Thème : Reforme électorale
« Moi, président de la République, j'introduirai la représentation proportionnelle pour les élections législatives, pour les élections non pas de 2012, mais celles de 2017, car je pense qu'il est bon que l'ensemble des sensibilités politiques soient représentées. » François Hollande
La démocratie française souffre aujourd’hui d’un mode de scrutin législatif archaïque et injuste. Notre système uninominal majoritaire à deux tours, hérité de la Ve République gaullienne, déforme gravement la volonté des électeurs. À chaque élection, des millions de voix ne sont pas représentées à l’Assemblée nationale. En 2017, par exemple, avec moins d’un tiers des suffrages exprimés au premier tour, un parti a obtenu plus de la moitié des sièges (308 députés sur 577). En parallèle, des forces politiques ayant recueilli 10 à 15 % des voix se sont retrouvées avec seulement une poignée d’élus, voire aucun. Ce décalage criant entre les votes et les sièges engendre une frustration légitime chez les citoyens.
Ce constat d’injustice électorale est largement partagé. Partout dans le monde, le scrutin majoritaire est critiqué pour son caractère inéquitable. Fait révélateur, la France est l’un des rares pays démocratiques à s’entêter dans cette voie : avec le Royaume-Uni, elle est la seule démocratie d’Europe à élire encore ses députés exclusivement au scrutin majoritaire.
Au-delà de la comparaison internationale, les effets pervers internes du système actuel sont patents. Le vote majoritaire pousse à la bipolarisation forcée et au « vote utile » au détriment de la sincérité du suffrage. Il sous-représente systématiquement les courants minoritaires et étouffe la diversité politique. Par ricochet, il alimente la défiance et l’abstention : pourquoi aller voter si, de toute façon, mon choix n’a presque aucune chance d’être représenté ?
La proportionnelle : une réforme démocratique aux bénéfices concrets
Instaurer le scrutin proportionnel avec prime majoritaire aux élections législatives, c’est au contraire faire le choix de la justice et de l’efficacité démocratique. Concrètement, quels seraient les bénéfices pour nos concitoyens ?
- Une Assemblée nationale à l’image du pays : En reflétant la pluralité des opinions, la proportionnelle donnerait un Parlement-miroir de la société française. Plus aucune sensibilité importante ne serait laissée de côté. Ce gain en représentativité vaut aussi pour la diversité sociologique : les femmes, par exemple, accèderaient plus facilement aux responsabilités. Selon de nombreuses études, c'est le scrutin proportionnel de liste qui offre aux femmes le plus de chances d’entrer au Parlement. Lionel Jospin lui-même soulignait en 1995 que nous n’« avancerons vers la parité [...] que si on adopte un scrutin proportionnel ou avec une dose de proportionnelle. Un scrutin mixte en France serait la manière de réaliser une meilleure égalité hommes-femmes » (8/03/1995 Strasbourg). De même, les citoyens issus de la diversité ou de minorités politiques auraient davantage voix au chapitre à travers des groupes parlementaires reflétant toutes les composantes de la nation.
- Une vie politique plus apaisée et constructive : En finir avec le tout ou rien du système actuel permettrait de favoriser la culture du compromis. Avec la proportionnelle, la recherche de
majorités de coalition deviendra la norme ; le débat parlementaire gagnera en ouverture et en responsabilité. Plutôt que des victoires écrasantes d’un camp suivies de revanches de l’autre, nous aurons des gouvernements de coalition ou d’entente, représentatifs d’une majorité d’électeurs plus large.
- Moins d’abstention, moins d’extrêmes protestataires : Quand chaque vote compte, les citoyens se mobilisent davantage. Sentir que sa voix peut faire élire des députés redonnera envie de participer, y compris aux déçus de la politique. C’est aussi un moyen de lutter contre le sentiment d’exclusion qui fait le lit des extrêmes. Oui, la proportionnelle donnera une représentation à toutes les opinions, y compris celles que nous combattons (extrême droite notamment). En effet, à cause de la dissolution de Macron, le RN est désormais le premier parti représenté à l’Assemblée Nationale ! Intégrer toutes les forces dans le jeu démocratique, c’est les obliger à assumer leurs idées devant les autres et devant la Nation.
En somme, le passage à la proportionnelle est une réforme gagnante pour les citoyens. C’est le moyen de revitaliser notre démocratie en redonnant espoir et poids à chaque électeur, quelle que soit son opinion.
Un atout pour le Parti socialiste et la gauche
Pour le Parti socialiste, porter la proportionnelle n’est pas seulement une question de principe – c’est aussi une question de survie et d’influence dans la France d’aujourd’hui. Soyons lucides : avec le morcellement de la gauche et l’émergence de nouvelles forces, il est devenu illusoire d’espérer à brève échéance reproduire les majorités absolues socialistes du passé sous le régime majoritaire. Le risque, si rien ne change, c’est de revivre les désastres de 1993 ou 2017 où notre parti, pourtant fort de millions de suffrages, a été réduit à un groupe parlementaire famélique, impuissant pour défendre ses idées.
Le scrutin proportionnel offre au PS un nouvel espace pour exister et peser. Grâce à lui, chaque voix socialiste dans chaque circonscription du pays contribuerait à faire élire des députés. Finies, les « terres perdues » où nos électeurs, ultra-minoritaires localement, n’ont aujourd’hui aucun représentant. Par exemple, aux dernières législatives où le PS présentait des candidats indépendants sous étiquette uniquement PS (hors NUPES et NFP donc), plus de 1,7 million de Français ont voté pour le PS au premier tour – un potentiel significatif qui, avec la proportionnelle, pourrait se traduire par une cinquantaine de députés ou plus, au lieu de 30 en 2022. Bien qu’il soit compliqué de transposer les résultats des dernières élections européennes du fait que la tête de liste n’était pas du PS, on ne peut être que songeur sur le nombre de députés qui siègeraient dans l’hémicycle avec un système proportionnel si le PS avait à nouveau réuni 3,4 millions de Français après la dissolution de 2024… De même, nos alliés écologistes ou communistes ne seraient plus condamnés à la sous-représentation ; chacun pourrait former un groupe, et nous pourrions bâtir ensemble une majorité de coalition durable sur un programme de gauche réel.
Cet apport du scrutin juste dépasserait largement le seul nombre d’élus. Il nous permettrait de clarifier notre identité et notre projet. Plutôt que de diluer nos idées dans des alliances de premier tour forcées par le « vote utile », chaque composante de la gauche pourrait se présenter librement devant le peuple, avec ses spécificités, puis se rassembler après le vote sur une plateforme de gouvernement commune. Le PS a tout à y gagner : nous pourrions ainsi réaffirmer nos valeurs social-démocrate et humanistes, conquérir un électorat fidèle sur ces valeurs, tout en restant ouverts à des partenaires pour gouverner. La proportionnelle, en ce sens, c’est le contraire de la division : c’est la condition d’une union durable et respectueuse des identités de chacun.
En étant à l’avant-garde de ce combat, le Parti socialiste se poserait en défenseur cohérent du renouveau démocratique. Comment incarner la gauche de gouvernement crédible, si nous ne défendons pas nous-mêmes un système institutionnel plus juste qui nous permettra demain de gouverner avec d’autres plutôt que contre une majorité du pays ? Au sein du NFP et plus largement de l’opposition, nous serions légitimes pour fédérer tous ceux qui veulent cette réforme – car nous l’aurions portée haut et fort. C’est également un levier pour renouer avec certains électorats centristes ou abstentionnistes attachés à la rénovation des institutions. Bref, sur le plan stratégique, c’est tout bénéfice pour le PS : plus de voix, plus d’alliés, plus de cohérence entre notre discours et nos actes.
L’urgence du changement, c’est maintenant : une opportunité historique à saisir Attendre serait une erreur fatale. Il y a urgence démocratique à agir, et le contexte n’a jamais été aussi favorable pour imposer la proportionnelle.
D’abord, l’urgence vient de la situation de notre démocratie elle-même. Le quinquennat qui s’achève a vu s’accumuler les signes de malaise institutionnel : abstentions record, violences sociales, Parlement affaibli par les ordonnances et le 49.3, montée des extrêmes... Le tout sur fond d’une Assemblée élue en 2024 où aucune force n’a la majorité absolue, ce qui a conduit à un blocage inédit avec des gouvernements qui ne restent en poste que quelques mois. Ce scénario chaotique était prévisible : c’est le produit de notre système électoral dépassé qui, en 2017, avait fabriqué artificiellement une majorité écrasante pour ensuite la pulvériser cinq ans plus tard. Allons-nous continuer ainsi, au risque d’un effondrement définitif de la confiance citoyenne ?
Ensuite, l’opportunité politique est réelle. Même le président de la République en convient : Emmanuel Macron avait promis d’instiller une dose de proportionnelle dès son élection en 2017 (5/03/2017 entretien dans Mediapart) et a récemment déclaré qu’une part de proportionnelle aux législatives serait « bonne pour la démocratie ». Certes, ses paroles n’ont pas été suivies d’effet – l’introduction de 15 % de sièges à la proportionnelle, prévue dans son projet de réforme de 2018, a été reportée puis enterrée en 2021. Mais cet aveu au plus haut niveau de l’État montre bien que le débat est mûr.
Par ailleurs, l’actualité nous rappelle que d’autres scrutins fonctionnent déjà à la proportionnelle, y compris en France. Les élections européennes, depuis longtemps proportionnelles, n’ont pas empêché la stabilité des majorités au Parlement européen, tout en permettant à toutes les sensibilités françaises d’y être représentées (y compris le PS, qui dispose ainsi d’élus pour porter sa voix à Bruxelles même lorsqu’il est faible au niveau national). De même, nos élections municipales et régionales comportent une part de proportionnelle (mêlée à une prime majoritaire), ce qui a encouragé l’émergence de majorités locales équilibrées et inclusives. Nous ne partons pas de zéro : la culture du scrutin de liste existe déjà dans notre pays, il suffit de la généraliser aux législatives.
Fidèle aux valeurs socialistes : un combat porté par nos figures historiques
Revendiquer la proportionnelle, ce n’est pas trahir l’histoire du Parti socialiste – c’est au contraire prolonger ses plus nobles combats. Depuis toujours, les socialistes luttent pour approfondir la démocratie et la justice sociale, main dans la main. Comme le disait Jean Jaurès, « la République n’est rien sans l’idée de justice » – et comment y aurait-il justice quand le suffrage de tant de Français ne compte pas pleinement ?
Tout au long du XXe siècle, nos figures majeures ont défendu l’idée d’une représentation plus juste. François Mitterrand, dans son opposition au gaullisme, dénonçait la confiscation du pouvoir par une minorité. Devenu président, il a eu le courage politique d’introduire la proportionnelle aux législatives de 1986, brisant ainsi le monopole des grands partis et permettant à toutes les sensibilités d’entrer à
l’Assemblée nationale. Dès janvier 1985, il assumait clairement cette orientation, déclarant vouloir
« infuser, à des degrés divers, de la proportionnelle dans la plupart de nos élections », car à chaque fois que l’on peut « instiller de la proportionnelle dans nos modes de scrutin [...], ce sera bien » (16/01/1985 sur antenne 2). Cette conviction de Mitterrand reposait sur une valeur simple : le suffrage universel doit être égal pour tous.
Lionel Jospin, quant à lui, a poursuivi ce fil en liant la proportionnelle à un autre idéal socialiste, celui de l’égalité entre les femmes et les hommes en politique. On l’a vu plus haut : en 1995, Jospin proposait d’introduire une dose de proportionnelle, affirmant qu’un scrutin mixte était « la manière de réaliser une meilleure égalité hommes-femmes » (10/03/1995 dans un entretien au Monde). Il comprenait que la démocratie ne peut progresser que si elle s’ouvre à la parité et à la diversité – et que le mode de scrutin est la clé de cette ouverture.
Porter aujourd’hui le flambeau de la proportionnelle, c’est s’inscrire dans la continuité de ces combats. C’est faire honneur à notre histoire et à nos valeurs de justice, d’égalité, de fraternité. Aucune de nos grandes figures n’a jamais eu peur d’approfondir la démocratie – ne les décevons pas.
Enfin, comment ne pas citer aussi les socialistes d’aujourd’hui qui relaient ce combat ? Des responsables et bien d’autres au sein du parti plaident pour renouer avec nos fondamentaux et revivifier notre République. Ils savent que cette bataille pour le scrutin proportionnel n’est pas une lubie technocratique, mais bien un choix de société cohérent avec l’idéal social-démocrate : celui d’une République où chaque voix compte et où le pluralisme est une richesse, pas un obstacle.
Ensemble, mobilisons-nous pour cette réforme indispensable
Chers camarades, le diagnostic est clair et les solutions le sont tout autant. Le mode de scrutin actuel trahit nos principes républicains d’égalité et de représentation. Le scrutin proportionnel est la réforme de bon sens qui peut redonner un nouveau souffle à notre démocratie. En tant que socialistes, nous avons le devoir moral et politique de la porter.
Ce texte n’est pas qu’un catalogue d’arguments : c’est un appel. Un appel à chacune et chacun d’entre vous, militants socialistes, pour qu’ensemble nous portions haut cette exigence lors de notre congrès et au-delà. Notre parti a souvent été à l’avant-garde des grands progrès démocratiques en France – aujourd’hui, c’est à nous de reprendre ce flambeau.
Signer cette contribution « La proportionnelle maintenant ! », c’est envoyer un message fort : celui d’un Parti socialiste qui ne renonce ni à ses valeurs ni à sa capacité d’initiative. C’est montrer aux Français que nous avons entendu leur soif de renouvellement démocratique et que nous sommes prêts à y répondre concrètement. C’est aussi nous donner les moyens, demain, de mettre en œuvre notre projet social, écologique et républicain dans des institutions plus justes.
Ne laissons pas passer cette chance historique. Maintenant est le moment d’agir, maintenant est le moment d’y croire. Ensemble, portons la proportionnelle, non comme une simple réforme technique, mais comme l’espoir d’une démocratie retrouvée, vivante, vibrante, où chaque citoyen aura le sentiment d’être respecté et écouté. C’est ainsi que nous renforcerons la République et que nous redonnerons confiance en la politique.
La proportionnelle, c’est la justice maintenant, la démocratie maintenant, et c’est la voie d’un avenir meilleur pour la France. Mobilisons-nous dès aujourd’hui pour que ce rêve de justice électorale devienne enfin réalité !
Premier signataire Mathieu GITTON membre du bureau national des adhésions