Laïcité à l’école : installer des règles claires et construire une réponse éducative

Vendredi 9 décembre 2022

Yannick Trigance, Secrétaire national à l'École, l'Éducation et l'Accès aux savoirs, conseiller régional d'Île-de-France

Le 9 décembre marque la date anniversaire de la promulgation de la loi de 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État. Cette loi est considérée comme l’un des textes fondateurs de la laïcité en France.

Notre école de la République est au cœur de ce principe constitutionnel : en séparant l’école de l’église, en assurant la liberté de conscience des maîtres et des élèves, en distinguant « les croyances personnelles, libres et variables des connaissances communes et indispensable à tous », c’est dès 1883 que Jules FERRY pose les bases d’un enseignement laïque qui perdure jusqu’à nos jours.

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La tâche des enseignants est aujourd’hui ardue : d’un côté la loi d’orientation de 2005 leur demande « de faire partager les valeurs de la République » aux élèves et dans le même temps notre République peine souvent à défendre ses propres valeurs.

Faire comprendre aux élèves que la laïcité n’est pas antireligieuse mais bien au contraire qu’elle garantit à tous les croyants la possibilité de pratiquer leur religion en dehors du temps scolaire et dans le respect de l’ordre public : tel est l’un des enjeux majeurs de notre époque.

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La loi du 15 mars 2004 sur le port des signes religieux est venue consolider les précédentes lois laïques en encadrant l’expression publique des convictions religieuses au sein de l’école. Celle du 24 août 2021 – loi dite sur le « séparatisme » – est à l’origine de la création des référents laïcité dans toutes les administrations.

Mais la pression sur l’École et sur les enseignants n’a pas diminué pour autant et aujourd’hui encore, l’institution scolaire est placée au cœur de tous les enjeux face à la montée de comportements d’élèves vécus comme autant d’atteinte au principe de laïcité.

La formation reste un levier fort pour permettre aux enseignants d’aborder la question du respect de la laïcité. Après l’assassinat de Samuel PATY, en novembre 2020, le ministre avait mis en place un plan « de formation des personnels à la laïcité et aux valeurs de la République » – , plan destiné à renforcer les connaissances de tous les employés de l’Éducation Nationale sur les sujets. Ce dispositif de formation fut organisé dans toutes les académies et est venu complété un ensemble d’outils disponibles au sein des établissements : guide de la laïcité, textes de lois indispensables, Charte de la laïcité, extraits de Code de l’Éducation…

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Comment expliquer pourtant que 3/4 des enseignants estiment que l’Éducation nationale n’a pas tiré les enseignements de l’assassinat de Samuel Paty, comme le révèle le sondage IFOP du 6 décembre « Les enseignants face à l’expérience du fait religieux à l’école et aux atteintes à la laïcité » ? Comment expliquer le désarroi de certaines équipes éducatives, de chefs d’établissements face à des situations émergentes et récurrentes sur un sujet comme celui de la question des tenues vestimentaires comme l’abaya ou le quamis -27 % des enseignants ont déjà observé le port de vêtements traditionnels larges dans leur établissement comme l’indique le sondage IFOP ?

Il faut donc se poser la question des objectifs de ces formations : quels enseignants formés voulons-nous ? S’assurer qu’ils savent tous définir le principe de laïcité et en expliquer le principe théorique ne veut pas dire être formé pour gérer tous les problèmes d’atteinte à la laïcité, les expliquer aux élèves, savoir distinguer ce qui relève du prosélytisme militant de l’ignorance ou du mimétisme…

Il faut ensuite ne jamais être dans le déni de situations qui affectent profondément la vie des établissements concernés. Comme l’indique le sondage IFOP , depuis septembre 2021, 3 enseignants sur 10 sont confrontés à des situations de contestation d’enseignement au nom de la religion et plus de 50% des enseignants se sont déjà autocensurés pour éviter de possibles incidents sur les questions de religion.

On est ainsi passé de 313 signalements pour « atteinte à la laïcité » en septembre 2022 à 720 en octobre, soit plus du double. C’est beaucoup, c’est trop. Mais ces données sont aussi à considérer au regard des 60 000 établissements (écoles, collèges, lycées) et des 12 millions d’élèves dans notre pays.

Il faut encore ne pas attribuer sans discernement une signification politique à ces atteintes à la laïcité. Comment distinguer ce qui relève du prosélytisme militant, de l’ignorance ou du mimétisme ? Veillons aux interprétations hâtives et réductrices qui peuvent se révéler préjudiciables à la compréhension du phénomène.

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Si le dialogue est régulièrement recherché avec les élèves et leur famille, pour autant les enseignants, les chefs d’établissement et plus globalement les équipes éducatives sont désorientés pour faire le tri entre vêtements ostentatoires, provocations ou effet de mode : ainsi le même sondage IFOP nous indique que 2/3 des enseignants estiment que l’abaya et le qamis ont un caractère religieux.

C’est pourquoi, comme le demandent à juste titre les chefs d’établissements et leurs équipes éducatives, il y a urgence à sortir des ambiguïtés ministérielles en donnant des consignes claires, précises et concrètes aux enseignants afin qu’ils puissent s’appuyer sur des directives stabilisées.

En ce sens la circulaire de la Ministre envoyée le 9 novembre aux chefs d’établissements n’apporte pas la réponse attendue, le ministre se gardant bien d’indiquer quels sont les vêtements autorisés. En se limitant à un rappel du contenu de la loi 2004, le ministre laisse les équipes éducatives en première ligne face à une situation qui va bien au-delà de la seule question de la formation des enseignants.

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Enfin, les solutions que ces atteintes à la laïcité appellent ne sont pas toujours des solutions administratives et disciplinaires. Il est temps de se poser la question de savoir comment une communauté éducative aborde pédagogiquement ces problèmes.

L'institution scolaire a besoin de règles claires, mais elle a aussi besoin de construire une réponse pédagogique et éducative à ces problèmes rencontrés.

Il est grand temps que les décideurs sortent des ambiguïtés et soient résolument aux côtés de celles et ceux qui gèrent les situations concrètes au quotidien.

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