La social-technologie : pour le progrès, sans les dérives


Thème : Technologies


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Internet, comme tant d’innovations technologiques, est né d’un rêve : celui de l’égalité, de l’accès universel àla connaissance, du dialogue entre les peuples, d’une intelligence enfin partagée. Mais voilà que l’utopie s’est muée en piège.

Ce qui devait éveiller les esprits, les assomme. Ce qui devait libérer les citoyens, les enferme.

Et dans cette illusion d’omniscience numérique où tout semble accessible, jamais nous n’avons été aussi vulnérables — livrés à des flux d’informations qui désinforment, qui fracturent, qui isolent chacun derrière un écran.

Or cette révolution, immense, brutale, se fait sans que le peuple ne le décide vraiment. Aux États- Unis, des intérêts libertariens privés conquièrent l’État et imposent leur ligne au reste du monde, plongeant l’Union européenne, pourtant pionnière pour adopter des législations pour protéger ses citoyens, dans l’apoplexie. En Chine, le régime s’érige en empire numérique clos. Ce sont deux modèles aux antipodes de notre idéal français et européen : celui d’une démocratie sociale, libre, éclairée.

La France ne survivra pas à une dépossession de sa souveraineté numérique. Car derrière chaque ligne de code, il y a un choix. Derrière chaque plateforme, une vision du monde. Derrière chaque dispositifs, des intérêts commerciaux. Recourir aux outils des autres, ce n’est pas seulement les utiliser : c’est adopter leurs valeurs, leurs logiques, leur dessein, et finir par en dépendre.

À qui revient la charge de dire non à ces dérives ? À qui, sinon à la gauche, de rappeler que le progrès n’est pas le changement pour le changement, mais l’émancipation pour tous ? Que l’innovation n’a de véritable valeur que si elle sert le peuple ?

Loin des fantasmes technophobes comme des discours de fascination, le Parti socialiste peut être la force politique qui redonne du sens au progrès technologique, et qui en fait un levier d’émancipation collective.

Car nous ne voulons pas simplement protéger les citoyens contre les excès du capitalisme numérique. Nous voulonsà l’inverse faire du numérique une épopée populaire : un projet qui crée de l’emploi, qui forme les esprits, qui soutient la démocratie, qui reconnecte les Français à la puissance publique et à l’horizon du bien commun. Nous voulons des technologies qui créent de l’activité pour notre pays, relancent nos industries, renforcent et déploient nos services publics et servent le vivre ensemble.

Ainsi, nous affirmons que le Parti socialiste est aujourd’hui la seule force capable d’articuler cette double exigence : protéger contre les dérives de la société algorithmique, et embarquer toute la société dans un récit collectif, enthousiasmant et inclusif.

 

I. Redonner du pouvoir aux citoyens face aux plateformes et algorithmes

A mesure que les technologies se sont installées, elles n’ont pas seulement transformé nos usages, elles ont déplacé l’axe du pouvoir. Le citoyen a cédé la place à l’usager passif, qui consomme sans nécessairement encomprendre les règles du jeu. Le travailleur protégé est devenu une variable d’ajustement algorithmique, notée,géolocalisée, invisibilisée. L’enfant, qui cherchait à apprendre et à explorer, est devenu une cible attentionnelle, happée par des interfaces conçues pour capter, pas pour éveiller.

Ce grand bouleversement s’est opéré au détriment des plus fragiles et, à bien des égards, sans que le peuple ne le décide. Nous devons redonner le pouvoir aux citoyens face aux plateformes et aux algorithmes.

1. Protéger les plus jeunes dans un univers conçu pour capter, précariser, isoler 

Les effets des nouvelles technologies sur les plus jeunes sont désormais documentés : troubles anxieux, perte de concentration, hyperstimulation. L’OMS parle d’une crise de santé mentale des jeunes à l’échelle mondiale, aggravée par la pression sociale en ligne et les contenus extrêmes.

Le Parti socialiste ne peut être passif face à ces constats alarmants. Nous devrons interroger les Français sur l’interdiction des réseaux sociaux aux moins de 16 ans, hors cadre pédagogique - ce qui se fait dans d’autres pays et commence à porter ses fruits. Il faudra créer une Autorité de protection des mineurs en ligne, dotée de réels pouvoirs de régulation et de sanction, à l’image de la KJM allemande. À l’échelle européenne, avec le Digital Fairness Act, nous proposerons également un véritable code de l’attention numérique : suppression du scroll infini, régulation des likes, interdiction du ciblage publicitaire comportemental sur les mineurs. Les plateformes devront se plier à une ergonomie responsable.

Une campagne nationale — Ta vie vaut plus que tes vues — portera ce message auprès des adolescents. Car la santé mentale, considérablement abîmée par l’enfermement de cette jeunesse en ligne, doit devenir un enjeu public majeur à part entière. Cette campagne proposera des consultations remboursées pour les jeunes, un accompagnement spécifique sur les troubles liés à l’hyperconnexion, et l’interdiction des publicités toxiques (chirurgie, dopage cognitif, paris en ligne).

2. Donner aux travailleurs du numérique les protections du droit commun

Le progrès ne justifie pas la régression sociale. Il appelle, au contraire, un surcroît de justice. Les grandes plateformes ont contourné le droit du travail sous couvert de modernité et de flexibilité, réintroduisant un vieuxmodèle : celui du travailleur taillable et corvéable à merci, sans droits. Uber, Deliveroo, Amazon (et tant d’autres !), derrière ces noms, ce sont des vies précaires, notées, géolocalisées et pilotées par des algorithmes opaques.

Face à cette exploitation déguisée, nous affirmons un principe clair : tout travailleur exécutant ses missions via une plateforme numérique qui organise, contrôle et évalue son activité, doit être reconnu comme salarié, avec l’ensemble des droits que cela implique (y compris le droit syndical). La directive sur les travailleurs desplateformes a permis de mettre un coup d’arrêt à des pratiques abusives comme les licenciements automatisés ou enétablissant une présomption légale réfutable d’emploi. Néanmoins, la requalification ne peut plus dépendre de batailles judiciaires individuelles : elle doit devenir la règle. Mais la domination numérique ne s’arrête pas au statut juridique. Il faudra proposer un Code du travail numérique, protégeant les salariés des abus algorithmiques.

3. Éduquer pour ne pas subir : lire, écrire, coder

Dans un monde saturé d’images, d’algorithmes et de récits générés par des machines, l’esprit critique numérique est devenu plus qu’essentiel. Ce que fut l’alphabétisation au XIXe siècle, l’acculturation numérique doit l’être au XXIe.

L’école de la République doit redevenir le rempart contre les manipulations. À l’image de la Finlande, pionnière en Europe, nous porterons dès le collège l’idée d’une éducation critique au numérique : apprendre à déjouer les biais cognitifs, reconnaître la désinformation, comprendre les logiques des bulles de filtre et des algorithmes de recommandation. Former des citoyens capables non seulement d’utiliser les technologies, mais d’en interroger les mécanismes.

Et parce que la technologie reproduit encore les inégalités de genre, nous ne devons pas nous contenterd'investir dans les filières scientifiques et de diversifier les filières techniques. Nous devons aller chercher les jeunes filles là où elles sont actuellement, dans les lettres, les arts, les sciences humaines. Le code doit y être enseignécomme une langue vivante. Pas seulement pour produire des techniciens, mais pour démocratiser l’accès aux logiques de conception, de modification, de maîtrise.

 

II. Faire de la France un leader technologique au service de l’intérêt général

Le défi technologique du XXIe siècle n’est pas d’accélérer encore. Pour être un leader dans le domaine, la France va avant tout devoir choisir pourquoi, comment, et pour qui nous innovons. Elle doit redevenir une puissanced’innovation au service de ses citoyens, de ses services publics, de sa transition écologique. Face aux logiques de marché, la gauche doit imposer la logique du bien commun.

1. La technologie au service du public

Les Français ont, plus que jamais, besoin de services publics accessibles, efficaces, humains. Dans trop deterritoires, dans trop de démarches, dans trop de moments de vie, le service public ne peut plus tenir ses promesses. Cette situation est une fracture démocratique silencieuse, dont les conséquences sont immenses sur le lien social, le consentement à l’impôt, et la cohésion de la nation.

L’intelligence artificielle, si elle est maîtrisée par la puissance publique, peut révolutionner l’action administrative. En automatisant les tâches répétitives, en repérant les non-recours, en orientant mieux les usagers, elle libère du temps humain là où il est vital : dans les hôpitaux, les guichets, les salles de classe.

Nous souhaitons la création d’un Institut public de l’intelligence artificielle pour les services publics, chargé dedévelopper des modèles souverains, éthiques, explicables, conçus pour répondre aux besoins publics concrets de la société française, en lien son écosystème. Cet institut devra travailler en partenariat avec l’Inria, les universités, les collectivités territoriales et les entreprises françaises à la pointe de ce sujet, dans une logique d’innovation ouverte. Il portera des projets dans les secteurs où le service public est attendu et en souffrance : la santé, l’éducation, la justice, l’aménagement du territoire, le logement social, l’accès aux droits.

Nous pensons également qu’un grand plan d’investissement public pour développer ce que nous appelons descommuns algorithmiques sera nécessaire : des systèmes conçus dans le cadre public, accessibles, auditables, mis auservice d’un progrès partagé. Comme l’État a mis à disposition des citoyens et des entreprises des routes et des services postaux lors des siècles précédents, il doit désormais investir dans des modèles d’intelligences artificiellesaccessibles au plus grand nombre.

2. Réconcilier transition écologique et technologies

L’innovation ne peut ignorer les limites physiques du monde dans lequel elle s’inscrit. À rebours de certains discours technolâtres, nous affirmons que le progrès ne peut être considéré comme tel que s’il respecte les équilibres écologiques sur lesquels repose la vie humaine. La technologie, souvent présentée comme immatérielle, est aujourd’hui l’un des secteurs dont la trajectoire environnementale est la plus préoccupante.

Nous devons en tirer les conséquences. Le récit français de la transition numérique doit être celui d’une technologie sobre, utile, maîtrisée. Nous nous battrons pour des mesures visant à limiter l’implantation de nouveaux centres de données alimentés seulement par des énergies fossiles ou pour l’obligation d’écoconception pour tous les logiciels publics, intégrant critères énergétiques et durabilité.

Les nouvelles exigences françaises et européennes de reporting extra-financier doivent s’appliquer pleinement aux entreprises numériques. Cet audit est clé pour repenser nos infrastructures, limiter nos dépendances et renforcer notre résilience. En parallèle, une filière numérique responsable — axée sur la réparabilité, le reconditionnement et lacircularité — réduira notre dépendance aux matériaux critiques et améliorera le bilan carbone du secteur.

 

III. Défendre notre souveraineté démocratique face aux empires numériques

Depuis janvier 2025, l’équilibre mondial a franchi un seuil critique. À Washington, l’investiture de DonaldTrump a consacré non seulement le retour du populisme conservateur, mais aussi l’entrée assumée des oligarques dela Silicon Valley dans les cercles du pouvoir exécutif. Ce basculement américain doit alerter les démocraties européennes : c’est un modèle civilisationnel qui tente de s’imposer à l’Europe, fondé sur la dérégulation radicale au détriment des citoyens.

1. Briser le pouvoir des géants numériques

Les grandes plateformes numériques ont dépassé depuis longtemps le statut d’entreprises. Elles sont devenues des puissances systémiques, capables d’influencer des élections, de fausser la concurrence, de capter despans entiers de nos économies. Elles dictent désormais les règles du jeu — sans contre-pouvoirs réels.

La France, dans le cadre d’une alliance européenne ambitieuse, doit porter une stratégie de démantèlement des monopoles technologiques, adossée à une stratégie industrielle de développement d’alternatives libres européennes.Ce n’est pas une provocation, c’est une exigence économique, culturelle et démocratique. Le Parti démocrate auxÉtats-Unis lui-même défend cette orientation depuis plusieurs années. La France ne peut rester timorée là où d’autres, plus exposés, osent.

En France et en Europe, le droit de la concurrence doit non seulement sanctionner les abus de position dominante, mais démanteler les architectures économiques qui prospèrent sur la radicalité et l’opacité. C’est une question de pluralisme démocratique, de santé publique mentale, et de souveraineté économique.

2. Lutter en ligne contre les ingérences étrangères

Des armées d’influence étrangères opèrent sur les plateformes, sous couvert de comptes anonymes, pour semer ladiscorde, miner les institutions, ou manipuler les scrutins. La démocratie est devenue une cible algorithmique.

Face à cette menace, la France ne peut se contenter de modérer les contenus à la marge et doit agir à la hauteur dupéril. Aujourd’hui, la France manque d’un organe transversal, civil-militaire, dédié à la défense de l’espace public démocratique en ligne, qui ne soit ni purement régalien (COMCYBER), ni limité à la régulation des plateformes (ARCOM), ni seulement chargé de protection des données (CNIL). C’est pourquoi nous proposons la création d’un Haut Commissariat à l’Intégrité de l’Espace Public Numérique. Il faudra aussi reprendre la main sur le fonctionnement même des plateformes : les réseaux sociaux doivent être considérés comme des espaces publicsrégulés, et leur soumettre les principes républicains parmi lesquels l’obligation de neutralité.

*

Les Français ont été dépossédés de l’espoir que portait le numérique. Ce qui devait émanciper a souvent isolé, aliéné, désinformé. Ce n’est pas une fatalité : c’est le résultat des choix que nous avons laissés faire. Des technologies livrées aux intérêts privés, aux logiques de puissance, à des modèles qui nous échappent.

La responsabilité de la gauche est claire : remettre la technologie au service du peuple. Investir dans un numérique émancipateur, en combattant ses dérives.

Face aux logiques de prédation — qu’elles viennent de la Silicon Valley ou de Pékin —, nous devons aider à bâtir un numérique souverain, démocratique, écologique et social.

Car la technologie n’est jamais neutre : elle prolonge le projet politique de ceux qui la possèdent. À nous de faire en sorte qu’elle serve à nouveau l’intérêt général.


Contributeurs :

Rédacteurs.trices : Julie MARTINEZ, Pierre JOUVET (Secrétaire général du Parti socialiste, Conseiller départemental de la Drôme)

Premiers signataires : Alain Lécluse (26) Secrétaire de section Bourdeaux Dieulefit, Alejo Verga (92), Alexane Riou (75) SNA Enseignement Supérieur et Recherche, Anna Pic (50) SN, Arthur Delaporte (14) Député, Arthur Latourte (08) AF des JS08 SF à la communication, Baptiste Maurin (33) Adjoint au Maire de Bordeaux, Béatrice Merle (33), Brice Gaillard (92) Premier fédéral, Brigitte Marciniak (56), Carole Delga (31) Présidente de la région Occitanie, Caroline Meynet (74), Chloé Ridel (30) députée européenne, Damien Lerouge (08) Premier Secrétaire Fédéral, Delphine Lauricella (971) BF, Emma Rafowicz (75) Présidente des Jeunes socialistes, députée européenne, Emmerlinck François (62) Secrétaire de section secrétaire fédéral, Estelle picard (79) CN, Etienne Delhomme (26) Administrateur Communication, Fabrice de Comarmond (31) Président du BNA, Conseiller Régional Occitanie, Fanny Pidoux (45), Fatima Yadani (75) Trésorière nationale, Flavien Cartier (86) Première secrétaire fédéral de la Vienne, Conseiller municipal de Pleumartin, Franck Gagnaire (37) Premier secrétaire fédéral et Secrétaire national, François Briançon (31) Premier Secrétaire fédéral, François Schmitt (59) Secrétaire de Section, Membre du CF, Françoise de Percin (971) Présidente du Bureau Financier, Gilles Ruchon (26), Grégoire Chapuis (45), Ingrid Berthou (29) Animatrice de la 6ème circonscription du Finistère, Déléguée fédérale à la formation, Jean Bernard (77), Jean-Philippe Berteau FFE Secrétaire de section, Julie Martinez (92), Julien Lay (92) Secrétaire fédéral, Laurence Perez (26) maire, Lotfi Moussa (92) SNA nouveaux adhérents, Luc Broussy (95) Secrétaire national, Lucien Stanzione (84) Premier secrétaire fédéral, Sénateur, Marie Claude Cristin (26) Secrétaire de section, Martine Philippe (17), Mathieu Bogros (03), Max Feschet (26) , Morgan Bougeard (75) Conseiller National suppléant, Secrétaire National des Jeunes Socialistes, Nadège Azzaz (92) Maire de Châtillon, CR IDF, Nathalie Police (26), Nathanaël Suaud (81), Ninuwé Descamps (83), Olivier Faure (77) Premier Secrétaire, Philippe Lagarrigue (12) Secrétaire Section, Pierre Flecheux (51), Rémi Cardon (80) Sénateur de la Somme, 1er fédéral, Romain blachier (69), Sadoun Marc (75) Secrétaire National, Sarah Kerrich (Nord) Premier fédéral, SN, Conseillère régionale des Hauts de France, Serge Méry (11) Conseil fédéral, Stéphane Jouanny (42) Membre Conseil Fédéral Loire, Sylvie Mercier (79), Thiébaut Weber (68) Secrétaire national, Thomas Roller (13) Secrétaire national à la vie associative, Yann Moreau (34), Yannick Ohanessian (13), Yannick Trigance (93) Secrétaire national école collège lycée , conseiller régional


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