Thème : Laïcité
Le constat est partagé par les Français : la laïcité est menacée. Alors que la France se sécularise à grande vitesse, ils ont conscience que ce principe est l’enjeu d’un combat capital qui définit ce qu’ils sont et comment ils veulent vivre : unis dans une République indivisible.
Pourtant, par un grand retournement, la laïcité est désormais une pomme de discorde à gauche et polarise de plus en plus les opinions. Instrumentalisée par l’extrême droite, délaissée par une certaine gauche, ignorée de beaucoup par indifférence, la laïcité n’est plus ce grand combat émancipateur qui nous mobilise. En tant que socialistes, nous y voyons un recul de l’un de nos combats les plus décisifs. La laïcité doit reprendre toute sa place au cœur de notre contrat civique. Et du combat socialiste qui a parfois délaissé l’enjeu, par excès d’optimisme en étant convaincu de son intangibilité et parfois aussi par aveuglement.
Faire face à la tenaille anti-laïque
La laïcité est menacée car elle est prise en étau. Par le bas, les entorses à la laïcité se multiplient. Récemment, au cœur de notre République, dans son berceau que constitue l’école publique, l’application du principe de laïcité charrie son lot d’incivilités quotidiennes. L’affirmation des droits individuels ou collectifs déterminés par des caractéristiques de religion au détriment de l’appartenance à la communauté nationale bat son plein. Au nom d’une vision dévoyée de l’islam, des professeurs sont mis en cause. L’assassinat de Samuel Paty restera un drame national et un traumatisme collectif dont on mesure mal l’ampleur, encore aujourd’hui.
Par le haut, sur la scène politique, la droite identitaire et l’extrême droite se saisissent de la laïcité, instrumentalisant le mot pour mieux trahir le principe. Chaque évènement, chaque polémique est l'occasion d’occuper le terrain et s’en prendre aux musulmans. Alors qu'en 2003 le président Chirac avait mis en place une réflexion globale aboutissant à la loi consensuelle du 15 mars 2004, depuis une dizaine d'années, la droite identitaire et l’extrême droite ont conflictualisé la laïcité. Ils instrumentalisent. À travers elles, la laïcité devient un dogme et un instrument de combat civilisationnel. Elle devient une valeur occidentale dévoyée pour stigmatiser délibérément ou à bas bruit les musulmans, sous couvert de défense de la République. Pendant des mois de la campagne électorale présidentielle, Éric Zemmour a martelé que l’islam n’était pas compatible avec la République…
Avec l’extrême droite et la droite identitaire, la laïcité passe d’un principe juridique s’appliquant à l’État en général à un principe s’appliquant à l’ensemble des citoyens dans l’espace public en général, avec comme cible unique les musulmans. Derrière cette déformation, il y a une stratégie de radicalisation culturelle qui pousse à étiqueter, à sanctionner, à stigmatiser.
La laïcité : matrice de notre patrimoine républicain
Le résultat de cette double dérive est bien connu : la laïcité est de moins en moins comprise comme un principe de liberté et un instrument collectif pour faciliter la cohésion nationale en autonomisant le citoyen du religieux.
Alors que la République postule l’existence de désaccords dépassables entre citoyens égaux, la dérive identitaire fige des divisions indépassables entre des identités. Appartenir à la communauté des citoyens implique de mettre à distance nos différences et nos particularismes. Au contraire, dans le monde identitaire, c’est la ressemblance qui rassemble.
Rappelons que la laïcité est la matrice de notre patrimoine républicain. Ses acquis dépassent bien largement la gauche. La loi de séparation de 1905 entre les Églises et l'État a résulté d'une volonté d'unité nationale. C’est d’abord un cadre juridique protecteur, pour les croyants et les non-croyants. Sa clef de voûte intellectuelle est l'opposition de la raison au dogme. La fidélité à l’esprit laïc implique de ne pas s'ingérer dans le fonctionnement des cultes et de ne pas discriminer une religion.
Face à l’atomisation libérale et au repli identitaire contemporain, la laïcité est notre commun républicain. Elle demeure la garantie de la liberté de conscience, de religion et de conviction. Elle permet d’affirmer nos valeurs nationales et notre projet républicain tout en acceptant les différences de nos appartenances.
Nous socialistes, relançons la marche en avant de l’esprit laïc
Parce que nous croyons qu’il n’y a pas de gauches irréconciliables, il est essentiel de porter le débat au sein du Parti Socialiste et au sein de la Gauche. Pour renforcer l’union, on ne peut pas mettre nos divergences sous le tapis et les y laisser pourrir. Examinons-les pour les dépasser.
La gauche doit se méfier d’une double impasse. La première impasse à éviter est la tentation du fétichisme républicain. La République n’est pas un enjeu sectoriel. La laïcité n’est pas cette chose figée dans une loi dont la seule évocation tel un mantra suffit à la rendre intelligible. C’est encore et toujours un combat culturel, qui ne souffre aucun relâchement, les renoncements se font par petites touches, par acceptation résignée, par paresse, mais jamais par un grand soir… La deuxième impasse à éviter est l’inflexion relativiste. Nous refusons le double piège sémantique de l’islamophobie et de l’islamo gauchisme, les deux sont les revers de la même médaille identitaire. Bien sûr il faut combattre sans relâche les actes de racisme anti-musulman. Mais il nous faut également être lucide vis-à-vis des acteurs intégristes qui s’implantent et se développent avec des projets aux antipodes du nôtre.
Dans un monde qui se radicalise, l’esprit laïc est en lutte et il ne faut pas craindre d’évoquer les sujets qui fâchent et de froisser quelques soutiens au nom de notre idéal. Par exemple, il faut réaffirmer sans cesse que porter le voile n’est pas un combat féministe. En France, les femmes musulmanes ont le droit de porter le voile. Ce n’est pas un combat à mener, c’est un droit établi et qui doit toujours être défendu. Au nom de la laïcité. Pas au nom du féminisme. Il y a toujours des femmes qui défendent les instruments et les systèmes de domination masculine. C’est le même principe de laïcité qui s’applique à travers l’interdiction des signes religieux ostensibles dans les écoles, les collèges et les lycées publics. L’école de la République doit être un lieu où l’on apprend à penser par soi-même, à se construire en tant qu’individu libre, hors des pressions de son milieu social et familial. Pour pouvoir faire, ensuite, des choix d’adulte véritablement libres.
Ce qu’il se passe en Iran peut entretenir la confusion récurrente entre laïcité et féminisme, car c’est une révolte féministe qui est devenue une révolution laïque : mettre fin à la dictature des Mollahs. Une des plus belles conséquences de la laïcité, c’est qu’elle permet d’affranchir les combats féministes du champ religieux. Que le voile soit ou pas un commandement religieux fait débat au sein de l’islam, mais ce n’est pas le sujet. De même, peu importe ce que dit le pape sur l’avortement ou les évêques sur la fin de vie. Ce sont des paroles respectables et entendables comme tout courant de pensée, mais dans la limite de leur non-ingérence dans le champ de la décision collective. En République, les religions ne fixent pas de ligne rouge. Nous menons des combats politiques, nous ne faisons pas de théologie.
Soyons clairs et fermes sur les combats à mener.
Aux idiots utiles de l’islamisme de tous bords qui préfèrent diaboliser ou instrumentaliser la laïcité, aux escrocs de l’islamophobie comme l’écrivait Charb dont nous espérons que bientôt un amphi portera son nom à la Sorbonne, nous répondons que nous ne cesserons jamais ce combat ! Nous refusons le piège de la complaisance. Soyons clairs : les socialistes - et Olivier Faure en tête - ont eu raison de ne pas participer à la manifestation du 11 novembre 2019 contre l’islamophobie.
Car si nous sommes intraitables contre toutes formes de discriminations, de haine et de racisme, notamment anti-musulman, nous sommes aussi parfaitement lucides sur le projet de ceux qui veulent imposer dans le débat public le concept éminemment politique et pernicieux d’islamophobie. Pernicieux car le mot - et la bataille politique commence toujours par celle des mots - leur permet d’englober subrepticement mais méthodiquement la contestation des lois laïques.
Notre défense de la laïcité comme corpus juridique protecteur se prolonge et se confond souvent à notre attachement irrépressible aux valeurs et libertés qui cimentent eux-aussi notre pacte républicain.
Nous, socialistes, c’est au nom de la liberté d’expression, y compris le droit au blasphème, que nous sommes et demeurons Charlie.
Nous, socialistes, c’est au nom de cette tradition voltairienne, fusse-t-elle irrévérencieuse, et du droit à la liberté d’expression que nous sommes solidaires sans aucun “mais” de Mila ou de Salman Rushdie.
Nous, socialistes, c’est au nom de l’égalité femmes-hommes que nous combattons tous les obscurantismes, souvent religieux, qui dépossèdent les femmes de leur aspiration à l’émancipation.
Nous socialistes, c’est au nom du combat nécessairement unitaire contre le racisme et l’antisémitisme que nous refusons les concurrences victimaires et les assignations identitaires.
Nous socialistes, c’est au nom de notre universalisme républicain que nous refusons le racialisme et les accommodements communautaristes.
En 10 ans, le fanatisme et le terrorisme islamistes ont ciblé des policiers, des juifs, des enseignants, des journalistes et caricaturistes, des catholiques dans leur église, la jeunesse attablée aux terrasses de Paris ou au Bataclan, les familles rassemblées autour du drapeau tricolore le 14 juillet 2016 à Nice. À chaque fois, ce sont les symboles de notre idéal républicain qui étaient pris pour cibles : les juifs comme incarnation exacerbée de la promesse universaliste de la République ; la police qui protège l’ordre républicain ; les dessinateurs qui font vivre la liberté d'expression et le droit au blasphème ; les enseignants parce que l’école et la République sont intimement liés ; la France plurielle qui se rassemble.
Dans nos quartiers populaires et dans nos campagnes, les réseaux de l’islamisme politique progressent, bénéficiant parfois de la complaisance des élus de tous bords ou de l’inertie de l’Etat, la plupart du temps au détriment des réseaux d’éducation populaire. On ne le répétera jamais assez, là où les services publics reculent, là où le soutien public reflue comme par exemple avec la suppression des contrats aidés, l’islamisme progresse. La meilleure loi séparatisme n’a pas été votée : l’application méthodique du plan Borloo pour lutter contre les ségrégations sociales, territoriales et ethniques.
Faire vivre la laïcité dans les actes
Pour nous socialistes, consolider nos institutions laïques, c’est consolider en priorité la place de l’école publique : tel est notre chantier prioritaire pour faire vivre la laïcité. D’abord en outillant les enseignants, par le renforcement de la formation initiale et continue, par le soutien méthodique et
organisé de l’appareil administratif et de la hiérarchie. Ne laissons pas les personnels enseignants démunis face aux offensives téléguidées par des influenceurs islamistes dans les établissements du secondaire. Ne détournons pas les yeux comme s’il s’agirait de petites rébellions adolescentes. Ne faisons pas comme le ministre de l’éducation, qui parle d’une “laïcité positive” comme d’une baguette magique. Adjectiver la laïcité c’est l’affaiblir. Nous demandons au ministère de l’éducation nationale une nouvelle circulaire interprétative de la loi de 2004, pour interdire l’abaya et le khami comme signes religieux ostensibles.
Même si ce sujet ne se réduit pas à la laïcité, osons ouvrir un autre débat sensible : pour renforcer l’école publique, ne devrait-on pas revenir sur le financement public des écoles privées ? Pourquoi subventionner un système qui accélère la perte de mixité sociale dans nos écoles publiques, sur laquelle prospèrent les revendications communautaristes ?
Faire vivre la laïcité, c’est garantir partout et tout le temps la neutralité de l’État.
La neutralité et l’impartialité de la puissance publique vis-à-vis des religions doivent être irréprochables. Pour cela, nous proposons, dans le prolongement de ce qui figure dans l’accord de la NUPES l’interdiction pour les dépositaires publics (maire, préfet, ministre, parlementaire) de participer, de prendre la parole lors d’une manifestation religieuse. La voie publique ne peut pas être utilisée de manière pérenne à des fins cultuelles. Les bâtiments publics qui reçoivent du public ne peuvent pas abriter en leur sein des manifestations ostensibles d’une fête religieuse : les crèches n’ont rien à faire dans des halls de mairies.
Parce que la laïcité renforce l’égalité républicaine entre les citoyens, il faut aussi accepter d’examiner son application sur l’ensemble du territoire français. La loi de 1905, pour tous et partout doit être notre horizon. L’extension par étapes de la loi de 1905 à l’Alsace-Moselle, à la Guyane, à Mayotte, à Saint-Pierre et Miquelon doit être envisagée.
Par ailleurs, si la promesse de l’inscription de la laïcité dans la Constitution n’a pas été tenue, nous sommes déterminés à porter à nouveau cet engagement jusqu’à sa réalisation et à inscrire dans la Constitution que la République ne salarie ni ne subventionne aucun culte.
Faire vivre la laïcité nécessite de mobiliser toute la société en faveur de ce principe fondateur de notre contrat social.
La laïcité est le ciment de notre pacte républicain : elle lie étroitement la liberté de conscience de chacun, l’égalité de tous devant la loi et la fraternité entre les citoyens. C’est la raison pour laquelle la loi de 1905 prévoit, en son article 31, de sanctionner les auteurs de pressions à l’encontre d’une personne pour qu’elle cesse de pratiquer ou pour qu’elle exerce sous la contrainte un culte. Il faut donner tous les moyens pour appliquer cet article, pendant de l’article 1er de la loi de 1905.
La laïcité est un combat sans cesse recommencé. C’est un principe vivant qui exige la mobilisation des laïques dans la société et la mobilisation de la société par les laïques : c’est la raison pour laquelle nous plaidons pour que le 9 décembre soit un jour de fête républicaine, dédié à la laïcité et à sa pédagogie.
Pour garantir la bonne application de ces principes, nous proposons de créer un Défenseur de la Laïcité, sur le modèle du Défenseur des droits.
Le Parti socialiste doit accompagner ses fédérations dans l’organisation de débats ouverts, avec les acteurs de terrain, les citoyens, pour une laïcité bien comprise et respectée de tous. Face à la fragmentation de la société, nous socialistes devons contribuer à réhabiliter l’idéal républicain. Cela commence par réhabiliter la laïcité pour ce qu’elle est, ni plus ni moins.
Signataires :
Jérôme Guedj, député, secrétaire national à la laïcité et pacte républicain
Corinne Narassiguin, secrétaire nationale à la coordination