La crise énergétique consécutive à la guerre en Ukraine


Thème : Économie


Eléments d’information sur la crise énergétique,

À partir de l’intervention de M. Laurent JOUDON, directeur des études économiques à EDF, complétée par diverses sources.

Rédacteur : Franck Sempé

Point de situation et propositions socialistes :

L’augmentation rapide des prix du gaz et de l’électricité suite au déclenchement de la guerre en Ukraine a surpris les gouvernements européens, les industriels et les consommateurs. La guerre a un impact sur notre vie quotidienne, notamment par l’augmentation des prix de l’alimentation et de l’énergie. Nous, Socialistes, devons faire en sorte que les plus démunis ne paient pas le prix fort.

Chacune et chacun s’était habitué à une énergie bon marché. Or, la crise énergétique, qui représente environ 3 points de PIB, apparait en tout point comparable au choc pétrolier de 1973. C'est une crise sur les prix, avec menace de rupture d'approvisionnement. En même temps, la France connait aussi une crise de production nucléaire ; cette année, le parc nucléaire français va produire 25 % de moins que ce qu'il produisait d'habitude, et hydraulique, effet de la sécheresse.

 

I. Offre d’énergie :

1. France :

EPR / Le dérapage des coûts et délais s’explique par une perte de compétences et des procédures d’appel d’offres au « moins disant », générant des sous-traitances en cascades.

Les années 2000 ont vu une perte de compétences dans le domaine nucléaire. Ce dernier n’était plus dans l’air du temps : risque d’accident (confirmé par Fukushima en 2011), problème d’acceptabilité des populations locales de l’enfouissement des déchets, coût du démantèlement des centrales obsolètes (Fesseinheim), risque élevé de corruption sur les marchés de l’uranium en Afrique et au Kazakhstan … 

Toutefois, le nucléaire reste la première source d’énergie électrique bas carbone.

 

Gaz / La flambée des prix a été amortie par un bouclier tarifaire, mesure de court terme en faveur des ménages. La digue ne tiendra pas sur le long terme (+15 % dès l’an prochain). Le risque de crise sociale, de délocalisation des entreprises et de désindustrialisation apparait élevé, alors que notre déficit commercial dépasse désormais les 100 milliards d’euros.

 

2. Allemagne :

L’abandon du nucléaire après Fukushima (suite à l’émotion suscitée ?) n’a pas vraiment permis de développer les énergies vertes (lead chinois sur le photovoltaïque, danois sur l’éolien terrestre et marin). Des questions sociales liées à l’emploi ont conduit à rouvrir dans la Ruhr les mines et centrales à charbon, premières sources d’émission de CO2.

L’Allemagne est aussi fortement dépendante du gaz russe. Les mesures d’embargo contre la Russie l’ont pénalisée. Le prix du gaz a été multiplié par 10. L’Allemagne a décidé de mobiliser 200 Mds d’euros de bouclier tarifaire pour protéger ses entreprises et ses ménages les plus modestes.

 

3. Europe :

Le marché de l’électricité est un marché à court terme fondé sur le dogme libéral de la concurrence pure et parfaite, reposant sur un système électrique très interconnecté à l’échelle européenne. Le prix correspond exactement au point de rencontre de l’offre et de la demande (Walras). 

Actuellement, le prix de gros de l’électricité dans l’UE est fixé par la dernière centrale électrique nécessaire pour répondre à la demande. La fixation du prix par la dernière centrale (au gaz ou au charbon) pose problème. Il y a un effet de contamination du prix du gaz sur celui de l’électricité. 

Nota. Depuis le mois de juin, l’Espagne et le Portugal ont quitté le système européen et peuvent fixer eux-mêmes le prix de leur électricité. Ces deux pays produisent une grande part de leur électricité à partir de sources d’énergie renouvelable au coût marginal très faible. C'est la raison pour laquelle ils ont pu sortir du système européen.

 En théorie, les consommateurs français pourraient bénéficier d’une électricité à coût modéré. Toutefois, les producteurs d’énergie nucléaire (ou renouvelable) s’alignent sur les prix des centrales les plus chères, à gaz ou à charbon. 

Par conséquent, Il y aurait urgence à découpler le prix de l’électricité de celui du gaz mais les pays qui ont une forte dépendance au gaz, tels que l’Allemagne, paieraient plus cher leur électricité. La réforme du marché de l’énergie est à l’ordre du jour.

Par ailleurs, le prix de gros permet une grande fluidité dans la distribution d’électricité en Europe, mais n’incite pas aux investissements à long terme dans les technologies vertes. Les fournisseurs d’énergie ont besoin de contrats à long terme : en achetant une quantité donnée d’électricité plusieurs mois ou années à l’avance, les fournisseurs s’assurent de pouvoir approvisionner leurs clients, ménages ou entreprises. Ces contrats leur permettent d’avoir une visibilité sur les prix et sur la rentabilité des investissements.

Par exemple, lorsque Total produit des hydrocarbures hautement carbonés à un coût de revient de 25 pour un prix de marché de 100, engendrant ainsi plus de 10 milliards de profits par trimestre, EDF fournit une électricité bas carbone qui pourrait être vendue 25 mais qui l’est à 50, compte-tenu de la corrélation gaz – électricité sur le marché européen.

En outre, EDF manque de visibilité sur les prix à long terme pour garantir la rentabilité de ses investissements dans les technologies vertes. 

 

II. Demande d’énergie :

1. Ménages :

Après la pandémie, cette nouvelle crise renforce l’injustice sociale, les catégories populaires étant les plus touchées. 

Selon ATD Quart monde, 9 millions de personnes voient leurs conditions de vie déjà précaires se dégrader face à l’augmentation de l’énergie, de l’alimentation et des loyers. L’an dernier, un quart des ménages français a été confronté à une difficulté pour payer sa facture énergétique. 

Qu’en sera-t-il l’an prochain lorsque les prix du gaz et de l’électricité auront augmenté de 15% ? En 2023, il paraitrait impensable que la moitié des Français, en deçà du revenu médian, soit contraint de devoir arbitrer entre le loyer, l’alimentation, le chauffage et les déplacements pour aller travailler.

La crise énergétique aura aussi un fort impact sur les finances des collectivités territoriales et les associations impliquées dans la lutte contre la pauvreté. En 2015, la Catalogne a interdit les coupures d’énergie aux personnes vulnérables. Les ménages dans l’impossibilité de payer leurs factures ont généré 40 millions de dettes.

Les pauvres doivent-ils être considérés comme responsables de leur misère, comme le suggère une certaine doxa néolibérale qui entretient un glissement sémantique progressif, de la précarité, défaillance du monde ambiant, à la vulnérabilité, responsabilité individuelle des plus fragiles, avec un retour de la charité en lieu et place de la solidarité républicaine ? Doit-on plonger 10 millions de Français dans une situation de survie, parmi lesquels de nombreux retraités pourraient voir leur santé gravement altérée ?

Quand Victor Hugo écrit Les Misérables, il distingue la misère et la souffrance, en considérant que la misère est une production de la société. Aujourd’hui, veillons à ne pas faire porter le fardeau de la misère sur le dos des plus pauvres, en se dédouanant de notre responsabilité collective.

 

2. Entreprises :

Les PME-PMI, qui ont peu de trésorerie et ne sont pas protégées par un bouclier tarifaire, sont très sensibles à l’augmentation des prix de l’énergie. Elles sont aussi exposées à un risque de rationnement, voire de coupures d’électricité (blackout).

Les gros consommateurs d’énergie, comme les verriers, ont déjà réduit leur activité, suite à un arbitrage prix/coût de l’énergie, la part du gaz passant de 10 à 40% du coût de revient. Arc et Duralex ont mis environ 2000 salariés au chômage partiel.

Les agriculteurs sont également touchés, notamment les producteurs d’endives qui ont subi une flambée du prix du gaz (multiplié par 10).

Les grands groupes comme Safran ont vu, en France, leur facture de gaz passer de 20 à 105€ le MWh alors qu’il coûte 18$ aux Etats-Unis. Cet écart pourrait provoquer des délocalisations vers les États-Unis ou d’autres pays extra-européens.

 

3. Sobriété :

La situation actuelle traduit un manque d’anticipation sur la sécurité d’approvisionnement, qui dépend des relations internationales et s’inscrit dans un contexte de prix de l’énergie relativement élevé. Jusqu’à aujourd’hui le gaz était perçu comme une énergie de transition, entre le charbon, le pétrole et les énergies neutres en carbone, nucléaire et renouvelables. Or, le développement des renouvelables a été plus lent que prévu. En France, les énergies renouvelables ne produisent pas suffisamment compte tenu de la baisse de production du parc nucléaire.

Les ménages aisés, protégés par le bouclier tarifaire et relativement rassurés par la communication gouvernementale, devraient être peu sensibles au signal prix et continuer à consommer dans les mêmes proportions. Or, le stock de gaz français permet de couvrir tout au plus un mois d’hiver.

Certes, le dispositif d’échange européen permet de s’adapter aux besoins en temps réel mais comment ajuster la demande ? par le système d’alerte Ecowatt – les fournisseurs d’électricité informent leurs clients sur les pics de consommation – par la sobriété ?

La sobriété se distingue de la performance énergétique. Elle peut aller jusqu’à remettre en question certains usages. Elle s’applique en priorité aux secteurs de la mobilité, des bâtiments et de l’élevage industriel.

  • Mobilité / petites voitures électriques ? camions et bus à hydrogène ? transports en commun ? … en remplacement des moteurs thermiques (essence et diesel).

  • Bâtiments / pompes à chaleur pour les maisons individuelles ? enveloppe extérieure et réseaux thermiques pour les immeubles ? … à la place des chaudières à gaz et au fioul. Nota. Le coût de la rénovation énergétique par rapport aux aides induit une certaine inertie d’investissements et n’est pas toujours très populaire.

  • Matériels / ordinateurs et réfrigérateurs plus récents ?

  • Élevage / limiter la taille des exploitations, en réduisant les émissions de méthane.

Pour répondre aux besoins en énergie et au changement climatique, il conviendrait de relancer le nucléaire et d’investir massivement dans les énergies renouvelables, notamment l’éolien off shore, tout en modifiant les comportements : vélos, véhicules propres, transports en commun, trains sur les courtes distances, développement du réseau TER, solutions alternatives aux chaudières à gaz et au fioul, rénovation énergétique des bâtiments, réduction de la consommation de viande …

La sobriété devrait devenir une norme pour ceux qui consomment le plus d’énergie. Bien que la surconsommation d’énergie des plus riches soit insuffisamment étudiée, indépendamment des jets privés, on sait d’ores et déjà que 110 tonnes de CO2 par an sont émises par la consommation d’énergie des plus aisées, contre 1,6 tonnes pour les 50% les plus pauvres. 

A l’instar du marché des droits à polluer, qui fonctionne bien pour les entreprises les plus polluantes, il ne serait pas illogique de faire payer les plus riches, qui consomment le plus d’énergie, à partir d’un bilan carbone.

 

Recommandations :

Dans ce contexte d’inflation par le coût des matières énergétiques, la tentation de réindexer les salaires au prix, comme en Belgique, est grande. Elle présenterait toutefois l’inconvénient d’alimenter une spirale inflationniste par la boucle salaire-prix, ajoutant à l’inflation importée des énergies fossiles la hausse des prix par les salaires. Ce qui inciterait fortement la BCE à augmenter ses taux d’intérêt, au risque de provoquer une récession et une nouvelle hausse du chômage.

Par conséquent, le PS partage l’idée soutenue par le service économique de la BCE consistant à taxer les superprofits et les grandes fortunes, et de redistribuer cette manne vers un bouclier tarifaire ciblant les ménages modestes et les PME. Cependant, le gouvernement ne veut rien entendre, préférant le dogme de la stabilité fiscale au soutien du pouvoir de vivre.

Nous préconisons de revoir et réglementer le marché de l’énergie afin que la volatilité et la spéculation soient maîtrisées et que le prix du gaz ne détermine plus celui de l’électricité. Une réforme du marché européen de l’énergie pourrait s’articuler autour d’un découplage des prix du gaz et de l’électricité et, au regard de la volatilité des prix de ces marchés, à un plafonnement. 



Nous recommandons :

  • La mise en place d’un cadre européen permettant de récupérer les bénéfices exceptionnels engrangés sur le marché de l’énergie ;

  • Une stratégie coordonnée pour promouvoir les économies d'énergie et la sécurité énergétique ;

  • La garantie d’un accès ininterrompu à l’énergie pour les ménages les plus vulnérables ;

  • Un plan de soutien aux entreprises reposant sur un fonds d’aide aux PME en difficulté ;

  • Le plafonnement des revenus des énergéticiens.


Signataires :

Franck Sempé

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