La culture condamnée - L'édition en danger


Thème : Contre la concentration et la droitisation


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Nous dénonçons l’extrême-droite qui veut contrôler la culture, l’information, l’éducation et la pensée. Nous proposons la lutte contre le libéralisme autoritaire au cœur de l’édition.

Dans les années 70, la Droite voulait reprendre la culture aux progressistes qui selon eux tenaient l’éducation nationale, les musées, le cinéma, les éditions, le spectacle vivant et dont ils redoutaient qu’ils poussent les populations à voter à gauche.

Des centrales de contre-information s’organisaient : Alain de Benoist avec le GRECE étendait son influence dans les milieux intellectuels,

La Nouvelle droite et ultraconservateurs religieux, laïcs catholiques (Opus Dei, Civitas ex Cité catholique,) pénétraient les milieux de l’éducation en privilégiant des zones (Pyrénées, Ariège) où se situent des établissements religieux privés sous contrat.

Aujourd’hui, ces officines politiques ou religieuses intégristes et identitaires ont envahi la plupart des domaines culturels.

Les idées du Club de l’Horloge ont inspiré la droite et surfent aujourd’hui sur de nombreux thèmes qui sont à son programme : immigration, droit du sol, préférence nationale, bataille culturelle et conquête des idées.

Le Rassemblement National a bénéficié de l’héritage de ce capital idéologique.

L’Extrême-Droite menait sa campagne anti culturelle : J-M Le Pen avec un ancien député d’Alger et un ancien Waffen SS fondèrent la SERP pour restituer la discographie du 3eme Reich et de l’Algérie française pour relativiser le travail des historiens.

Puis, grandes fortunes et industriels entrèrent en jeu et voulurent posséder médias et éditions et opérèrent un retournement idéologique.

La gauche n’a pas cessé de dénoncer le pouvoir des grands industriels de l’armement sur les médias qui possèdent désormais la majeure partie des médias privés et pratiquent le lobbysme afin de faire exploser le service public et L’ARCOM, leur obstacle majeur.

 

Contre-culture et recherche de normalisation médiatique

Vincent Bolloré fait partie du courant libertarien pour une société sans Etat ni conscience collective. La ligne éditoriale de l’ex C8, de Cnews, Europe 1, Canal+ (propriétés de Bolloré) est proche de milieux ultra catholiques et d’extrême droite.

Dans le domaine de l’édition, il lance ses offensives : diffusion outrancière du livre de Jordan Bardella pour la normalisation du RN et retour du très sulfureux Alain de Benoist qui défendit Génération Identitaire, association suprématiste et islamophobe.

L’éducation de nos enfants n’est pas épargnée par les adversaires du multiculturalisme et du libéralisme égalitariste issu des Lumières. Un peu partout, les adversaires des approches féministes universalistes, progressistes et écologistes étendent leur influence.

Accaparation des médias et des éditions :

Même si les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon et Microsoft) ont pris de l’importance dans la vente en ligne, l’apparition de l’empire médiatique du milliardaire L.de Lacharrière possédant ses propres canaux (Webedia, Purepeople, Puremedia, jeux vidéo) soulève de multiples craintes.

Editis et Hachette ont aussi investi dans ce secteur.

La Culture est en danger. Elle est peu à peu détruite aux USA par la puissance d’Elon Musk. Le prosélytisme fait son chemin partout en Europe et l’industrie du livre n’y échappe pas.

 

EDITION EN DANGER

La rentabilité anime ces professionnels au détriment de la culture : « la substitution d’une logique financière à une logique industrielle ne peut qu’aboutir à une catastrophe » (André Schiffrin - L’Édition sans éditeurs La Fabrique.

L’obligation de rentabilité (+10 %) dans un secteur impropre aux projections et à la centralisation du commandement entraîne la disparition du risque et de la recherche d’auteurs inconnus, piliers de l’édition.

Le contrôle des maisons d'éditions historiques

En présentant, le 26 mars 2025, dans une carte inédite de cette concentration, Laetitia Riss, les Editions Agone, Le Monde Diplomatique et le Vent Se Lève font apparaitre que 90 % de la production éditoriale est aux mains d’une poignée de grandes fortunes non loin des intérêts industriels ou financiers.

En 2023 ,10 groupes en France contrôle 8G.8% de l’édition pour 6,86 Milliards d’euros de chiffre d'affaires cumulé. (Livres hebdo, septembre 2024). Année marquée par le rachat de Hachette par Vivendi, contrôlé par Vincent Bolloré qui a lui-même vendu le groupe Editis à Daniel Křetínský.

2024, Editis rachète les éditions Delcourt (maison indépendante, BD) et Madrigall, celles de Christian Bourgois (Tolkien).

Quatre grands groupes : Hachette Livre, Editis, Madrigall, et Média-Participations

L'édition, dominée par ces groupes, contrôlent publication et distribution des livres via une grande diversité de marques et de maisons selon un large spectre littéraire, depuis les best-sellers jusqu’aux livres d’histoire ou scolaires.

Hachette Livre est le leader du marché français et le troisième au niveau mondial (150 marques dont Grasset, Fayard, J.C Lattés et Stock). Sa présence internationale (éditions Little et Brown aux E.U) en fait un acteur incontournable.

Editis, second, est une filiale de CMI dont le principal actionnaire et milliardaire D. Křetínský, a racheté Editis à Vivendi. Il contrôle 55 maisons dont Plon, Robert Laffont.

Madrigall qui en possède de prestigieuses, Gallimard, Flammarion, les éditions de Minuit devient un géant de la littérature et des sciences humaines. LVMH a 9.5 % de son capital.

Média-Participations, paradant avec des marques telles que Dargaud et Dupuis (BD), rachète en 2017 le groupe La Martinière-Le Seuil (essais). Pilier de l'édition jeunesse, religieuse et des ouvrages graphiques, son capital est majoritairement contrôlé par la famille Montagne. Vincent Montagne, PDG de Média-Participations, est le neveu de François Michelin, décédé en 2015, et participe à la gouvernance de la marque de pneus (avec entre autres actionnaires, Axa, et la Caisse des dépôts et consignations).

La majorité des livres proposés (275 marques des 4 groupes précités - Source Livres hebdo Galaxie) par les libraires provient donc d'un nombre restreint de maisons, limitant ainsi la variété des choix offerts aux lecteurs.

Ils imposent leurs conditions aux distributeurs et aux libraires, accentuant encore leur influence sur le marché.

Les acquisitions des grands groupes ont transformé le paysage éditorial français, en réduisant son nombre de maisons indépendantes. L’édition indépendante est en dessous des 10% du marché mais bien plus importante par la richesse des textes proposés.

Privilégier le potentiel commercial immédiat se traduit par un phénomène d’ultra bestsellerisation sur lequel ces consortiums mettent tous leurs moyens. 1G éditeurs sur 10.000 en France sortent la quasi-totalité des best-sellers en France dont 30% pour Hachette.

 

Enjeux, valeurs et éthique

Les structures éditoriales indépendantes respectent trois conditions :

  • Publier uniquement à compte d’éditeur
  • Ne pas être contrôlé par l’État, ou autre structure
  • Réaliser un chiffre d’affaires dont le montant annuel ne dépasse pas 10 millions d’euros.

Elles se distinguent par un engagement en faveur de la qualité littéraire et de l’éthique éditoriale, privilégient la valeur artistique et intellectuelle des œuvres. Elles peuvent refuser les publications en désaccord avec leurs valeurs et sont sensibles à l’écologie du livre sur le territoire français.

Le Tripode ou La Fabrique ont su bâtir une identité forte, en misant sur des choix audacieux et sur la qualité littéraire des contenus. Ces éditeurs ont permis à des œuvres atypiques de trouver leur public, même si leur potentiel commercial n’était pas évident au départ.

De nombreux auteurs aujourd’hui, mondialement connus, ont été découverts par des maisons d’édition indépendantes. Virginie Despentes, refusée partout, fut publiée par l’éditeur Florent Massot qui, par ailleurs, publia aussi, avec les Éditions Les Arènes, Merci pour ce moment, de Valérie Trierweiler, laquelle subissait d’amicales pressions.

Garde-fous démocratiques

L’édition indépendante joue un rôle fondamental dans la défense de la démocratie. Des voix alternatives ou contestataires s’y expriment et contribuent à la vitalité du débat démocratique.

Des ouvrages ayant dénoncé les dérives de la politique ou de l’économie française ont été publiés par des maisons indépendantes qui ont osé porter ces voix critiques malgré le risque commercial et juridique. Juan Branco ou Monique Pinçon-Charlot, ou encore le Comité Invisible (groupe d'auteurs anonymes), ont nourri le débat public sur des sujets tels que les inégalités sociales ou le néolibéralisme.

Le risque de voir certaines voix étouffées ou marginalisées est réel. Vincent Bolloré a déjà mis ce type de pratique en place dans les médias qu’il détient.

Pouvoir de marché et contrôle de la chaîne de valeur

Les éditeurs indépendants font face à des coûts de production élevés et à une concurrence déloyale. Les grands groupes imposent des prix de vente inférieurs grâce au contrôle de la chaîne logistique et à leur capacité à amortir les pertes sur d’autres segments de marché.

Des librairies inféodées

Hachette ou Editis possèdent des accords privilégiés avec les principales chaînes de librairies et les plateformes en ligne. Ils placent ainsi leurs ouvrages en tête de choix. La qualité n’y a pas sa place.

Rachat des maisons indépendantes

Les rachats d'éditeurs indépendants par les grands groupes sont le signe de pression économique. Le Seuil, maison emblématique marquée à gauche, a été rachetée par La Martinière en 2004, avant qu’elle-même ne soit absorbée par Media-Participations en 2018.

Innovation freinée

Les nouveaux auteurs ont moins de chances d'être publiés par les grandes maisons d'édition depuis 2015 (Observatoire de l'économie du livre 2023). Des auteurs installés dans leur maison historique se sont retrouvés sans éditeur et parfois contraints à se publier en édition autonome ou à compte d’auteur. Les éditeurs de grands groupes ont refusé des œuvres en raison de pressions politiques. Que se passera-t-il s’il n’y a plus d’édition indépendante pour les accueillir ?

Ripostes, contrepouvoir, et luttes

Des collectifs citoyens (Désarmer Bolloré https://deborderbollore.fr, les Soulèvements de la Terre, etc.) s’organisent pour lutter contre l’emprise de Bolloré mais aussi de son acolyte Pierre-Edouard Stérin, entré dans l’industrie du livre pour défendre le « patrimoine catholique et français ». Avec la création de Périclès, (Patriotes, Enracinés, Résistants, Identitaires, Chrétiens, Libéraux, Européens, Souverainistes), il injecte 150 millions € en soutien à ses « valeurs clés » en vue d’intégrer plus de 300 boutiques dans un nouveau réseau de librairies en France et de lutter contre le wokisme et pour la censure de certains livres. Il entreprend d’organiser quelques « 5000 événements culturels locaux » dans ces commerces puis de conquérir des centaines de mairies aux prochaines élections municipales.

 

Recommandations pour protéger l’édition indépendante

Une législation anti-concentration devrait être étendue à l'édition pour favoriser le pluralisme, lutter contre le monopole en limitant la concentration dans le secteur des médias.

Le soutien aux éditions indépendantes

Des mesures de soutien financier, subventions et des allègements fiscaux, sont nécessaires afin de garantir la survie des éditeurs indépendants ainsi que la cohésion socio-économique et territoriale.

Des circuits courts

Promouvoir les circuits courts de distribution permettrait aux indépendants de toucher directement leur public tout en réduisant les coûts de distribution.

Ces aides devraient être plus spécifiquement orientées vers les maisons d’édition indépendantes.

Des salons ou des foires du livre

Des projets collaboratifs dédiés à l'édition indépendante pourraient bénéficier d’un soutien accru pour renforcer leur visibilité tout comme des aides aux librairies qui mettent en avant ces éditeurs.

Pluralisme dans le numérique

Les plateformes en ligne devraient aussi favoriser un pluralisme équitable et une visibilité des petits éditeurs. Amazon ou Fnac dominent les ventes sur les plateformes numériques.

Réseautage et mutualisation

Créer des réseaux de collaboration soutenus par des subventions du CNL ou des DRAC aiderait l’indépendance. Ils permettraient de mutualiser les ressources pour la production, la distribution ou la promotion des ouvrages à travers des coopératives d'éditeurs, des réseaux de distribution partagée ou des groupes de promotion collective.

En France, la Fédération des éditeurs indépendants ou L'Autre Livre, des éditeurs alternatifs, ont déjà commencé à mutualiser leurs efforts.

La traçabilité : l’obligation de faire figurer le groupe ou la maison d’appartenance du livre créerait une transparence chez son lecteur.

Une volonté commune de résister

Militer en faveur d’une prise de conscience chez les auteurs : éclairer leur engagement pour une édition libre et souveraine. Certains continuent à publier chez Hachette ou au Seuil alors qu’ils défendent des valeurs contraires aux actionnaires de ces maisons.

Le droit de conscience

Instaurer un droit de conscience pour les auteurs et les éditeurs face à des positions idéologiques opposées à une éthique éditoriale et à la manière dont les convictions personnelles des éditeurs influent les publications

En avril 2025, au sein des effectifs du groupe Hachette Livre, le CSE central de la filiale éditoriale de Vivendi relayait « la honte » des salariés « d’être associés au groupe Bolloré ».

Ralentir le flux

Chaque année, libraires et éditeurs pourraient s’accorder sur une trêve des nouveautés durant une période d’un mois pour faire émerger de nouveaux manuscrits et donc de nouveaux auteurs

ECOLOGIE - ECONOMIE

Créer une taxe empreinte du livre, réguler les retours et la production, le recyclage, le pilonnage et la déperdition sont autant de combats écologiques à mener de front.

 

CONCLUSION

La concentration de l’édition incite à prendre des mesures à l’échelle nationale et européenne pour sauver les maisons d’édition indépendantes en état de sursis et permettre l’émergence de nouveaux éditeurs indépendants.

Donner les clefs de la pensée et de la parole à des milliardaires d’extrême droite est très dangereux pour nos démocraties.

Ces actionnaires sont à la tête d’entreprises responsables de la destruction de notre modèle social protecteur des classes moyennes et populaires et de l’instauration d’une pensée unique liberticide.

En défendant le pluralisme, en soutenant les initiatives des maisons indépendantes, la France et l’Europe pourraient aider à remettre en place un écosystème éditorial riche, diversifié et démocratique.


Contributeurs :

  1. Patrick DUCOME, Secrétaire du GSE Métiers de la Culture et des Medias
  2. Florent Massot, éditeur indépendant
  3. Patrick ARDOIN, Secrétaire du bureau de la CNE
  4. Rémi AUFRERE-PRIVEL, GSE Transports ferroviaires SNCF
  5. Yves BEGUIN, GSE Espace
  6. Charles CALA, Secteur La Poste
  7. Anne LE MOAL, Secteur Fonction publique
  8. Jean-Marie MARIANI, GSE Transport aérien
  9. Bernard OUGOURLOU OGLOU, Professeur d’Ingénierie Mécanique
  10. Michèle PETAUTON, Secteur Education
  11. Pierre SZTULMAN, Secrétaire du GSE Economie Sociale, Solidaire et Ecologique
  12. Alain TERNOT, Secteur Responsabilité sociétale des Organisations
  13. Rémi THOMAS, Secteur Télécommunications
  14. Christian VÉLY, GSEN Poste
  15. Marcel VILLENEUVE, Secrétaire du GSEN CEA, Secteur Nucléaire

Autres signataires

  1. Toni DELGODU, Section de La Ciotat (13)
  2. Martine CUCCARONI, Section de La Ciotat (13)

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