Contribution thématique du Congrès de Villeurbanne 2021
Avec les élections municipales, puis départementales et régionales, s’ouvre un nouveau cycle pour les territoires. A l’image du scrutin inédit que nous venons de connaitre, marqué par la crise sanitaire, le mandat qui s’ouvre est celui de tous les défis. Défis économiques, sociaux, environnementaux, mais aussi démocratiques.
La gestion de la crise et de ses conséquences, a mis en lumière le rôle primordial des collectivités territoriales et des élus locaux. Tandis que l’État peinait à arrêter des orientations claires et à fournir des tests à la population, des masques ou des équipements aux personnels mobilisés, ce sont les collectivités territoriales qui ont pallié les manques, et ainsi assuré la continuité des services à la population et la continuité de l’État. Les blocages et les lourdeurs de l’État central ont tranché avec la réactivité, l’adaptabilité et l’inventivité des élus locaux. Encore faut-il que le cadre législatif leur permette d’agir. C’est pourquoi nous avons souhaité sécuriser les actions des élus locaux et les accompagner dans le soutien qu’ils ont apporté à la population, dans le cadre de l’examen des différentes lois d’urgence sanitaire.
Après avoir échangé avec plusieurs centaines d’élus locaux dans la France entière, il nous a paru nécessaire d’approfondir notre réflexion sur les enjeux de la décentralisation. A défis nouveaux, solutions nouvelles. C’est le sens et l’ambition des propositions des sénatrices et sénateurs socialistes pour une « nouvelle ère » de la décentralisation. L’année au cours de laquelle nous avons travaillé à un projet pour les territoires nous a conforté dans l’idée selon laquelle nous sommes à la fin d’un cycle et que des solutions inédites doivent voir le jour.
Très majoritairement, un nouveau big bang territorial n’est pas souhaité par les élus, et un énième « nouvel acte de décentralisation » qui consisterait en un nouveau « mécano » institutionnel ou de répartition des compétences est une vision qui nous parait désormais dépassée.
Il faut sortir de cette logique organisationnelle et de répartition des compétences, pour remettre au cœur des propositions la finalité de la décentralisation. L’enjeu est de faire en sorte que les biens et services publics locaux soient distribués équitablement sur le territoire de telle façon qu’aucun citoyen ne soit jamais oublié, ou mis à la périphérie.
Pour cela, il faut d’abord que l’Etat central sorte enfin d’une logique verticale dans ses relations avec les territoires pour devenir leur partenaire.
La priorité est de clarifier la repartition des compétences au sein de la République
Notre conviction est que l’État doit se focaliser sur ses compétences régaliennes, d’infrastructures nationales et de solidarité. Les compétences dévolues à l’État doivent être listées dans la Constitution, les autres relevant de la compétence locale.
Cela ne signifie pas pour autant que l’État doit s’effacer devant les collectivités territoriales, mais en être le partenaire. Nous croyons à un État fort qui assure l’unité nationale et l’égalité entre ses citoyens où qu’ils se trouvent sur le territoire, en métropole comme en outre-mer. Toutefois, si l’État est le garant de ces principes, l’État centralisateur n’en est plus l’unique condition.
L’Etat doit – enfin - mener à bien la reforme de son organisation territoriale.
Il doit clarifier son champ d’intervention et éliminer les doublons, notamment dans les domaines où les compétences sont transférées aux collectivités territoriales. Il doit mettre fin au processus de création d’agences qui signe son démembrement. L’autorité des préfets de département sur les services déconcentrés doit être renforcé et le corps préfectoral doit être consacré comme l’interface unique de communication avec les élus dans le département.
En parallèle de cette réforme de l’organisation territoriale de l’Etat, la décentralisation doit être approfondie par un nouveau cycle de redistribution des compétences de l’État vers les collectivités territoriales.
Il faut rétablir aux régions le pilotage de la politique de l’apprentissage et leur confier celle du service public de l’emploi. Il faut affirmer le rôle du département pour les solidarités en leur confiant le pilotage des établissements d’hébergement des personnes âgées dépendantes (EHPAD) ainsi que celui de la médecine scolaire. Il faut redonner aux élus locaux, et notamment aux maires et aux présidents de conseils départementaux, un rôle et des pouvoirs accrus dans la gouvernance hospitalière et l’organisation territoriale de l’accès aux soins qui sera le corollaire de la mise en œuvre d’un cinquième risque.
Vers l’autonomie financière des collectivités
Pour que les collectivités deviennent des acteurs à part entière, plutôt que des figurants dépendants des dotations de l’État à qui l’on transfert des compétences sans les moyens correspondants, il faut mettre en place un cadre financier stable et pluriannuel qui garantisse la solidarité financière et la péréquation indispensable à la cohésion nationale.
La création d’une loi de financement des collectivités territoriales, la redéfinition du ratio d’autonomie financière, la révision des dotations de l’État, la réforme fiscale, l’évolution des nomenclatures budgétaires afin de ne plus distinguer dépenses de fonctionnement et d’investissement et davantage mettre en lumière le niveau de dépenses contraintes des collectivités ou encore la compensation intégrale et évolutive de transfert de charges de l’État sont des évolutions indispensables. Ce nouveau cadre devra mettre un terme à la concurrence entre les territoires. C’est pourquoi il faudra « déterritorialiser » la fiscalité économique en organisant un prélèvement et une redistribution à l’échelle au moins d’une zone d’emplois et encadrer très strictement les appels à projet.
Le nouveau cadre financier que nous promouvons devra lui aussi tenir compte de l’absolue nécessité de la transition écologique de notre pays. Nous défendons la création d’une « dotation verte territoriale » pour des territoires « décarbonés », susceptible d’être abondée partiellement par des placements citoyens du type « livret d’épargne pour la transition locale ».
La relance sera verte et territoriale
Il faut urgemment prolonger le plan de soutien aux collectivités par un « plan de rebond territorial ».
La relance se fera sur les territoires, c’est pourquoi l’Etat doit permettre aux collectivités d’engager des investissements massifs, par priorité à destination de la santé, de la couverture et de l’accessibilité numériques ou de la transition écologique : rénovation thermique des bâtiments, écotourisme, agro- foresterie, développement des circuits courts, gestion durable de l’eau, développement des mobilités douces, du fret ferroviaire et fluvial, production locale d’énergies renouvelables.
De nouveaux leviers d’action
Cette nouvelle ère de la décentralisation a pour ambition de faire émerger un nouveau modèle qui remet au cœur des enjeux les citoyens, le territoire vécu, la notion d’équité et l’aspect coopératif au détriment de la concurrence territoriale. Cela exige des outils nouveaux pour les collectivités.
+ de subsidiarité : Nous proposons d’autoriser, au sein du bloc communal, le transfert « à la carte » des compétences facultatives des communes à l’EPCI, ainsi que l’exercice différencié d’une même compétence au sein du même EPCI.
+ d’expérimentation locale : Nous proposons que la dérogation accordée puisse être pérennisée sans pour autant faire nécessairement l’objet d’une généralisation. Cela pourrait notamment permettre aux départements volontaires d’expérimenter la mise en œuvre d’un revenu de base.
+ de différenciation : Nous proposons la création d’un droit à la différenciation qui favorise l’innovation territoriale, permette d’adapter l’exercice des compétences à la diversité territoriale et donne plus de souplesse à l’action publique ; sans pour autant que cette différenciation n’ait pour objet ou effet de déshabiller un niveau de collectivité au profit d’un autre. Nous pensons notamment aux territoires ultramarins où nous accompagnerons toutes les démarches, exprimées localement, visant à accentuer le transfert de compétences en local en vue d’une réelle adaptation de l’action publiques aux réalités et spécificités de chaque territoire.
+ de pouvoir règlementaire : Nous proposons de conférer aux collectivités un pouvoir réglementaire pour leur permettre de déterminer les modalités d’application de la loi dans leurs domaines de compétences. Chaque collectivité serait compétente en cas de non-renvoi au pouvoir réglementaire de l’État ou en complément de celui-ci. Le pouvoir de saisine du conseil régional prévu par la loi Notre pour proposer des adaptations réglementaires, en vigueur ou en cours d’élaboration, serait étendu aux autres niveaux de collectivités.
+ d’interterritorialité : Nous proposons la création de pactes interterritoriaux à l’échelle départementale ou interdépartementale qui permettront d’assurer, dans le cadre d’une coopération entre tous les niveaux de gouvernement, un accès et d’une distribution équitable des biens et services publics accessibles en moins de 30 minutes aux citoyens du périmètre concerné. Ce ou ces pactes s’assureront tout particulièrement de la continuité des services entre collectivités notamment en matière de réseaux (transports collectifs, mobilités douces, déchets, eaux...).
Ils doivent permettre d’intensifier la transition écologique. Ces pactes constitueront également une opportunité de revivifier les pôles d’équilibre territorial et rural (PETR) et les pôles métropolitains.
La decentralisation, un projet democratique
La décentralisation c’est avant tout un projet de respiration démocratique des territoires. Il ne peut donc y avoir d’approfondissement de la décentralisation sans affermissement de la démocratie locale. Cela passe par une meilleure représentation des communes au sein des intercommunalités, par une démocratisation des fonctions exécutifs intercommunales, et aussi sans doute, par la séparation des fonctions « exécutives » et « législatives » locales.
Surtout, parce que la décentralisation ne serait rien sans l’engagement de ceux qui la font vivre, il faut achever la démocratisation des collectivités territoriales par le renforcement de la parité, notamment dans les exécutifs et la mise en place d’un vrai statut de l’élu qui permettra de diversifier l’origine sociale du personnel politique tout en assurant les conditions de son renouvellement.
Signataires
Patrick KANNER, Président du groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain
Eric KERROUCHE, Sénateur des Landes
Didier MARIE, Sénateur de Seine-Maritime
Jérôme DURAIN, Sénateur de Saône-et-Loire
Corinne FERET, Sénatrice du Calvados
Jean-Pierre SUEUR, Sénateur Loiret
Maurice ANTISTE, Sénateur de Martinique
Viviane ARTIGALAS, Sénatrice des Hautes-Pyrénées
David ASSOULINE, Sénateur de Paris
Joël BIGOT, Sénateur du Maine-et-Loire
Florence BLATRIX-CONTAT, Sénatrice de l’Ain
Nicole BONNEFOY, Sénatrice de Charente
Denis BOUAD, Sénateur du Gard
Hussein BOURGI, Sénateur de l’Hérault
Isabelle BRIQUET, Sénatrice de la Haute-Vienne
Rémi CARDON, Sénateur de la Somme
Marie-Arlette CARLOTTI, Sénatrice des Bouches-du-Rhône
Catherine CONCONNE, Sénatrice de Martinique
Hélène CONWAY-MOURET, Sénatrice des Français établis hors de France
Thierry COZIC, Sénateur de la Sarthe
Michel DAGBERT, Sénateur du Pas-de-Calais
Marie-Pierre DE LA GONTRIE, Sénatrice de Paris
Gilbert-Luc DEVINAZ, Sénateur du Rhône
Vincent EBLE, Sénateur de Seine-et-Marne
Frédérique ESPAGNAC, Sénatrice des Pyrénées Atlantiques
Rémi FERAUD, Sénateur de Paris
Jean-Luc FICHET, Sénateur du Finistère
Martine FILLEUL, Sénatrice du Nord
Hervé GILLE, Sénateur de Gironde
Laurence HARRIBEY, Sénatrice de Gironde
Jean-Michel HOULLEGATE, Sénateur de la Manche
Olivier JACQUIN, Sénateur de Meurthe-et-Moselle
Victoire JASMIN, Sénatrice de Guadeloupe
Eric JEANNSANNETAS, Sénateur de la Creuse
Patrice JOLY, Sénateur de la Nièvre
Gisèle JOURDA, Sénatrice de l’Aude
Jean-Yves LECONTE, Sénateur des Français établis hors de France
Annie LE HOUEROU, Sénatrice des Côtes d’Armor
Claudine LEPAGE, Sénatrice des Français établis hors de France
Jean-Jacques LOZACH, Sénateur de la Creuse
Monique LUBIN, Sénatrice des Landes
Victorin LUREL, Sénateur de Guadeloupe
Jacques-Bernard MAGNER, Sénateur du Puy-de-Dôme
Serge MERILLOU, Sénateur de Dordogne
Michelle MEUNIER, Sénateur de Loire-Atlantique
Jean-Jacques MICHAU, Sénateur de l’Ariège
Marie-Pierre MONIER, Sénatrice de la Drôme
Franck, MONTAUGE Sénateur du Gers
Sébastien PLA, Sénateur de l’Aude
Emilienne POUMIROL, Sénateur de Haute-Garonne
Angèle PREVILLE, Sénatrice du Lot
Claude RAYNAL, Sénateur de Haute-Garonne
Christian REDON-SARRAZY, Sénateur de Haute-Vienne
Sylvie ROBERT, Sénatrice d’Ille-et-Vilaine
Gilbert ROGER, Sénateur Seine-St-Denis
Laurence ROSSIGNOL, Sénatrice de l’Oise
Lucien STANZIONE, Sénateur du Vaucluse
Rachid TEMAL, Sénateur du Val d’Oise
Jean-Claude, TISSOT Sénateur de la Loire
Jean-Marc TODESCHINI, Sénateur de Moselle
Mickael VALLET, Sénateur de Charente-Maritime
André VALLINI, Sénateur de l’Isère
Sabine VAN HEGHE, Sénatrice du Pas-de-Calais
Yannick VAUGRENARD, Sénateur de Loire-Atlantique