Thème : Industrie
L’État comme pilote de la politique industrielle : Création d’un EPIC industrielle
La désindustrialisation de la France a démarré dès la fin des années 70, puis elle s’est accélérée depuis le début des années 2000 dans un contexte de dérégulation, de concurrence par les coûts de production et de mondialisation massive des échanges internationaux. L’industrie représente 15% du PIB en France en 2023 en raison du rebond de l’énergie. Mais le poids de l’industrie manufacturière est faible, moins de 10% du PIB. À titre de comparaison, l’industrie compte pour 20,3 % en Allemagne mais seulement 8,7 % au Royaume-Uni. La réindustrialisation est un enjeu de prospérité et de souveraineté. Elle doit permettre de créer de la richesse, ce qui profitera à l'ensemble de l'économie, et d'éviter un déclassement face à d'autres puissances. Elle apporte à la classe moyenne des emplois mieux rémunérés et plus stables que les métiers des services. Par ailleurs un socle industriel plus fort permet aussi de réduire la dette publique en raison de recettes économiques et fiscales plus élevées.
La mobilisation de centaines de millions ou de centaines de milliards ne pourra pas à elle seule contribuer à la relance de l’industrie française. Alors que la France est en compétition internationale, pour ne pas dire guerre économique, il n’y a aujourd’hui aucune pensée politique en réindustrialisation. Mobiliser des fonds c’est très bien, mais pour en faire quoi ?
Jusqu’à présent, ces fonds qu’on flèche, qu’on alloue, qu’on lève, qu’on octroie, qu’on prête ne sont pas parvenus à relancer l’industrie française. A travers les différents opérateurs de l’Etat ou exonérations d’impôts, le contribuable français verse à des entreprises privées de l’argent pour l’intérêt propre de l’entreprise. La représentation nationale ne parvient pas ainsi à créer une industrie d’intérêt général et cela est évident : Ce n’est pas l’intérêt d’une entreprise de produire pour l’intérêt général mais pour son propre intérêt. Pire, ces fonds bénéficient à nos concurrents internationaux qui les utilisent pour leurs propres croissances.
Ce n’est pas aux entreprises de définir les politiques industrielles mais bel et bien à l’Etat, qui doit revenir à un rôle d’Etat stratège. Il est temps que la représentation nationale jette les bases d’une entreprise publique industrielle pour rebâtir une industrie répondant aux enjeux du 21e siècle. Totalement légal sur le plan du droit européen (I), cette entreprise d’Etat pourra agir en investisseur privé pour rebâtir une industrie française à la hauteur de nos ambitions (II).
I/ La licéité de la proposition.
Conscient que les aspects du droit de l’Union européenne puissent être compliquées à assimiler (y compris pour les juristes français), l’explication de la licéité de la proposition sera brève et concise en deux petits paragraphes.
L’article 345 du traité sur le fonctionnement de l’européenne prévoit que « [l]es traités ne préjugent en rien le régime de la propriété dans les États membres ». Il admet que les entités publiques ont le droit de détenir des participations, y compris majoritaires, dans des entreprises. En conséquence, les États membres peuvent exercer des activités économiques, que ce soit directement ou indirectement, tout comme les entreprises privées.
La jurisprudence constante des différents tribunaux de l’Union européenne fait référence à la notion « d’investisseur avisé ». Le critère de référence pour repérer l’existence d’une aide d’État est celui de « l’investisseur privé, agissant dans les conditions normales d’une économie de marché ». Autrement dit le critère de licéité de la proposition se base sur l’existence d’une rentabilité de l’opération.
C’est au regard de ce régime juridique européen stricte mais permissif qu’une entité privée a capitaux publiques détenue par l’Etat peut intervenir plus concrètement dans l’industrie et surtout être rentable. Par conséquent, libre juridiquement, cette entité pourra mettre en place la politique industrielle de l’Etat et rebâtir l’industrie française.
II / les contours de cette entité : organisation et mise en œuvre.
La France a énormément de vulnérabilité industrielle dans différentes filières. C’est la raison pour laquelle cette entité sera composée des différentes verticales stratégiques (Intelligence artificielle, logistiques, sidérurgie, métaux rares, énergie, électronique…). Ces verticales seront définies par la représentation nationale pour créer une dynamique d’intérêt général trans-partisane et trans-politique. Ces verticales auront le pouvoir d’investir, de racheter ou de créer des sociétés liées à une activité particulière de cette verticale.
Bien qu’elle soit une issue d’une volonté générale, la gouvernance et les opérations devront être menées par des spécialistes des différentes secteurs. Les hommes et les femmes de cet Epic devront être recrutés avant tout dans le milieu privé. Des professionnels dans leurs secteurs ayant prouvés et éprouvés les cycles économiques avec un conseil d’administration, les différents syndicats, des représentants de la nation dont le président de la commission des finances, le ministère de l’Industrie représentant directement par le ministre lui-même et les acteurs sources des financements.
Ils auront pour mission, bien que divisés en verticales, de travailler en transversalité :
- D’analyser le contexte international des filières avec des impacts pour l’industrie française dans une démarche d’intelligence économique,
- D’identifier les entreprises qui vont délocaliser ne générant ainsi pas assez de profit pour les actionnaires et de proposer des solutions différentes, solutions de remplacement pour la continuité des activités industrielles.
- D’identifier les secteurs où l’initiative privée est défaillante avec de fort potentielles de rentabilité pour créer des sociétés.
- De sourcer les innovations, issues des brevets déposés au CNRS ou dans les territoires, pour en faire de réelle start-up.
- Concurrencer les gros des marchés et filières dans les différents secteurs afin d’apporter une concurrence bénéfique aux portefeuilles des consommateurs finaux.
Ces actions de l’État via son EPIC doivent obéir à une vision qui doit être le réarmement d’une industrie française sur tous les territoires français. Protectrice de l’environnement (terre, mer, air), du consommateur en étant à la pointe des différentes technologies, la dorsale industrielle sera posée afin d’avoir un financement efficace. Il s’agit aussi de retrouver dans beaucoup de secteurs industriels une souveraineté nationale.
III/ Un financement original
Plusieurs sources de financements sont possibles. Soit en réorientant les subventions octroyées chaque année dans la création de start-up, soit en faisant appel à l’épargne populaire ou soit en mettant en place un système de « fonds de pension » citoyen. Plusieurs axes sont ainsi suggérés, là encore nous proposons quelques éléments de réflexion. Il est nécessaire de travailler avec les régions, ainsi on pourra augmenter la prime d’aménagement du territoire pour l’industrie. Il sera aussi nécessaire de créer un fonds d’urgence pour la réindustrialisation pour soutenir les entreprises qui souhaitent relocaliser ou moderniser leur production. On devra également à la fois augmenter mais surtout mieux cibler le crédit d'impôt recherche afin de ne pas soutenir que les entreprises importantes et surtout il faudra privilégier les secteurs considérés comme stratégiques. On réfléchira aussi à la création de zone franche, zone aidée dans les territoires qui sont fortement désindustrialisés, avec une attention aussi particulière sur les DOM-TOM. Nous proposons également de retravailler sur le calcul de la base fiscale des entreprises afin d’abaisser le taux d’impôt pour les entreprises qui investissent en France. Il suffit de déduire cet investissement de la base imposable chaque année. Une réflexion sur les taux de TVA pourra également avoir lieu dans les secteurs stratégiques.
Plusieurs mesures peuvent également mieux cibler l’utilisation de l’épargne privée. Le renforcement des appuis bancaires de type BPI pour les PME innovantes est souhaitable. Les fonds de retraite peuvent aussi devenir un moyen de financement significatif pour les firmes désignées dans les secteurs stratégiques. En raison de la situation très favorable des ménages et des entreprises en 2023, derniers chiffres connus, les actifs financiers sont ainsi évalués à fin 2023 à 42 081 Md€ contre 29 834 Md€ en 2017. Nous sommes bien dans une économie beaucoup plus financiarisée. Le total des actifs de l’économie française est donc en 2023 de 61 166 Md€ dont 16 682 Md€ proviennent des ménages et 20 705 Md€ pour les entreprises non financières et les passifs sont de 42 358 Md€, laissant donc un patrimoine net de 18 674 Md€ dont 14 567 Md€ pour les ménages ! L’assurance vie détenue par les ménages est de 2 113 Md€, d’où la possibilité de flécher une partie de cet actif vers la réindustrialisation. On pourra ainsi combiner l’incitation fiscale, (enlever de la base fiscale des particuliers les montants investis dans ces fonds spécifiques), des procédures de sécurisation (rendement minimal garanti) et une simplification des produits offerts. Enfin créer un livret d’épargne dédié à l’industrie s’inscrirait dans cette démarche tout comme le lancement d’un fonds souverain français.
Contributeurs : Mohamed Gareche (militant section Paris 20e) & Jean-Noel Vieille (militant section Paris 9e)