LA SOLIDARITÉ EUROPÉENNE : UNE UTOPIE NÉCESSAIRE

Thème : Europe


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LA SOLIDARITÉ EUROPÉENNE : UNE UTOPIE NÉCESSAIRE

 

« Les personnes en situation de handicap ne relèvent pas d'un type humain à part. Comme tous les êtres humains disséminés sur la planète, elles sont des variations sur un même thème : le fragile et le singulier. Elles ne sont pas d'étranges étrangers derrière des allures bizarres, floues désactivées, lointaines, que l'on identifie à leur syndrome. » Charles Gardou

À l’heure où les débats politiques semblent paralysés face à l’urgence d’une intégration sociale accrue, les discussions académiques, elles, ont fleuri avec vigueur, éclairant les contours complexes d’une Europe sociale solidaire et juste. Au cœur de ces échanges, une interrogation essentielle émerge : quel niveau de justice sociale l’Europe peutelle légitimement offrir à ses citoyens, et selon quels principes structurer cette solidarité ? C’est dans cette dialectique incessante entre normes morales et réalités institutionnelles que doit être pensée la solidarité européenne, non comme une abstraction vertueuse mais comme une nécessité concrète, vitale à la survie même du projet européen.

SOLIDARITÉ TRANSNATIONALE : ENTRE LIBERTÉ ET RESPONSABILITÉ

La libre circulation des personnes constitue sans doute la réalisation la plus visible de l’idéal européen, pourtant elle révèle aussi les défis ardus liés à l’ouverture des espaces nationaux de solidarité. Le marché unique, en brisant les frontières économiques, a également ouvert la voie à des tensions sociales, où la menace du dumping social résonne avec force dans les débats contemporains. Ainsi, des travailleurs détachés, issus souvent des périphéries économiques de l’Europe, deviennent parfois les victimes malgré eux d’un modèle économique qui peine à garantir l’équité.

Face à ces tensions, une jurisprudence complexe s’est tissée à travers la Cour de justice de l’Union européenne, dessinant progressivement les frontières délicates entre mobilité professionnelle et justice sociale. La directive révisée sur le détachement des travailleurs incarne cette tension constante entre libéralisation économique et protection sociale accrue, montrant que l’Europe peut, lorsqu’elle le veut vraiment, concilier marché unique et dignité humaine.

SOLIDARITÉ INTERÉTATIQUE : DE LA DIVERGENCE À LA CONVERGENCE

L’Europe n’est pas une simple juxtaposition de modèles sociaux, mais bien un réseau dense et interdépendant où les crises économiques ont révélé l’urgence d’une solidarité entre États. La crise financière de 2008, transformée en crise de la dette, a dramatiquement mis en lumière les fractures profondes au sein de l’Union monétaire, accentuant les inégalités entre un centre européen prospère et ses périphéries en difficulté.

Cette réalité impose à l'Europe de réfléchir à des mécanismes concrets et efficaces, capables de pallier les effets dévastateurs des crises économiques sur les pays les plus fragilisés. C’est précisément dans ce cadre que s'inscrit le débat autour de mécanismes tels que la garantie jeunesse et le projet d'une assurancechômage européenne. Ces instruments représentent une avancée considérable, porteurs d'une vision d’avenir où la solidarité européenne serait plus qu’un vœu pieux, mais bien une réalité institutionnalisée et palpable pour chaque citoyen.

SOLIDARITÉ NATIONALE : ENTRE AUTONOMIE ET INTERDÉPENDANCEpage1image18404224 

Si les États demeurent souverains dans leur gestion des politiques sociales, leur autonomie s’est considérablement érodée face aux exigences de convergence économique imposées par l’Union européenne. Les réformes structurelles préconisées au sein du Semestre européen, bien qu’affichant parfois une ambition progressiste, révèlent trop souvent une inclination néolibérale. Elles privilégient ainsi la flexibilisation du marché du travail au détriment d’une véritable sécurité sociale des travailleurs, exposant davantage les plus vulnérables.

Face à ces contradictions, l’Europe doit s’engager résolument sur la voie d’un investissement social ambitieux, capable de moderniser les systèmes nationaux tout en préservant leur capacité à protéger efficacement les citoyens. Le socle européen des droits sociaux, proclamé en 2018, pourrait devenir le pivot de cette stratégie, à condition toutefois que les intentions proclamées se transforment en engagements réels, concrets et contraignants.

LA SOLIDARITÉ ENTRE ÉTATS : LE TEST DE L’INTERDÉPENDANCE

Les mécanismes de stabilisation et de redistribution entre nations, longtemps perçus comme un rêve lointain, ont progressivement émergé sous l’aiguillon des crises. La situation de l’euro face aux chocs successifs a imposé de nouvelles règles budgétaires plus flexibles, témoignant d’une volonté d’éviter l’éclatement de l’UEM et d’amorcer une convergence socioéconomique plus tangible. Selon la Banque centrale européenne, les disparités régionales, mesurées en 2023 à travers l’écart des PIB par habitant, demeurent fortes malgré l’amorce de politiques plus coopératives.

La crise énergétique, puis la flambée des prix, ont rappelé la nécessité de mettre en place des mécanismes communs de soutien. Les fonds européens ont été mobilisés pour aider les régions les plus vulnérables ou soutenir les secteurs les plus touchés. La mise en débat d’une assurancechômage paneuropéenne, ou l’extension possible du mécanisme SURE, participent d’une ambition nouvelle : créer une forme de couverture commune pour amortir les récessions, réduire les inégalités de trajectoire et renforcer la résilience continentale.

LES FRONTIÈRES DU PROJET SOCIAL NATIONAL

Dans la plupart des États membres, l’Étatprovidence demeure encore l’armature principale de la protection sociale. Pourtant, l’expérience des crises récentes a souligné que les politiques purement nationales ne suffisent plus. L’activation des marchés du travail, la lutte contre les discriminations en matière d’emploi et la révision des régimes de retraite se négocient désormais au sein d’un Semestre européen, instrument qui, depuis 2011, œuvre à coordonner les efforts budgétaires et sociaux.

Ce système, d’abord accusé de négliger l’investissement social, s’est lentement réorienté. En 2023, la Commission européenne a souligné la nécessité de stimuler davantage la formation continue et la reconversion professionnelle. Les États longtemps hostiles à un salaire minimum statutaire commencent à infléchir leur position, conscients qu’une dynamique collective de convergence salariale contribue à stabiliser la demande intérieure et à réduire la pauvreté laborieuse.

L’AMBITION D’UNE CONVERGENCE PAR LE HAUT

Pardelà la coordination budgétaire, c’est un idéal plus profond qui se dessine : élever globalement les conditions de vie en Europe. La notion de « convergence par le haut » symbolise la volonté d’assurer à chaque individu, dans chaque région, l’accès aux ressources éducatives, à la santé, à un logement et à un revenu décent, tout en reconnaissant les spécificités culturelles de chaque nation.

Or, la marche vers cet idéal est loin d’être linéaire. Les inégalités demeurent criantes et la trajectoire de certains pays, fragilisés par la dette publique ou le manque d’infrastructures, n’a pas toujours trouvé

un appui suffisant. L’idée d’un service européen d’assurancechômage, maintes fois évoquée, cristallise l’ambivalence : elle apparaît comme un outil de stabilisation macroéconomique essentiel, mais se heurte à la méfiance de gouvernements peu enclins à partager davantage de souveraineté.

LA RESPONSABILITÉ D’UNE MODERNISATION PROGRESSISTE

À mesure que la compétition internationale s’intensifie, que la numérisation transforme les métiers et que la transition écologique s’affirme comme la priorité absolue, l’Europe doit concevoir une voie collective pour accompagner cette modernisation. Le discours sur l’investissement social, qui promeut des politiques d’éducation, de santé et d’inclusion au détriment de la seule logique de réduction de dépenses, trouve une audience croissante parmi les responsables politiques et la société civile.

En 2022, le budget européen consacré à la cohésion a atteint un nouveau palier, illustrant la volonté de soutenir les régions moins prospères ou confrontées à des reconversions difficiles. Les programmes d’aide à l’emploi des jeunes, inspirés de la garantie pour la jeunesse, se renforcent. Les expérimentations, qu’il s’agisse d’allocations planchers ou de minima salariaux, se multiplient dans l’optique de lisser les divergences tout en préservant la diversité des modèles sociaux.

L’Union européenne est fondée sur les valeurs de solidarité, d’égalité et de nondiscrimination. Pourtant, ces valeurs sont trop souvent mises à mal par les crises économiques, sociales et environnementales, qui creusent les inégalités, aggravent la pauvreté et excluent les plus vulnérables. Face à ces défis, l’UE doit renforcer sa cohésion sociale et territoriale, garantir les droits fondamentaux de tous ses citoyens et promouvoir la diversité et le dialogue interculturel. De plus, nous proposons les mesures suivantes :

Mettre en œuvre le socle européen des droits sociaux, qui énonce 20 principes et droits pour soutenir un fonctionnement équitable et efficace des marchés du travail et des systèmes de protection sociale1. Ces principes concernent notamment l’accès à l’éducation, à la formation, à l’emploi, aux soins de santé, au logement, aux services sociaux, à la protection des enfants, à l’égalité entre les femmes et les hommes, à la conciliation entre vie professionnelle et vie privée, à la participation sociale et à la mobilité.

Développer une politique européenne d’intégration et d’inclusion des migrants et des personnes issues de l’immigration2, en favorisant leur accès à l’éducation, à l’emploi, au logement et à la santé, en reconnaissant leurs compétences et leurs qualifications, en facilitant leur participation civique et politique, en prévenant le racisme et la xénophobie, en valorisant leur apport culturel et économique à la société européenne.

Renforcer la cohésion territoriale, en réduisant les disparités économiques et sociales entre les régions européennes, en soutenant le développement rural et urbain durable, en favorisant la coopération transfrontalière et interrégionale, en impliquant davantage les autorités locales et régionales dans la conception et la mise en œuvre des politiques européennes.

La solidarité sociale en Europe, longtemps considérée comme la prolongation timide de politiques nationales, est aujourd’hui au cœur d’un basculement historique. Le défi de la « convergence par le haut » est devenu un horizon mobilisateur pour les universitaires, les responsables politiques et les citoyens qui rêvent de transformer l’Union en foyer d’égalité et de justice.

Le débat, hier circonscrit aux arcanes administratives, revêt désormais la force d’une interpellation morale et politique. Les solidarités transnationales, l’assistance mutuelle entre États et la modernisation des protections sociales nationales ne sont plus seulement des piliers techniques, mais aussi l’expression d’un projet commun pour un continent qui veut être uni dans ses droits et équitable dans ses redistributions.

Les résistances, les retards et les désaccords idéologiques ne sauraient occulter la dynamique en cours. Face à l’urgence climatique, à la flambée des inégalités et aux crises qui fragilisent l’adhésion au projet européen, la construction d’un nouveau pacte social à l’échelle du continent n’apparaît plus comme une utopie, mais comme la voie la plus solide pour bâtir une prospérité inclusive. Les peuples, ébranlés par les tensions géopolitiques et les menaces pesant sur leurs droits, semblent désormais plus que jamais enclins à forger cette communauté de destin. C’est sans doute le signe le plus tangible de la métamorphose profonde qui s’opère et qui, sous l’impulsion de tous, fera de l’Europe un espace résolument tourné vers le progrès et la solidarité.

Avec ce programme, nous voulons faire de l’Europe un espace de solidarités et d’inclusion sociale, qui respecte la dignité humaine, protège les plus faibles et valorise la diversité.

 

1 2014_07_poli􏰁ques_inclusion_roms_ue.pdf (pourlasolidarite.eu)
2 Un rapport de la Commission fait état de pénuries persistantes de main‐d'œuvre ou de compétences et examine comment y remédier ‐ Emploi, affaires sociales et inclusion ‐ Commission européenne (europa.eu)


Contributeur : Mathieu GITTON membre du bureau national des adhésions


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