Le partage de la valeur produite


Thème : Partage de la valeur et défense des intérêts des salariés


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« Le XXIème siècle sera celui de la démocratie économique ou ne sera pas ! »
( André Malraux )

De la plupart des activités humaines procède une valeur , c’est-à-dire une utilité sociale comme une capacité d’échange . C’est le travail , qui occupe la place primordiale au sein de l’entreprise , qui constitue la source principale de cette création de valeur . Une partie essentielle de l’histoire de la société va consister à décider des conditions du partage de celle-ci .

Vu de l’entreprise , le résultat généré par son cycle de production s’estime en soustrayant du produit brut les coûts intermédiaires de cette production , les frais divers indispensables à sa réalisation ( consommations variées , amortissements des matériels , recours à l’énergie… ) . Se pose alors la question de savoir comment doivent être rémunérés les agents économiques intervenant dans cette création de richesse , de manière directe ou indirecte , l’Etat et les organismes sociaux , mais surtout les apporteurs de capitaux et les salariés ?

La part de l’Etat

Elle correspond à ses multiples participations, aux investissements immatériels au profit de l’entreprise, qui vont contribuer à cette valeur ajoutée. Comment? En général, d’abord , à travers la formation initiale des employés, depuis la maternelle jusqu’à l’obtention du diplôme de sortie de l’établissement scolaire, professionnel ou universitaire qu’a emprunté l’employé de l’entreprise.

De même, l’entreprise bénéficie des infrastructures de transport, de fourniture d’énergie, de sécurité et de défense du pays, qui rendent ses activités profitables. Les hôpitaux et services de santé sont autant de ressources potentielles, sur lesquelles les entreprises vont pouvoir compter, à travers la prise en charge des soins de son personnel, avec aussi une organisation de la sécurité sociale qui gère globalement la santé des Français. Pour l’environnement et sa protection l’Etat engage aussi de forts investissements dont l’entreprise bénéficie indirectement.

Et enfin, lorsque les employés partent en retraite, c’est encore l’Etat qui organise la gestion des retraites, financées par les partenaires sociaux, patronat et salariés, parfois complété par les impôts des contribuables, et permettant de continuer à vivre dignement cette période critique de la vie.

Pour toutes ces bonnes raisons, il est indispensable que l’entreprise apporte, à travers la fiscalité qui lui est propre, une contribution décisive à l’équilibre de toutes ces dépenses, sans nécessairement chercher, comme on le voit souvent, à bénéficier, surtout pour les grandes entreprises, de l’évasion fiscale de ses bénéfices, en grande partie vers des paradis fiscaux, qui tarissent les ressources qui pourraient être plus utilement consacrées aux investissements au profit de l’entreprise elle-même, mais aussi à la solidarité collective, et au développement des services publics.

Certes , ces prélèvements sociaux ne doivent pas affecter négativement la compétitivité du secteur industriel, et pour cela, il faudrait impérativement les harmoniser au niveau européen, voire mondial. La survie de notre mode de vie, souvent envié, dépend de la solidarité des créateurs de valeurs que sont les entreprises. Restons vigilants, actifs et inventifs pour que la solidarité puisse continuer à s’exercer, au profit de toutes et tous, et sachons contribuer à ce que nos entreprises s’engagent , à travers leur contribution fiscale pleinement assumée , dans cette voie du progrès pour tous et toutes, qui commence à nous manquer.

Au sein même de l’entreprise

Plus directement , l’entreprise s’organise autour de ceux qui l’ont constitué et ceux qui la font vivre : les apporteurs de capitaux et les salariés . Il n’échappera à personne que le partage entre ces deux a toujours été inéquitable et le reste aujourd’hui , tant par son mode d’élaboration que par le partage qui en résulte !

Les travailleurs reçoivent , en ce qui les concerne , leurs salaires en contrepartie contractuelle de leur engagement au service de l’entreprise , ce qui ne saurait être précarisé en le faisant dépendre en particulier des résultats de celle-ci . Pour autant ceci ne devrait pas interdire de faire participer la force de travail au bénéfices résultant pour l’essentiel de leur contribution .

Certains dispositifs existent déjà . Que ce soit la participation aux résultats ou l’intéressement, qui permettent d'associer les salariés à la performance de leur entreprise en leur versant :

  • pour la participation aux résultats, une quote-part des bénéfices de l’entreprise ;
  • pour l’intéressement, une prime en rapport avec la performance de ladite entreprise.

La participation est un dispositif légal prévoyant la redistribution obligatoire - au profit des salariés - d’une partie des bénéfices auxquels ils ont contribué . Le régime de participation est formalisé dans l’entreprise par un accord collectif conclu avec les représentants du personnel ou par référendum avec les salariés. L’intéressement permet à toute entreprise d’associer les salariés à des objectifs de performance économique ou financière, sur la base de critères librement choisis et mesurables. À la différence de la participation, c’est un dispositif facultatif, résultant d’un accord entre partenaires sociaux ou issu d’une ratification des deux tiers des employés de l’entreprise. Il est mis en place unilatéralement dans les entreprises de moins de 11 salariés ou, dans les autres, par accord collectif. Ces dispositifs, liés collectivement aux résultats de l'entreprise, doivent être distingués des primes de performance ou autres bonus annuels, qui relèvent le plus souvent de paramètres individuels.

Mais ceci ne permet pas pour autant un partage équitable : il s’en faut de beaucoup ! Car , de leur côté , les « apporteurs de capitaux » bénéficient d’une rémunération multiforme . Via l’amortissement tout d’abord , qui revient à reconstituer l’outil de production à l’identique après qu’il ait transféré sa valeur dans les produits ou services. C’est ainsi que le capital, saisi ici comme droit de propriété de l’entrepreneur-actionnaire, se reconstitue, véritable phénix renaissant de ses cendres, à peine que consommé par le procès de production. Par les frais financiers ensuite, soit qu’ils rémunèrent les apports de capitaux par prêts ( banques) ou les dettes contractées ( fournisseurs…) . A travers, enfin et surtout , les dividendes et les augmentations de capital ( réserves, « apports à nouveau »…) en ce qui concerne la rémunérations des capitalistes propriétaires. Sans oublier une pratique de plus en plus souvent mise en œuvre : le rachat d’actions . Elle consiste , pour une entreprise cotée à racheter une partie de ses propres titres pour immédiatement annuler celle-ci . Avec un double résultat immédiat : augmenter les bénéfices et dividendes par action restantes mais également la valeur boursière de celle-ci ( « effet relutif » ) par augmentation de certains ratios financiers majeurs ( dont le BPA : « bénéfice par action » ) . Il est de la première importance que la Puissance Publique régule plus fortement que ce n’est le cas le recours à cette pratique !

Dans cette approche , il convient de discriminer soigneusement entre les actionnaires pérennes et les actionnaires « nomades », dans la mesure où leurs motivations et donc leurs comportements sont essentiellement différents comme le seront leurs répercussions sur le devenir de l’entreprise . Or l’émergence du « capitalisme financier » se caractérise justement par la montée en puissance des derniers par rapport aux premiers (avec fonds de pensions, « hedge-funds ») ce qui ne manque pas de poser un problème en termes de gouvernance : ils privilégient le court-terme contre le long-terme, au détriment de stratégies industrielles (R&D ; investissements lourds à rendements différés…) potentiellement plus porteuses à long-terme, en termes d’activité comme d’emplois, mais moins favorables aux horizons qu’en général ils se fixent .

Pour une entreprise renouvelée

Tout ce qui précède rappelle à l’évidence que la résolution des problèmes posés par le caractère inadéquate de la participation actuelle , dans notre société , des travailleurs dans le partage de la valeur produite est indissociable d’une évolution de la gouvernance des entreprises . Il apparait en effet indispensable , pour tenter de mettre fin à cette répartition abusive de la valeur créée de promouvoir les voies et moyens de faire participer les travailleurs a la prise de décision au sein des entreprises . La question de la place du travail et des travailleurs dans l’entreprise, dans la décision et dans la participation aux profits, sera de plus en plus cruciale dans les années qui viennent.

En France même, on doit noter, nonobstant son caractère partiel, l’introduction de la représentation des personnels dans la sphère de décisions d’entreprise, même si son action reste pour l’essentiel limitée à un caractère consultatif, et à un petit nombre de décisions qui ne concernent que marginalement la question du partage ( Création des CE- fév.45 ; représentation au sein des CA des entreprises nationalisées…). Les dernières avancées les plus notables sont imputables , et ce ne peut être une surprise , aux socialistes ( Lois Auroux ; loi DSP – « de démocratisation du Secteur Public » …).

L’aboutissement ultime de cette prise de participation de la force de travail à la gouvernance consisterait bien évidemment à rétrocéder aux salariés, au-delà d’une simple présence dans les organes de direction , la propriété de l’entreprise . De nombreux modèles ont été proposés, voire expérimentés, tout au cours de l’histoire sans qu’on puisse parler de réalisations satisfaisantes. De « l’appropriation collective des moyens de production » à « l’autogestion » - qu’on n’a guère vu en exercice, à l’exclusion de la calamiteuse expérience yougoslave- jusqu’à la cogestion nord-européenne, dans le « capitalisme rhénan ». Avec toutefois une pratique originale, très intéressante si elle reste d’extension marginale : la SCOP ( dont les formes archaïques ont été autorisées dès le gouvernement provisoire de 1848, après l’abolition de la Loi Le Chapelier, mais qui ne connurent qu’un succès, d’ailleurs tout relatif, qu’à la sortie de la guerre 14-18).

Il résulte de tout ce qui précède qu’il est essentiel que la question d’une participation augmentée des travailleurs au partage de la valeur produite , et donc à la gouvernance voire , à l’extrême , la prise en charge de certaines entreprises devra constituer un objectif primordial dans le Projet qu’il nous reste à redéfinir , dans l’attente de sa mise en œuvre à l’occasion de notre victoire à venir ! Ce qui ne saurait se produire sans une multiplication des échanges et une collaboration renforcée avec les organisations syndicales représentatives , tout en mobilisant l’expérience résultant de notre propre présence militante au sein du monde du travail …


Contributeurs : Jean-Marie Mariani, Yves Béguin, Patrick Ardoin, Patrick Ducome, Rémi Aufrere-Privel , Alain Ternot, Christian Vely, Pierre-Michel Escaffre, Rémi Thomas, Michèle Pétauton, Anne Le Moal

Contribution déposée par des membres du bureau du bureau de la Commission nationale entreprises


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