reconquête d’un art vraiment libérateur.

#PourUneNouvelleRenaissanceEnEurope
Puissions-nous, avec le courage et la clarté que requiert l’époque, briser le silence, pointer du doigt les dominations, et redonner à l’art sa vocation la plus haute : celle d’éveiller les consciences, de nourrir la critique et de proposer, à tout un peuple, un horizon de liberté et de lumière.


Contributeur : Pierre-Henri N'simba-Delezay (membre de la section du Pré-Saint-Gervais [Seine-Saint-Denis - 93])


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