Thème : Stratégie
Comment nous définir, nous socialistes ? Depuis des années, congrès après congrès, en responsabilité ou non, notre parti tente de renouveler son contenu programmatique sans parvenir à faire émerger un projet de société cohérent, capable d’emporter nos compatriotes vers une profonde transformation sociale. Pourtant nos combats ne manquent pas : solidarités, écologie, démocratie, pour ne citer qu’eux ; nous les faisons exister au quotidien dans les communes, départements et régions que nous dirigeons. Alors pourquoi n’arrivons-nous pas à convaincre nationalement ? Militantes et militants, nous connaissons pourtant les maux qui traversent notre société, poussant les uns et les autres dans des retranchements de plus en plus mortifères. Alors que notre parti cherche encore sa place, nous faisons un pari : celui de ramener l’esprit de liberté à gauche, et d’en faire notre principal message contre le fatalisme ambiant.
Ne plus jouer en défense
Neuf Français sur dix estiment que leur pays est en déclin. Ce déclin s’observe à tous les niveaux. Notre système de protection sociale, dont le budget a pourtant presque doublé en vingt ans, est financièrement à genoux et maltraite ses usagers autant que ses travailleurs. La décentralisation, censée émanciper nos concitoyens en leur donnant le pouvoir de décider localement, est devenue un mille-feuilles normatif indigeste privant les collectivités de leur libre administration. Notre système éducatif, pourtant le principal rouage de l’ascenseur social, ne fait que reproduire les inégalités à tous les niveaux, générant déceptions et ressentiments.
Soyons lucides : pour les Français nos services publics n’évoquent plus l’idéal d’une société libérée de ses entraves et donnant à chacun les moyens de réaliser ses aspirations. L’administration française est devenue synonyme de services dont la qualité ne cesse de se détériorer, de règles tatillonnes et cyniques, de carrières de fonctionnaires aux avantages fantasmés qui ne parviennent plus à masquer une perte de sens généralisée, et dont les concours peinent à attirer de nouveaux entrants.
Depuis les Trente glorieuses l’Etat semble s’être rendu prisonnier de ses moyens, qui malgré leur obsolescence sont érigés en un totems intangibles. Qu’importe s’ils ne parviennent plus à atteindre leurs finalités.
Bien sûr, faire le constat du sentiment de déclassement qu’éprouve un grand nombre de nos concitoyens n’a rien de neuf. Pourtant la gauche peine toujours à s’en saisir, laissant aux autres forces politiques le champ libre pour parler du renouveau de l’action publique.
En défendant coûte que coûte la place de l’Etat plutôt qu’en interrogeant le sens de son action, la gauche se fait l’alliée du néolibéralisme. Car contrairement aux apparences, ce dernier ne signifie pas « moins d’Etat » ; au contraire, un État néolibéral est omniprésent, ultra-régulateur, étendant ses indicateurs et ses formulaires jusqu’au cœur de nos quotidiens.
Socialistes, souhaitons-nous défendre à tout prix son extension ?
Ou sommes-nous prêts à renouer avec notre héritage émancipateur, celui qui considérait la libération des femmes et des hommes comme une condition essentielle de la citoyenneté ?
Si la gauche ne parvient plus à donner aux Français les perspectives d’une vie meilleure, c’est parce qu’elle est justement à l’image de notre pays, psychologiquement résignée, constatant son propre déclin, et ce malgré les efforts pour tenter de se relever. Sur certains sujets, comme la laïcité, elle en est même venue à adopter le lexique autoritaire de la droite, celui qui stigmatise, oubliant que Jaurès faisait de l’émancipation matérielle et sociale le préalable à toute émancipation spirituelle.
Soucieux de conserver nos acquis, nous avons eu tendance à ne plus prendre de risques idéologiques, qui auraient pu froisser ou révéler des tensions internes sous-jacentes. Ces dernières années, les innovations intellectuelles ou programmatiques dont le bénéfice aurait pu être grand furent souvent disqualifiées, entraînant un appauvrissement de la vie de nos partis, condamnés à rejouer les affrontements sur des sujets d’ordre uniquement stratégique.
Comme la France, la gauche est spirituellement bloquée.
Plutôt que de tracer de nouvelles pistes d’émancipation, de sortie de la précarité, de fin des discriminations pour les Français en général et les jeunes en particulier, la gauche s’est progressivement enfermée dans un rôle de gestionnaire de patrimoine, celui de nos conquêtes du siècle passé. Sécu, statut de la fonction publique, loi de 1905, décentralisation : ces institutions que la gauche a construites au prix de batailles acharnées ont-elles encore un sens pour nos concitoyens, lorsque l’application concrète des principes auxquels ils se réfèrent paraît en décalage avec leurs préoccupations, voire insuffisante pour vivre dignement.
La gauche ne sait plus que jouer en défense, gardienne d’un passé supposé plus désirable que l’avenir, et dont la sauvegarde de ses artefacts est devenue son seul objectif politique envisageable. Animés par le désir de ménager un électorat traditionnel de plus en plus âgé, nous avons permis à d’autres forces politiques d’affirmer que le progrès était dans leur camp et que nous étions les conservateurs. Cette inversion des valeurs est insupportable.
C’est pourquoi il est urgent de rompre avec l’esprit de rente pour renouer avec celui de la conquête. Pour ce congrès nous devons sortir du mode “survie” : l’enjeu n’est plus celui des personnes, mais des idées. Il faut un choc idéologique à la tête du parti.
Faire de la liberté la nouvelle matrice idéologique socialiste
Le constat est évident : au cours des dernières années, la droite s'est approprié la thématique de la défense de la liberté. A tel point que ce principe est devenu une de ses marques de fabrique, alors qu’à gauche les références à la liberté sont comparativement assez peu nombreuses ; on s’en méfie même, lui préférant l’égalité, comme si l’une et l’autre s’opposaient.
Cette distance est bien pratique pour nos adversaires, car cantonner la gauche à la poursuite de l’égalité, perçue comme un doux rêve quelque peu candide, permet de la disqualifier du champ des responsabilités politiques, en lui objectant son manque de crédibilité.
Pourtant, l’internationale droitière promeut une vision simpliste et dévoyée de la liberté. Autoriser des pratiques climaticides, permettre la haine envers les minorités, ou éviter de contribuer aux services publics ne relèvent pas vraiment de la liberté mais plutôt de la loi du plus fort.
A rebours de leur justification libérale, ces “libertés” revendiquées de manière absolue par quelques-uns compromettent notre liberté à toutes et tous. Celle qui, héritée de la Révolution française, vise l’émancipation des peuples, des hommes, des femmes, face à l’autorité des puissants de tout ordre, capables d’imposer leur liberté au mépris de celle d’autrui.
En ayant perdu l’habitude de penser la liberté comme une de ses principales aspirations, la gauche a même commis l’erreur de récupérer l’acception imposée par les conservateurs dans le débat public.
C’est pourquoi en remettant cette liberté au centre de ses préoccupations, le Parti socialiste peut montrer qu’il se tourne vers l’avenir, en offrant aux nouvelles générations les clés de leur émancipation, davantage qu’il ne défend ce qu'il reste des acquis d’hier.
Nous devons passer du parti de “Changer la vie” à celui de “Choisir nos vies” en réinterrogeant toutes nos positions sous l’angle de la liberté, afin de permettre à chacun de vivre sa vie, choisir son destin, ne pas se voir assigné à quelque condition, ou être enfermé dans un parcours.
L’autodétermination à tous les échelons de la société, l’accès libre et gratuit à l’université, le revenu universel, le financement des retraites sur les besoins doivent aller de pair avec des réformes qui tranchent avec des appétits toujours plus conservateurs et sécuritaires : la légalisation du cannabis, le changement d’état civil libre et gratuit, la protection des travailleuses et travailleurs du sexe.
Si tu souhaites participer à construire cette stratégie, n’hésite pas à envoyer un mail à [email protected] !
Contributeurs : Nicolas Knauf (44), Clara Da Silva (75), Adrien Lehman (75), Vincent Daël (75).
Morgan Bougeard (75), Antoine Caplan (53), Rémi Cardon (80), Marie-Claude Chapat (63), Arnaud Hilion (82), Tom Jouvet (75), Jean-Christophe Laugée (75), Vincent Roudadoux (63).