Liste des signataires à retrouver en fin de contribution
La période des débats qui s’ouvre dans le cadre du prochain congrès de Villeurbanne du Parti Socialiste va probablement provoquer de multiples, productives et très intelligentes contributions pour imaginer et mettre en musique la « social-écologie », nouvelle doxa de la phraséologie de la gauche démocratique.
Pourtant la social-écologie n’est pas une notion suffisamment différenciante pour permettre aux Français d’apprécier une volonté politique qui les emporterait vers de nouvelles formes d’engagement. En effet, être social quand on est socialiste est un postulat à minima, quant à l’écologie, qui ne la revendique pas aujourd’hui, y compris le Rassemblement National ?
Puisque nous sommes dans le cadre d’un congrès, notre responsabilité est d’ouvrir les débats fondamentaux et de poser les termes de ce qui nous identifient et nous distinguent de nos adversaires et/ou de nos concurrents.
Ainsi en est-il d’un sujet majeur qui a longtemps été le symbole de la confrontation gauche / droite et qui a fédéré ceux qui se sont battus pour défendre la République : la laïcité.
Pour beaucoup d’entre nous, ce fut une des principales motivations de notre engagement. Lors de nos congrès passés, il suffisait que Jean POPEREN aborde ce sujet avec son talent oratoire, pour que les militants l’ovationnent, dépassant les courants de pensée, signe évident d’une conviction unanimement partagée. L’enjeu des années 1981-1984 était alors le débat école laïque / école privée. N’a-t-on pas le sentiment, qu’aujourd’hui, le sujet de la laïcité est encore plus fondamental, parce qu’il ne concerne plus uniquement l’enseignement mais tout simplement l’organisation de notre société ?
Et pourtant le projet laïc ne semble plus faire partie de notre actualité lors de nos échanges politiques internes. Il ne peut y avoir que deux raisons à ce désolant constat :
- Soit les socialistes considèrent que la laïcité est un sujet acquis alors si cela est, ils devront en faire la démonstration,
- Soit échanger sur ce thème leur pose problème et, dans ce cas, il nous faut comprendre pourquoi et vérifier si nous sommes toujours en phase avec cette valeur républicaine qui est la colonne vertébrale de notre histoire socialiste.
La situation politique actuelle nous oblige de partir à la reconquête des mots et des idées et nous contraint de nous réapproprier la laïcité comme nous l’avons fait, récemment, avec ces symboles républicains que sont le drapeau et la Marseillaise que nous avions négligemment abandonnés à d’autres.
Depuis trop longtemps une partie de la gauche a mis de côté le combat laïc pour privilégier les luttes sociales puis les revendications sociétales. Pendant ce même temps la droite et l’extrême droite ont détourné les valeurs laïques pour s’en servir, de façon discriminatoire, contre une partie de la société française.
D’autres, l’extrême gauche et certains écologistes, ont semé le trouble en déplaçant le combat social vers des revendications ethniques et/ou identitaires.
Cela n’a été possible que parce qu’une partie de la gauche républicaine s’est écartée de ses idéaux ou a oublié ces fondements historiques que sont l’universalisme, la laïcité, le rationalisme et les lumières. Nous savons que les ennemis de la laïcité sont la radicalité, l’obscurantisme, le fanatisme et la tyrannie. Pour combattre ces maux nous devons faire appel à la raison, à la culture, à l’intelligence, à l’éducation mais aussi à la volonté politique de nous imposer dans ce débat quasi-existentiel. Notre gauche doit retrouver le sens de ce débat d’idées en le considérant comme prioritaire, en le préférant au positionnement tactique ou électoral.
Il est regrettable que sur le sujet de la laïcité, comme sur celui de l’Europe, deux de nos engagements essentiels parmi tant d’autres, nous n’ayons pas su ou pas pu prononcer les discours refondateurs tels que l’actuel Président de la République l’a fait, nous obligeant ainsi à nous positionner en réaction et non en force de proposition sur notre propre terrain idéologique !
Cessons, dès qu’il s’agit de débattre de problèmes qui concernent la majorité des Français, de nous engager dans de fausses invectives, de dénoncer des dérives droitières, de lancer des procès en déviationnisme idéologique ou de laisser planer le doute sur les réelles intentions des lanceurs d’alerte ! Ceux qui refuseraient que cette confrontation éthique ait lieu feraient le lit à la fois de l’extrême droite mais aussi d’une extrême gauche radicale et autres indigénistes qui ont trouvé en la France Insoumise un porte-parole complaisant.
Transmettons aux citoyens la conviction que nous connaissons les difficultés de leur réalité quotidienne, que nous sommes lucides face aux problèmes auxquels ils sont confrontés et que nous souhaitons les résoudre à leurs côtés. Encore faudrait-il que nous utilisions les bons mots et que nous ayons les bonnes réponses. La meilleure façon de démontrer que l’on comprend est de nous poser les questions qui interpellent pour les identifier, les analyser et peut-être trouver les pistes de réflexion qui nous permettront d’être à nouveau au clair avec la laïcité, principe absolu de la gauche française.
Pour cela, cherchons les causes du mal et regardons la réalité avec lucidité :
- Avons-nous conscience qu’au-delà des postures intellectuelles il existe un problème de la radicalité religieuse dans notre pays ?
- Avons-nous conscience qu’une partie de la population vivant en France s’exonère des règles communes de la laïcité qui régissent notre pays ?
- Avons-nous conscience que certains refusent les lois de la République au profit des préceptes de leurs appartenances, faisant passer la foi avant la loi ?
- Avons-nous conscience que, dans une partie du milieu scolaire, l’enseignement républicain est contesté,
- Avons-nous conscience que certains pays étrangers, par leurs relais associatifs locaux et grâce à leurs subventions, ont un droit de regard sur la vie de certains de nos quartiers ?
- Avons-nous conscience que certains territoires de notre République sont sur le point de se fractionner ?
Si les réponses à ces questions sont oui, alors agissons !
La gauche qui refuserait d’aborder sereinement, mais sérieusement ces sujets, transmettrait deux types de messages désastreux à nos concitoyens : « nous savons mais sommes impuissants et nous avons renoncé » ou « nous sommes, de fait, complices parce que nous avons provisoirement négocié une certaine tranquillité auprès de communautés » !
Soyons sûrs que si nous ne prenons pas à notre compte ces sujets de société avec la ferme volonté de les traiter à l’aune de nos valeurs humanistes et républicaines, avec comme obsession la nécessité d’équilibrer liberté, sécurité et laïcité, deux possibilités s’ouvriront alors :
- L’extrême droite pourrait être un recours et entrerait violemment dans la confrontation avec ses méthodes brutales et ses choix délétères,
- L’extrême gauche révolutionnaire et/ou indigéniste nous supplanterait et ses choix laxistes, voire déconnectés, aboutiraient à une réaction populaire qui exigerait ordre et autorité.
Ainsi la boucle serait bouclée puisque, nous le savons, les extrêmes se font toujours la courte échelle.
Alors la social-écologie pourquoi pas, mais pas n’importe quelle écologie ni avec n’importe quels écologistes ! Nos alliances électorales diront ce que nous sommes ! Il ne pourra y avoir de gauche unie que si la laïcité en est le socle incontesté.
La laïcité n’est pas radicale ou modérée. Elle se suffit à elle-même et n’a pas besoin de qualificatif complémentaire. Elle apaise les consciences, ordonne la vie publique et garantit les libertés individuelles parce qu’elle s’adresse à l’ensemble des citoyens. A contrario, abusant des failles de notre système démocratique, nombre de prêcheurs radicalisés prônent la haine, utilisant leur religion pour séparer, terroriser et assassiner.
Nos textes constitutionnels et législatifs contiennent tous les éléments pour permettre leur ferme application. La volonté politique, le courage électoral et la détermination républicaine sont les meilleurs supports de la laïcité. Il ne tient qu’à nous de prouver que nous en sommes les fidèles garants.
Si nous pensons que les asservissements de toute sortes ont toujours tiré l’être humain vers le bas, nous devons reprendre en main très fermement l’idéal laïc et, si nous sommes vraiment déterminés à le faire triompher, démontrons alors que laïcité bien ordonnée commence d’abord par les socialistes !
Laurent AZOULAI
Section de Villejuif
Fédération du Val de Marne
Président de la Commission Nationale des Conflits
François REBSAMEN
Section de Dijon
Fédération de la Côte d’Or
Maire de Dijon
Président de la FNESR (Fédération Nationale des Élus Socialistes et Républicains)
mettre en place les dispositions de la loi de Séparation dans tous les territoires français : Bas-Rhin, Guyane, Haut-Rhin, Mayotte, Moselle, Nouvelle-Calédonie, Polynésie Française, Saint-Pierre et Miquelon, Wallis et Futuna.
Le gouvernement doit saisir l’occasion pour inclure ces dispositions dans le projet de loi en préparation sur les séparatismes qui devrait en principe être présenté en conseil des ministres le 9 décembre prochain.
Si ce n’est pas le cas, les parlementaires de gauche en général et socialistes en particulier doivent prendre leurs responsabilités pour présenter des amendements dans ce sens. S’il le faut, les militants socialistes de la laïcité les y aiderons.
La fausse synonymie des deux mots a été entretenue par les cléricaux, et surtout adoptée par les néo-cléricaux au début des années soixante aux fins d’altérer la Laïcité authentique, anticléricale, dans la perspective d’une Laïcité ouverte (en fait, cléricalisée). Petite analyse étymologique et lexicologique. "L’ensemble morphologique formé par les termes de la Laïcité porte les traces des grandes étapes de la laïcisation en France " (Pierre Fiala) (1).
Les intégristes de l’enseignement catholique remplaçaient enseignement laïque par enseignement laïc, modification d’apparence anodine. En réalité, l’écriture " laïc " permettait d’englober tout le domaine de l’enseignement non religieux, sans distinction public-privé. La confusion devenait totale. Les défenseurs “laïques” de l’enseignement catholique tenaient à distinguer catholique et privé. Une définition généralement admise parmi eux est « enseignement laïc » : enseignement non confessionnel d’inspiration chrétienne. Dans la première moitié du XXe siècle, l’usage, puis les dictionnaires avaient imposé les deux substantifs.
Laïc : adepte non clerc d’une religion.
Laïque : partisan de la Laïcité. Au moins, là, c’était clair. Restait le problème de l’adjectif.
Essayons de retracer cette longue histoire lexicographique française. L’étymologie est admise par tous : du grec laos, “qui a rapport au peuple”, on passe au latin laicus pour parvenir aux formes médiévales lay, laye, en usage courant au Xlle siècle. L’emploi est toujours antonymique avec prêtre ou clerc. La graphie lai, laie, apparaît chez Nicot en 1606 avec cette définition : “ celui qui n’a nul degré de cléricature". Dans l’anglais Cotgrave on trouve en 1611 : lay, secular. Pour l’évolution sémantique plus récente la mémoire est conservée par le Dictionnaire de l’Académie Française (fondée par Richelieu en 1634).
La première édition, en 1694, retient deux adjectifs :
- Laïque : adjectif de tout genre. Séculier. Il est opposé à clerc. Une personne laïque, un officier laïque. Lay, laye : adj. laïque. Un Conseiller lay. On appelle un frère lay, un moyne lay, les frères servants, qui ne sont point destinés aux ordres. De même, une soeur laye : qui n’est point du choeur. La forme lai, laie apparaît dans l’édition de 1740 et disparaît après l’édition de 1935 qui en dit : " il n’est plus employé que dans cette expression : Frère lai ".
- La forme laïc apparaît à la nomenclature de 1798 avec un féminin laïque calqué sur caduc-caduque et va servir de base dérivationnelle à toute la famille, avec pêlemêle : laïcat, laïquat, laïcation, laïcocéphale, laïcité, laïcisme, laïciser, laïcard. Cette alternance morphologique de genre sera réinterprétée, par la suite, tantôt comme une alternance catégorielle : laïc est le substantif, laïque l’adjectif (jusqu’au grand Larousse de 1975), tantôt comme variation sémantique du substantif : Laïc désigne un adepte d’une religion qui n’est pas un clerc, Laïque désigne un partisan du principe de Laïcité. Cette distinction claire, sans être systématique, tendra à se généraliser au XXe siècle.
" Cette réinterprétation sémantique d’une simple variation graphique met en lumière la nature profonde du conflit idéologique " (Pierre Fiala, lexicométrie et textes politiques, CNRS )
En 1878, la définition s’étend aux termes non humains (habit laïque, de condition laïque). Mais c’est l’édition de 1935 qui marque la coupure sémantique profonde.
Laïque : qui est étranger à toute confession ou doctrine religieuse. État laïque, les lois laïques. Il convient de revenir sur l’abominable mot laïcocéphale. Il s’agit d’un terme théologique retenu dans l’édition de 1842. Il avait été introduit par les Jésuites de Trévoux, en 1732, dans leur reprise du Furetière, après les démêlés de ce dernier avec l’Académie. Laïcocéphale : hérétique qui reconnaît un laïc pour chef de l’Église. “On a donné ce nom aux Anglicans, qui reconnaissent le Roi du lieu où ils vivent pour chef de la religion". L’Encyclopédie de Diderot avait retenu l’usage matériel de l’adjectif : "biens laïques, puissance laïque, par opposition à puissance ecclésiastique.
Émile Littré a été le premier à faire de laïc et laïque deux substantifs bien démarqués. Mais du coup, il n’avait plus d’adjectif ! Qu’à cela ne tienne. Il préconise dans son supplément de 1877 l’adjectif laïcal, attesté au XVIe siècle, et introduit par les Jésuites dans le Trévoux de 1774 avec un exemple : dîme laïcale. Émile LITTRÉ le définit ainsi : Laïcal : qui a rapport aux laïques par opposition à clérical.
Le mot est bon et mérite d’être retenu et employé. Hélas, il ne le fut pas et ainsi l’ambiguïté fut cultivée par les nouveaux cléricaux des années 1960-1970. Larousse avait introduit dans son Encyclopédie de 1873 le mot Laïcité : caractère de ce qui est laïque, d’une personne laïque, la Laïcité de l’enseignement. « Il fut un temps où la Laïcité était comme une note d’infamie » Claude de Nardi (La Calotte).
(1) Pierre Fiala : professeur de linguistique à Paris I, puis associé au CNRS pour des recherches en linguistique.
Note : ce texte, écrit à usage interne de la Ligue des Droits de l’Homme au début des années 70, reste très d’actualité.
Source principale de sa documentation, la “Revue des Presses de la fondation des sciences politiques”, avec
la collaboration du CNRS, de YENS et des Universités de Paris 1 et Paris XII (Lexicométrie).