Stéphane Troussel, secrétaire national au Pacte social et aux solidarités
Avec l’annonce ce mardi des propositions issues de la concertation, le « Ségur de la santé » s’achève sur une note amère. Malgré des gains arrachés au cours de la négociation, nous sommes en deçà du « quoiqu’il en coûte » et des grandes promesses, la main sur le cœur, de « refonder l’hôpital public ». S’il convient de saluer ces avancées, force est de constater qu’il aura fallu une crise sanitaire inédite et la mobilisation sans relâche des soignants, depuis maintenant plusieurs mois, pour faire bouger le gouvernement.
Parmi les 33 propositions avancées, certaines soulèvent de nombreuses interrogations, quand d’autres sont encore largement insuffisantes au regard des besoins énormes que requiert la remise à flots de notre système de soins.
Un flou artistique entoure tout d’abord la proposition de « créer 4000 lits à la demande » à l’hôpital « dès cet hiver ». La formulation ambiguë dissimule mal le fait que ces lits ne seront vraisemblablement pas créés de manière pérenne car ouverts en cas de « suractivité saisonnière ou épidémique ». Aucun engagement n’est donc pris quant aux projets de fermetures de lits qui sont encore dans les cartons. Ce Ségur ne marque donc pas une rupture avec la logique purement gestionnaire qui a présidé à la suppression de 100 000 lits en 20 ans, dont 4200 lits encore en 2018. L’ensemble des gouvernements de ces dernières décennies portent une part de responsabilité dans cette situation.
Quant à l’augmentation des effectifs, sujet consciencieusement escamoté tout au long de la négociation et pourtant fondamental, il faudrait aller plus loin. L’activité hospitalière n’a en effet cessé de croître ces dernières années et les effectifs n’ont pas augmenté en conséquence, entraînant une importante dégradation des conditions de travail et de la qualité des soins. Entre 2009 et 2017, les effectifs ont donc augmenté de 3,2% alors même que la production de soins en volume a progressé de 18 %. C’est donc un plan de recrutement massif qu’il faut lancer, assorti d’efforts conséquents en matière de formation et d’attractivité. Il est à déplorer à cet égard que l’annonce de multiplier par deux les entrées en formation d'aide-soignante soit fixée à un horizon aussi lointain que 2025.
Certes, les hausses de salaires sont conséquentes et ont par ailleurs été obtenues de haute lutte. Mais nous n’atteignons toujours pas la barre symbolique du niveau moyen des pays de l’OCDE. Rappelons que les infirmières gagnent aujourd’hui 600 à 800 euros de moins que certaines de leurs homologues européennes. Nous sommes donc encore loin du « choc d’attractivité » qui était attendu pour stopper l’hémorragie du public vers le privé. Par ailleurs, la méthode adoptée, qui consiste à opérer en deux temps la hausse de salaire, suscite une certaine perplexité chez des soignants dont les sacrifices et le dévouement exceptionnel ont permis à notre de système de soins, considérablement affaibli par des années de cure d'austérité, de tenir bon pendant la crise.
Enfin, ce Ségur n’aborde pas de front des sujets aussi cruciaux que la désertification médicale, la médecine de ville et notamment son articulation avec l’hôpital, la psychiatrie, véritablement sinistrée dans notre pays, ou encore la gouvernance, hormis cette promesse encore vague de mettre « les territoires aux commandes ». Le plan d’investissement de 2,1 milliards d’euros pour les établissements médico-sociaux comme les Ehapd est également très insuffisant lorsqu’on connaît le défi considérable que constituera la prise en charge de la dépendance ces prochaines décennies.
L’accord n’est donc tout simplement pas encore à la hauteur de l’occasion historique qui se présente de redonner enfin et massivement les moyens à notre système de santé solidaire d’exercer sa mission efficacement.