Thème : Education
Parmi les dossiers remisés au fond des placards de la rue de Grenelle depuis l’arrivée d’Emmanuel Macron en 2017, celui de l’éducation prioritaire occupe une place conséquente avec de surcroît une succession de ministres qui se sont bien gardés de remettre sur la table des discussions la révision de cette politique publique, levier pourtant essentiel dans la lutte contre les inégalités.
Pour les socialistes, cette question de l’éducation prioritaire ne peut être esquivée tant elle conditionne le droit à la réussite de tous les enfants, notamment ceux issus des milieux les plus défavorisés, partout sur le territoire de la République.
Notre Congrès nous donne l’occasion de remettre sous les feux de l’actualité éducative l’urgente nécessité de cette question qui renvoie très directement au type de société que les socialistes veulent promouvoir.
Une mesure historiquement socialiste
Mise en place par les socialistes en 1981 sous l’égide d’Alain Savary alors ministre de l’Education nationale et initialement destinée à renforcer les moyens attribués au service public de l’éducation dans des territoires et établissements scolaires les plus en difficultés, cette politique d’éducation prioritaire visait également à contrebalancer l’effet des inégalités sociales et culturelles face aux écarts grandissant entre les écoles et établissements concentrant des élèves issus de milieux sociaux favorisés et ceux concentrant des élèves issus de milieux sociaux défavorisés.
Fondée sur une labellisation des écoles et collèges dans des zones dites « prioritaires », ce dispositif, n’en déplaise aux conservateurs de tous bords, a permis de limiter l’aggravation du taux d’échec scolaire dans ces territoires.
Révisée en 2013-2014 avec l’inscription d’objectifs précis – dont celui de la mixité sociale – dans l’article L.111-1 du Code de l’éducation –, l’éducation prioritaire se devait notamment de réduire de 10% les écarts entre les élèves scolarisés en éducation prioritaire et ceux scolarisés hors éducation prioritaire concernant la maîtrise des compétences de base en français et en mathématiques.
La situation aujourd’hui
Dix années plus tard, convenons que ce dispositif n’apparaît plus comme « prioritaire » aux yeux des responsables politiques qui, au plus haut niveau de l’Etat, s’ingénient systématiquement à en repousser la révision et donc la modification.
Et pourtant : à la rentrée 2023, un collégien sur cinq était scolarisé en éducation prioritaire – 7.3% dans un collège réseaux d’éducation prioritaire renforcée (REP+) et 14.2% dans un collège d’éducation prioritaire (REP)- avec un surcoût financier évalué à 22% par élève de REP+ et à 14% pour un élève de REP.
Si ces montants -1,9 Mds d’euros de budget en 2023, budget qui n’a pas augmenté depuis 2017 et qui représente seulement 2,4% de la dépense publique de l’éducation en France- peuvent amener les opposants habituels à décrier l’efficacité de cette politique publique au regard de l’évolution de la situation, il convient d’abord et avant tout de définir politiquement les décisions à prendre pour, enfin, reconsidérer et réorienter ce dispositif et mieux coller ainsi à la réalité des territoires.
Ceci nous amène à réaffirmer que la politique d’éducation prioritaire reste indissociable d’une politique globale pour les quartiers en difficulté : or, si l’Ecole peut beaucoup, elle ne peut tout régler et constitue plus que jamais le miroir de l’environnement dans lequel elle évolue : les problématiques de logement, de santé, d’accès au sport, à la culture, et plus généralement aux services publics, ne sont pas neutres dans le processus de réussite éducative, loin s’en faut.
Par ailleurs la politique de l’éducation prioritaire reste aujourd’hui encore une politique essentiellement territoriale avec des conséquences parfois problématiques. Elle bénéficie en effet à seulement 30% des élèves défavorisés vivant sur les territoires des réseaux prioritaires : quid alors des 70% d’élèves défavorisés en dehors de ces réseaux ?
Quid également des établissements situés juste au-dessus des seuils et qui ne disposent donc pas d’aide spécifique alors que leurs publics scolaires sont souvent en difficultés ? Qu’en est-il des lycées aujourd’hui en dehors des dispositifs ?
Des rapports qui donnent des pistes
Un rapport de la Cour des Comptes d’octobre 2018 sur la politique en matière d’éducation prioritaire devrait apporter des éléments de bilan permettant de tracer des pistes quant à la nécessaire évolution de ce dispositif pour mieux l’adapter à la réalité de nos territoires et pour garantir le principe républicain du droit à la réussite pour chaque jeune, à l’opposé de la suppression des REP que proposaient Nathalie Elimas et Jean-Michel Blanquer en 2020.
A rebours de celles et ceux qui s’acharnent à dénoncer la faillite de cette politique d’éducation prioritaire, le rapport reconnaît son utilité et ne parle à aucun moment « d’échec », bien au contraire : la situation serait plus préoccupante encore si les moyens n’avaient pas été investis, quand bien même les effets de cette politique restent insuffisants, notamment au regard des sommes investies (2,3 milliard d’euros en 2023 pour environ 20% des élèves scolarisés en éducation prioritaire).
C’est d’ailleurs en ce sens, ce que ne précise pas le rapport qui ne traite pas la période 2016-2018, que les moyens ont été concentrés en 2015 sur la question des effectifs enseignants, de leur rémunération et de leur formation, réforme menée par Najat Vallaud-Belkacem et qui avait fait l’objet d’une large concertation, d’une mise en œuvre progressive avant d’être généralisée en 2016 sur la base d’orientations particulièrement volontaristes : nouvelle cartographie, scolarisation des moins de trois ans, dispositif « plus de maîtres que de classes », allègement du service d’enseignement pour dégager du temps de travail en équipe.
Ce rapport de la Cour des Comptes souligne également avec justesse l’impact de la dégradation des conditions de scolarisation en partie indépendantes de l’école elle-même et rappelle notamment que « ces dispositifs ne sont pas pensés pour remédier à une ségrégation socio-spatiale aussi forte qu’elle ne l’est aujourd’hui, à laquelle se greffe une ségrégation scolaire sans précédent », ce qui explique pour partie le développement de « l’effet label», à savoir l’évitement des établissements REP et REP+ particulièrement répandu dans les catégories sociales favorisées.
C’est ainsi que selon un rapport remis à l’ancien ministre Pap Ndiaye en avril 2023, 745 écoles dotées d’un Indice de Position Sociale –IPS- inférieur à 80 ne sont pas dans le dispositif d’éducation prioritaire et ne bénéficient donc d’aucun moyen spécifique. Dans le même temps, sous l’effet d’une paupérisation croissante, certains REP présentent aujourd’hui un IPS inférieur à celui de certains REP +.
En ce sens le rapport de 2023 cité plus haut relativise fortement l’autosatisfaction permanente déployée par l’actuel gouvernement concernant le dédoublement des classes de CP et CE1 –mesure phare mise en place sous l’ère Macron-en soulignant notamment que « de façon générale, si des éléments positifs sont repérés concernant les apprentissages des élèves bénéficiant d’un enseignement en classe dédoublée, force est de constatée que tous les bénéfices attendus de cette mesure ne sont pas encore obtenus aujourd’hui ».
Ce même rapport recommande par ailleurs de substituer au dédoublement dans certaines situations « le soutien d’un maître supplémentaire au moins six heures par semaine dans la classe », ce qui renvoie au dispositif « plus de maîtres que de classes » mis en place dès 2012 et que le ministre Blanquer s’est empressé de supprimer dès son arrivée en 2017…
Alors que 77% des enfants de cadres obtiennent leur baccalauréat général contre seulement 31% d’enfants d’ouvriers, alors que les résultats des élèves français ont baissé de 21,5 points aux évaluations PISA entre 2018 et 2022, plus personne aujourd’hui ne peut contester cette impérieuse nécessité de « donner plus à ceux qui ont moins ».
Le défi auquel fait face l’Ecole de la République se pose donc en des termes nouveaux et qui ne peuvent être éludés : comment, de la maternelle au lycée, s’occuper des 70% d’élèves en difficultés aujourd’hui totalement « oubliés » ?
Quelles mesures nécessaires ?
Une évaluation de l’existant conduirait à la réalisation d’un bilan et par conséquent au réexamen de la carte de l’éducation prioritaire seul à même d’envisager des modifications rendues nécessaires face à l’évolution des situations dans certains territoires.
Elle permettrait notamment de mettre en avant le formidable travail réalisé dans ces territoires par les équipes éducatives très fortement engagées pour faire progresser leurs élèves tout en atténuant le frein que peut constituer ce label « éducation prioritaire » dans la recherche d’une indispensable mixité sociale.
Enfin, elle conduirait à activer les leviers permettant d’atteindre l’objectif premier de l’éducation prioritaire, à savoir la lutte contre l’échec scolaire des enfants majoritairement issus des milieux populaires.
Ces leviers bien connus viennent opportunément d’être rappelés par le Collectif Langevin Wallon dans un ouvrage intitulé « L’éducation prioritaire : une politique féconde pour le système éducatif. »
Ajustement de la carte de l’éducation prioritaire au plus près des réalités sociales et scolaires, refondation pédagogique sur la base du référentiel de l’éducation prioritaire – document recensant les pratiques qui favorisent la réussite des élèves -, explicitation des compétences pour assurer la maîtrise du socle commun, mise en place d’une école de la coopération et de la bienveillance, scolarisation des enfants de moins de trois ans, dispositif « plus de maîtres que de classes », accueil, accompagnement, soutien et formation des équipes éducatives, renforcement du pilotage et de l’animation des réseaux et du lien parent-école, remplacement du système de labellisation « REP-REP+ » par un système de modulation de la DHG fondé sur l’IPS des établissements avec amortisseurs en cas d’amélioration de l’IPS...
Autant d’outils qui dans la lutte contre les inégalités permettraient de rétablir la promesse républicaine, non pas celle de l’égalité des chances mais bel et bien celle du droit à la réussite de tous les élèves, y compris de ceux issus des milieux les plus modestes.
C’est désormais aux politiques de s’emparer de ce sujet : les socialistes doivent s’y atteler.
Contributeurs :
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