L’Europe et la France du numérique doivent faire valoir leur savoir-faire et leur responsabilité

Thème : Numérique


 

L’Europe et la France du numérique doivent faire valoir leur savoir-faire et leur responsabilité

Le « Cloud » s’est développé parallèlement au Web 2.0 du début de la décennie 2010. Il est né du réseau à haut débit (ADSL et la fibre), de la puissance de calcul des années 2000 et d’un procédé appelé virtualisation, qui permet de mettre en commun les ressources de calcul, avec des économies importantes à la clé pour les entreprises clientes puisqu’elles n’avaient plus besoin d’acheter, gérer et administrer un parc de machines. En à peine une décennie, cela a restructuré tout la chaîne de valeur du numérique et a boosté l’innovation dans ce domaine, en allégeant le CAPEX des startups et par effet de traînée. Cette dynamique d’innovations, apportant des mutations économiques, s’est prolongée jusqu’à aujourd’hui avec les LLMs, l’explosion du cours en bourse de NVidia et l’arrivée de robots, apportant de nombreuses technologies qui nous auraient parues incroyables il y a 10 ans.


Elle a débouché notamment sur l’ubérisation et ouvert la voie à d’autres mutations du numérique, à un réagencement de toute l’économie et même des transformations socio-politiques profondes, en cours avec les réseaux sociaux.
Les tentatives nationales et européennes pour tenter de recréer un acteur du Cloud local ont échoué : non pas, loins de là, par manque de compétences technologiques mais parce que la marche à franchir face aux leaders (les GAFAM ou GAMAM, et les BATX chinois) était déjà beaucoup trop haute. Peut-être aussi à cause d’un manque de clairvoyance (il fallait prendre acte de cette marche).

Aussi probablement d’organisation : la méthode ne consiste pas à vouloir reproduire mais à miser sur un projet d’écosystème industriel riche. Pour créer à partir de rien un couple capacité technologique + marché bien cadré, il faut un pouvoir de structuration ou de contrôle très important. Cela a peu de chance de déboucher sur un résultat puissant dans le numérique. Pourquoi ? Parce que dans le numérique les usages, les technologies et les capacités offertes aux usagers vivent en complète symbiose, elles s’ajustent et évoluent en permanence avec une dynamique très rapide, sous la pression croissante des innovations. Même la Chine, avec des structures politiques très différentes des nôtres et un volontarisme politique gigantesque, a connu d’énormes difficultés.


Elle a dû investir pour cela dans l’éducation depuis 1949, massivement dans l’éducation supérieure en 2000, et des centaines de milliards dans différents domaines pour y parvenir (pas dans tous les secteurs). En 2025 où en est-elle ? Je vous invite, si vous ne l’avez pas encore fait, à lire le plan Made In China 2025 et à bien vous représenter la situation actuelle : la Chine a atteint ses objectifs dans la majorité des domaines cible de ce plan. Peut-on maintenant sérieusement croire que l’Europe et la France ne vont pas être distancées pour très longtemps en continuant à saupoudrer et investir 5 à 10 fois moins dans les secteurs clé ?
Il faut non seulement mettre beaucoup plus de moyens dans ces trois domaines pour accélérer la croissance des écosystèmes, mais aussi le faire de manière équilibrée. C’est ce que les échecs de l’Europe et de la France sur le Cloud peuvent nous enseigner.

Pour le Cloud la bataille est en grande partie derrière nous (et puis des acteurs français et européens ont émergé, qui se défendent) mais il faut voir pour le numérique dans son ensemble : le Cloud, l’IA, la robotique, les objets connectés, etc. sans oublier les composants électroniques, car sans composant on ne calcule rien on n’a pas de Cloud. Or, l’Europe dépend quasi exclusivement de l’Asie et des US pour les composants clé du Cloud, alors qu’elle a 10 ans d’avance sur tout le monde dans le domaine de la gravure électronique avec le leader hollandais ASML. Est-ce normal ? Le soutien à l’innovation et l’industrie dans le domaine du composant électronique demeure ridiculement faible.


Quid du « Cloud souverain » ? L’ANSSI a élaboré la qualification SecNumCloud (https://cyber.gouv.fr/secnumcloud-pour-les-fournisseurs-de-services-cloud, l’Europe l’EUCS (EU Cloud Services Scheme https://www.enisa.europa.eu/publications/eucs-cloud-service-scheme , sans doute plus conforme aux règles de l’OMC. Est-ce que le contexte géopolitique actuel ne milite pas pour un rééquilibrage des enjeux d’autonomie ou souveraineté par rapport à ceux de l’OMC pour le Cloud ? C’est sans doute un choix de nature éminemment politique.
Je considère pour ma part que l’Europe ne peut plus ignorer son obligation à faire valoir un droit collectif à une forme d’assurance dans le Cloud, de niveau réellement comparable à la qualification ANSSI. C’est la première chose à faire, avant même de songer ou rêver à taxer réellement les GAFAM (pour la négociation, oui, mais en pratique … pas facile !).

L’Europe doit faire valoir sa responsabilité en la matière et réduire sa sensibilité aux groupes de pressions américains. L’empreinte carbone est un mal inévitable, mais il doit être traité dans une optique éthique. Fort heureusement, la France et l’Europe sont en pointe.


Contributeur : Pauline Gavrilov 


 

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