Lundi 6 février, lors de la première journée d'examen du projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale pour 2023 dans l'hémicycle, Olivier Faure était à la tribune de l'Assemblée nationale pour dénoncer la réforme des retraites du gouvernement. Revivez son intervention.
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Le texte
– Lundi 6 février 2023
Seul le prononcé fait foi
Madame la Présidente,
Monsieur le Ministre,
Chers collègues,
Ce n’est pas le moindre des paradoxes, c’est un pays ruiné au lendemain d’une guerre mondiale qui a jeté les bases de notre système de retraites par répartition et c’est le gouvernement d’un pays qui n’a jamais été aussi riche qui propose une régression dont la brutalité est sans précédent.
Depuis l’entame du débat vous avez aligné tous les arguments.
Le président aurait été élu sur le recul de l’âge légal, alors même que chacun sait qu’il a été réélu grâce au barrage républicain
La réforme serait juste, alors même qu’elle repose sur les femmes, les précaires, les Français qui ont commencé à travailler tôt et dont l’espérance de vie est la plus courte.
Vous avez prétendu à des avancées, pour les femmes ou pour le minimum contributif, qui ont toutes été démontées et reconnues comme des mensonges.
Le recul de deux ans se justifierait par un impératif financier, alors que le COR dit clairement qu’il n’y a pas de dérapage et que ses prévisions démographiques sont contestées par l’un de nos plus grands démographes, Hervé Le Bras.
Pris de court par une mobilisation inédite des Français, vous avez osé disqualifier les manifestants en les présentant comme des « fainéants », alors même que ceux qui manifestent aujourd’hui, de la propreté à l’agro-alimentaire, sont ces métiers essentiels que vous applaudissiez naguère à 20h.
Si les Français rejettent votre réforme, ce n’est pas du côté de la pédagogie qu’il faut chercher vos manques, mais plutôt de celui de l’empathie pour reprendre les mots de Laurent Berger.
Deux visions du modèle Français s’opposent. Le vôtre repose sur un postulat simple : non seulement il n’est plus possible de prélever un euro sur les grandes entreprises ou sur les grandes fortunes, mais il faudrait continuer de baisser leur taux de prélèvement. En conséquence, il faut baisser - hier les prestations chômage, aujourd’hui les retraites - pour tenir l’équilibre budgétaire.
Pour vous la vie et le marché se confondent. L’utilité se mesure à sa seule valeur commerciale.
Vous prenez tous les sujets à l’envers.
Plutôt que de vous interroger sur ce qui permettrait une vie meilleure pour les humains et pour la planète qui les nourrit, vous commencez toujours par vous préoccuper de ce que peuvent accepter les puissances arrogantes de l’argent. Leur réponse est connue. Elles n’acceptent jamais rien. Elles demandent à l’État de leur venir en aide à chaque crise et lorsqu’elles sont à nouveau prospères, elles crient à la spoliation dès que l’on a la mauvaise idée de lorgner sur leurs superprofits.
La vision que nous défendons avec l’ensemble de la gauche est systématiquement opposée à la vôtre. Elle fût celle d’Ambroise Croizat à la Libération lorsqu’il adjurait que la retraite ne soit plus l’antichambre de la mort mais un nouvel âge de la vie.
Depuis la nuit des temps, vieillir était un naufrage au fond des abysses de la misère. Vivre décemment jusqu’à son dernier souffle, relever les corps brisés par l’usure a été la grande conquête du siècle passé.
C’est ce nouvel âge que vous entendez sacrifier, celui où après avoir consacré l’essentiel de sa vie au travail salarié, on dédie ce temps libéré à la vie familiale - celle des parents dépendants comme celle des petits-enfants - à la vie associative – culturelle, sportive, caritative, mais aussi à la vie démocratique.
Il faut beaucoup de paresse intellectuelle pour ne pas saisir ce qui se joue. Ces travaux-là ne sont pas rémunérés. Mais ils tiennent notre société debout. C’est cet équilibre-là que vous profanez.
Vous avez en charge la plus belle des missions, celle de la cohésion de notre nation. Elle ne repose pas sur quelques milliards que vous ne cherchez que dans la poche des gens ordinaires. Elle repose sur un contrat social qui donne à chacune et à chacun sa juste part des efforts collectifs.
Prendre sur la vie de ces cohortes qui tous les matins se croisent aux aurores dans les bus et les RER pendant que d’autres se couchent après avoir veillé sur nos routes, sur nos rails ou notre approvisionnement,
Prendre sur la vie de ceux qui ont affronté la météo sur les chantiers, ont travaillé à la chaîne, affronté les trois-huit, prendre sur la vie de ceux qui ont trimé dans les entrepôts, veillé sur notre sécurité, accompagner les malades, il n’est pas d’impôt plus injuste.
Donner au dernier âge, le souffle de la vie, il n’est pas de projet plus noble.
Dans cet hémicycle résonne la voix des Français qui à une écrasante majorité, dans les sondages comme dans la rue vous le clament : Renoncez !