– Mardi 3 mai 2022
Yannick Trigance
Conseiller régional Île-de-France
Secrétaire national à l'École, l'Éducation et à l'Accès aux savoirs
Le Ministre Blanquer vient de publier un bilan particulièrement élogieux de son action au Ministère de l’Éducation nationale depuis 2017. Les premières phases de son édito plantent le décor et, depuis la rue de Grenelle, règlent une fois pour toutes le débat sur son bilan :
« Rehausser le niveau général et lutter contre les inégalités sociales : tels étaient les deux objectifs que nous affichions dès 2017… Depuis, tous ces engagements ont été tenus et même dépassés. »
Ce bilan d’autosatisfaction ne résiste pas à la réalité de l’état dans lequel, de la maternelle à l’Université, le Ministre Blanquer laisse notre École publique au sortir d’un quinquennat de régression, de gestion autoritariste, de pratique verticale du pouvoir caractérisée par l’implacable technique du fait accompli consistant à contourner l’ensemble des corps intermédiaires que sont les associations de parents d’élèves, les syndicats enseignants, les élu·e·s, les acteurs de l’éducation populaire….
Car rappelons-le, en matière de lutte contre les inégalités, le Ministre aura commencé son quinquennat en supprimant la réforme des rythmes scolaires qui, au-delà de ses imperfections, garantissait à tous les élèves cinq matinées de cours hebdomadaires ainsi que l’accès gratuit à des pratiques artistiques, culturelles et sportives : un renoncement assumé dans la lutte contre les inégalités entre les élèves.
De la même manière, l’abandon de la réforme du collège qui visait notamment à remettre de la mixité sociale dans les établissements et à proposer une seconde langue à tous les élèves dès la classe de cinquième aura marqué un recul dans la recherche de démocratisation de la réussite et de l’égalité des possibles pour tous les élèves.
Et que dire des réformes du lycée et du baccalauréat, à l’origine d’une concurrence accrue entre les élèves et les établissements pour le choix des options, qui portent atteinte au caractère national du baccalauréat, de ses épreuves et qui aggravent les inégalités devant l’orientation et la poursuite des études ?
Au milieu de l’avalanche de données chiffrées publiée dans le bilan ministériel pour mieux démontrer que le « budget a accompagné les efforts nécessaires », le ministre oublie toutefois de rappeler que sous son quinquennat, ce sont près de 8 000 postes qui ont été supprimés dans le second degré, soit l’équivalent de 166 collèges, quand dans le même temps, l’accroissement continu du nombre d’élèves – 3 % par classe entre 2017 et 2021 dans les lycées – a eu pour résultat une moyenne d’effectifs de plus de 30 élèves par classe !
Au risque de ternir ce bilan laudateur, on retiendra avec scepticisme l’assertion du ministre pour qui « les résultats en français et en mathématiques des élèves de l’école primaire sont en nette amélioration sous l’effet de diverses mesures, en particulier pédagogiques », assertion non confirmée par les évaluations internationales.
Outre le fait que le Ministre a créé son propre outil d’évaluation ministériel de la maternelle au lycée, on rappellera qu’à ce jour l’efficacité du dispositif de dédoublement des classes de CP et CE1 à 12 élèves – véritable « étendard » ministériel – reste encore très largement à démontrer contrairement au dispositif « plus de maîtres de classes » supprimé par le ministre dès son arrivée en 2017, dispositif plébiscité en son temps par les équipes éducatives.
L’évaluation du système éducatif a en effet été placée sous la coupe ministérielle avec la suppression du CNESCO (Conseil National d’Evaluation du Système Scolaire), instance indépendante remplacée par le Conseil d’Évaluation de l’École dont la majorité des membres dépendent directement ou indirectement… du ministre lui-même.
Complétant cette conception particulièrement injonctive, voire intrusive de la gouvernance, la mainmise ministérielle aura impacté jusqu’à la liberté pédagogique des enseignants via la diffusion de guides – « petits livres orange » –, caricature s’il en est d’une conception descendante et réductrice de la « formation » des enseignants.
Mais au final, l’aveuglement de Jean-Michel Blanquer ne résiste ni au vécu, ni au ressenti des équipes éducatives : toutes les enquêtes montrent le rejet massif de la politique ministérielle chez les enseignants comme chez les personnels de direction et d’inspection.
En concluant son édito par la phrase suivante : « les sillons ainsi tracés méritent d’être approfondis et complétés au service de notre pays et de chacun de ses enfants », le Ministre Blanquer persiste jusqu’au bout dans le déni d’un quinquennat d’hyper-fragilisation de notre école en termes de moyens, de caporalisation des personnels, de dévalorisation de leur fonction et d’aggravation des inégalités entre les élèves et les établissements.
Une politique néolibérale, une logique de marché appliquée à l’École que le Président Macron compte bien amplifier lors de ce second quinquennat.