La « primarisation » de l’école maternelle est en marche

Yannick Trigance, secrétaire national du PS à l'École, à l'Éducation, à l’Enseignement supérieur et à la Recherche

Prétextant l’introduction par la loi de 2019 de l’instruction obligatoire à 3 ans et le changement dans la fréquentation de l’école maternelle qui en découle, le Conseil supérieur des Programmes vient de publier une « note d’analyse et de propositions sur le programme d’enseignement de l’école maternelle ».

On rappellera en premier lieu que cette loi ne change rien à la situation actuelle puisque 97 % des enfants de trois ans étaient déjà scolarisés auparavant. Plus profonde, bien dissimulée et teintée d’une idéologie chère au ministre Blanquer, la visée de cette décision réside en fait dans l’obligation qui sera dorénavant celle des communes de financer le fonctionnement et l’entretien des maternelles privées, à parité avec l’enseignement public et pour un transfert qui s’élève à plus de 100 millions d’euros de l’État vers les collectivités.

Cette note sur le programme de l’enseignement de l’école maternelle confirme les récentes publications et circulaires ministérielles depuis 2019 et pose avec force la question de l’évolution, de l’objectif et du devenir de notre école maternelle :

  • Contrairement à son titre, nulle « analyse » des programmes n’est proposée dans cette note : les rédacteurs ont agrégé un certain nombre de textes pour remettre en cause les programmes de 2015 qui résultaient pourtant d’une véritable co-construction et qui faisaient consensus au sein de la communauté éducative ;
  • Alors que ces programmes de 2015 constituaient un juste équilibre entre les grands objectifs de l’école maternelle que sont l’accueil, l’éducation au sens large du terme et la préparation à la scolarité élémentaire, cette note réoriente très fortement les objectifs de la maternelle sur le français, les mathématiques et les sciences, effaçant d’un coup les autres domaines d’apprentissages, notamment ceux liés à la socialisation, au vivre-ensemble, à la coopération …
  • L'obsession de l’évaluation, des tests, de la performance sont ostensiblement privilégiés, plaçant l’école maternelle dans une optique tout à fait nouvelle, à savoir la préparation de la réussite aux tests de CP, au point que des évaluations sont dorénavant prévues dès 3 ans en petite section ! On imagine aisément la pression mise sur les parents, sur les enseignants et … sur les très jeunes élèves.

Au final, quelques experts proches du ministre Blanquer – entre autres Alain Bentolila, Stanislas Dehaene, Cédric Villani … – ont définitivement enterré la Charte des programmes de 2013 qui prévoyait une réactualisation des programmes dans le cadre d’un processus de concertation, ouvert et déconnecté de la seule question des évaluations et des performances scolaires.

Brandir le « lire-écrire-compter » comme moyen de réduction des inégalités sociales de réussite scolaire, c’est engager l’école maternelle dans une spirale emblématique de l’actuelle politique ministérielle : celle de la performance scolaire et de la compétition.

Véritable lieu d’éducation, d’accès au lien social, de construction de la citoyenneté, fondée sur les valeurs de solidarité, d’égalité, de coopération, de responsabilité, l’école maternelle devrait avant tout permettre à chaque enfant de développer le maximum de ses potentialités, de construire ses connaissances et ses apprentissages.

La « primarisation » de l’école maternelle engagée à ce jour n’en prend pas le chemin, loin s’en faut.

 

Lundi 14 décembre 2020

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