L'EUROPE DE LA SANTÉ : UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE POUR UNE EUROPE HUMANISTE

Thème : Europe


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L'EUROPE DE LA SANTÉ : UNE COMPÉTENCE PARTAGÉE POUR UNE EUROPE HUMANISTE

 

« Il faut s’inspirer des « pères fondateurs », de leurs intuitions d’origine, de leur hardiesse, mais pour les renouveler, pour élargir l’horizon, pour arpenter d’autres voies d’unité, comme la différenciation qui n’a pas été assez explorée. » Jacques Delors

Longtemps, la politique européenne de santé ne fut qu'un spectre discret, ombragé par les préoccupations économiques et la frénésie marchande. Sécurité des produits, régulation du marché des médicaments, quelques éclats sur la recherche médicale : voilà qui résumait une ambition timide, un effort minimaliste. Pourtant, dès l'origine, la santé était inscrite dans les traités comme une promesse fondamentale, capable de transcender même les règles sacrées du marché intérieur. Puis vint la pandémie de Covid19, et le rideau tomba sur les illusions passées, révélant avec brutalité nos vulnérabilités.

UNE EUROPE RESPONSABLE ET SOLIDAIRE

Avec la pandémie, le Conseil européen donna enfin mandat à l'Union européenne pour agir directement : achat centralisé des vaccins, constitution de réserves stratégiques, déploiement de centres de vaccination, acheminement des malades d'un pays à l'autre. La politique européenne de protection civile, naguère limitée à des catastrophes naturelles, s'élargit ainsi à la gestion proactive des crises sanitaires. Ce changement radical marque la naissance d'une Europe de la responsabilité directe, capable non seulement de réagir, mais aussi de prévoir et d'agir en amont. La création ou le renforcement d'agences spécialisées dédiées à la santé (HERA, ECDC, EMA), ainsi que le programme EU4Health renforcé, sont des premières pierres essentielles à cet édifice.

LA SÉCURITÉ SANITAIRE : UNE URGENCE INDUSTRIELLE

Mais qu'estce qu'une sécurité sanitaire sans souveraineté industrielle ? Nous avons amèrement appris que dépendre d'autres continents pour des équipements vitaux—masques, médicaments, respirateurs—nous place dans une vulnérabilité inacceptable. Relocaliser la production, par une politique ambitieuse d'investissement et des prix garantissant la viabilité de nouvelles usines européennes, est désormais une urgence existentielle. Favoriser cette relocalisation à travers les projets importants d'intérêt européen commun (PIIEC) constitue une priorité industrielle majeure.

VERS UNE RÉSILIENCE ÉQUITABLE DES SYSTÈMES DE SOINS

Garantir la sécurité sanitaire signifie aussi renforcer les systèmes de santé nationaux. L'Europe doit imposer des « tests de résistance » capables d'évaluer équitablement la capacité des États membres à affronter les crises à venir, qu'elles soient sanitaires ou climatiques. Il n'est plus acceptable que les interventions chirurgicales essentielles soient déprogrammées ou que les prises en charge des maladies mentales ou chroniques, telles que les cancers, soient interrompues en période de crise. L'Union européenne doit donc piloter une politique régionale active afin de réduire les vulnérabilités sociales et territoriales, soutenant une médecine de proximité robuste et réactive.page1image18541952 page1image18533008

UN STOCKAGE STRATÉGIQUE ET UNE MOBILISATION CITOYENNE

L'Europe doit aussi anticiper par une meilleure gestion de ses stocks stratégiques—médicaments, nourriture, matériel médical—et renforcer les capacités de déploiement rapide d'infrastructures de soins mobiles. À cette fin, il est impératif d'accroître substantiellement les moyens européens de protection civile et de renforcer la coopération transfrontalière sanitaire. Audelà des institutions, c'est tout un continent de solidarités citoyennes qu'il faut mobiliser : formations généralisées aux premiers secours, soutien renforcé aux associations humanitaires comme la Protection Civile ou la CroixRouge, et préparation systématique des familles à l’autonomie temporaire en période de crise.

UNE DIRECTION GÉNÉRALE POUR UNE SANTÉ COHÉRENTE ET COORDONNÉE

Face à l'immensité des défis et à leur imprévisibilité croissante—épidémies, dérèglements climatiques, menaces terroristes ou biologiques—, une réponse cohérente et rapide est essentielle. Nous proposons la création d'une Direction Générale européenne dédiée à la santé et à la gestion des crises, capable de coordonner efficacement l'ensemble des agences concernées : prévention, veille sanitaire, régulation des médicaments et protection environnementale. Cette nouvelle gouvernance doit marquer une rupture avec les errements bureaucratiques passés, affirmant la primauté du bien commun européen sur les intérêts particuliers.

LA TRANSFORMATION ÉCOLOGIQUE DE LA SANTÉ : UNE APPROCHE « ONE HEALTH »

L'Union européenne dispose de tous les atouts pour proposer son propre modèle de santé, fondé sur ses valeurs et sur l'approche intégrée « One Health ». Cette politique globale doit impérativement viser la réduction drastique des maladies chroniques liées à nos modes de vie et de consommation, ciblant prioritairement les populations les plus vulnérables. Une attention particulière doit être portée à la santé mentale, encore trop souvent négligée, par l’élaboration d’un plan d’action européen spécifique.

POUR UNE POLITIQUE DE SANTÉ AMBITIEUSE

Des propositions qui ont pour objectifs de répondre aux 5 grands défis à relever pour construire l’UE de la Santé : les défis politiques, de recherche, industriels, du numérique et des données de santé, de la santé publique.

  1. Défis politiques : Proposer à l’ensemble des Comités Économiques et Sociaux de l’UE et au CES européen de porter prioritairement la thématique de l’Europe de la Santé auprès des instances politiques nationales et européennes.

  2. Défis de recherche : Faire appliquer le règlement n°816/2006 du Parlement européen pour des brevets visant la fabrication de produits pharmaceutiques destinés à l’exportation vers des pays connaissant des problèmes de santé publique.

  3. Défis industriels : Favoriser la relocalisation sur le sol européen de la production d’équipements de protection sanitaire.

  4. Défis numériques : Mettre en place une base de données commune au niveau européen, sous la responsabilité de l’EMA, afin de disposer en temps réel d’une vue précise de l’état des stocks.

  5. Défis de santé publique : Faire de la politique de prévention en santé publique une priorité avec des plans d’actions thématiques.

DES PRÉCONISATIONS POUR UNE POLITIQUE DE SANTÉ AMBITIEUSE

Les premiers jalons ont été posés durant la crise de la Covid19 avec la création ou le renforcement d'agences spécialisées (HERA, ECDC, EMA) et la mise en place d'un programme ambitieux, EU4Health, pour soutenir les politiques de santé publique. Ces avancées, bien que significatives, doivent être consolidées par une mobilisation accrue des institutions européennes et par l'implication directe des citoyens, dont le rôle durant la crise sanitaire a été déterminant. En intégrant les savoirfaire et les retours d'expérience de la société civile, l'Europe pourra construire une gouvernance sanitaire plus inclusive et résiliente.

Créer une Autorité européenne pour la réaction aux urgences sanitaires (HERA), chargée de coordonner la prévention, la détection et la réponse aux menaces transfrontières pour la santé, en lien avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS)1. Cette autorité disposerait d’un budget conséquent pour financer la recherche et le développement de vaccins, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que pour constituer des réserves stratégiques et assurer une distribution équitable des produits essentiels.

Renforcer le rôle du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) et de l’Agence européenne des médicaments (EMA), en leur donnant plus de moyens humains et financiers, ainsi qu’une plus grande autonomie visvis des États membres2. Ces agences seraient chargées d’harmoniser les normes et les protocoles sanitaires, d’évaluer les risques et les bénéfices des produits de santé, et d’assurer une surveillance épidémiologique permanente.

Développer un socle européen des droits sociaux, qui garantirait à tous les citoyens européens un accès universel et gratuit à des soins de qualité, ainsi qu’un niveau minimal de protection sociale en cas de maladie, de chômage, de vieillesse ou de pauvreté3. Ce socle serait financé par un budget social européen, alimenté par une fiscalité harmonisée et progressive sur les revenus, les profits et les transactions financières.

Promouvoir la convergence sociale entre les États membres, en fixant des objectifs communs en matière de dépenses publiques sociales, de réduction des inégalités, d’amélioration des conditions de travail et de lutte contre la précarité4. Ces objectifs seraient intégrés dans le semestre européen, qui serait réformé pour donner plus de poids aux indicateurs sociaux par rapport aux indicateurs économiques.

Soutenir le développement des systèmes de santé et de protection sociale dans les pays partenaires, notamment en Afrique, en renforçant la coopération technique, le transfert de savoirfaire et l’aide financière5. L’UE s’engagerait également à respecter le droit à la santé dans ses relations commerciales et à promouvoir l’accès universel aux médicaments essentiels.

Avec ce programme, nous voulons faire de l’Europe un espace de santé et de prévoyance exemplaire, qui protège ses citoyens et contribue au bienêtre mondial.

Tous ces éléments forment la trame d'une Europe de la santé destinée à devenir une compétence partagée entre l'Union et ses États membres, comme l'a suggéré avec pertinence la conférence sur l'avenir de l'Europe. La politique de santé que nous proposons ne se résume pas à une simple réponse aux crises. Elle s'inscrit dans une démarche plus vaste, une démarche de prévoyance.

Cette prévoyance, c'est notre capacité à anticiper, à prévenir les maux avant qu'ils ne frappent de plein fouet. C'est notre volonté de renforcer les liens entre les êtres humains, de les accompagner tout au long de leur vie. C'est aussi notre engagement indéfectible en faveur des services publics, ces piliers essentiels de notre société, et notre détermination à préparer nos sociétés et nos territoires à faire face à des défis d'une ampleur redoutable, main dans la main, dans la cohésion et la solidarité.

La prévoyance, voilà un terme qui doit résonner avec force dans notre projet socialiste. C'est l'expression même de notre vision : une Europe qui ne se contente pas de réagir, mais qui anticipe, protège et élève ses citoyens vers un avenir plus sûr et plus rayonnant. C'est notre engagement envers chaque homme et chaque femme qui peuplent notre continent, une promesse d'une vie meilleure pour tous, quelle que soit leur origine, leur situation ou leur destin. C'est ainsi que nous façonnerons une Europe plus forte, plus résiliente et plus humaine, portant en elle les valeurs de solidarité et de progrès pour les générations à venir.

 

1 Le fonc􏰁onnement de l'Europe de la santé Touteleurope.eu
2 Europe de la santé, les proposi􏰁ons de la Commission européenne | viepublique.fr 3 Europe de la santé, évolu􏰁on ou révolu􏰁on ? Touteleurope.eu
4 L’Union européenne et la protec􏰁on sociale : c’est compliqué ! | Cairn.info
5 La sécurité sociale: Un droit humain fondamental | AISS (issa.int)


Contributeur : Mathieu GITTON membre du bureau national des adhésions


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