Les ruralités dans la carte d'identité du PS

Les dernières séquences électorales, présidentielle et législatives, ont montré que même sous couvert d'une union de façade et d'une radicalité décomplexée, la gauche continuait de perdre du terrain, principalement dans les circonscriptions rurales.
La confrontation politique directe entre un centre protéiforme et ses extrêmes à droite et à gauche est un jeu qui se joue à trois... et à la fin c'est le RN qui gagne ! Faut-il s'étonner alors, de scrutin en scrutin, de voir monter la colère de la France oubliée, la France des territoires ruraux ?
En France, plus de 15 millions d'habitants (soit 10 millions d'électeurs) vivent dans des territoires cultivés par moins de 400 000 agriculteurs : c'est trois fois la population du Danemark devenu si populaire en ces périodes de courses cyclistes internationales.
Cette France des petites communes, des chefs lieux de canton, des sous-préfectures et des villes moyennes n'arrive plus à faire entendre sa voix dans le débat politique actuel et se réfugie, malgré elle, dans un vote dit « utile » de protestation à l'extrême gauche parfois, à l'extrême droite souvent.
Médiatiquement parlant, nous restons collectivement aveuglés par la fausse équation : ruralités = agriculture. Mais s'il est vrai que la majorité des agriculteurs reste historiquement sous emprise de la droite et penche de plus en plus, sans en mesurer les conséquences européennes, pour l'extrême droite, les chiffres parlent d'eux mêmes : l'immense majorité de la population des 10 000 000 d'électeurs des territoires ruraux est composées de salariés, employés, cadres, fonctionnaires territoriaux, artisans, commerçants, travailleurs indépendants et retraités de ces professions. Et elle n'est pas sous obédience d'une FNSEA dont la dérive droitière s'affirme de plus en plus.
Pas plus que dans nos métropoles ou dans nos grandes villes cette population n'a de penchant naturel pour les extrêmes : mais ne disposant que de peu de moyens pour s'exprimer, elle oscille de plus en plus entre « colère sourde et résignation rageuse ».
En terme électoral, ce devrait être un terreau fertile pour une gauche modérée, soucieuse d'égalité des hommes et d'équilibre des territoires. Alors pourquoi en laisser le monopole aux extrêmes ?
C'est pourtant ce qui s'est passé à gauche lors du dernier scrutin législatif : avec la désignation autoritaire et centralisée de centaines de candidats « hors sol » dans les circonscriptions rurales, la gauche, orchestrée par ses ténors les plus radicaux, a contribué à creuser le fossé entre la France des métropoles et grandes unités urbaines et celle des petites communes, chefs lieux de canton et villes moyennes.
Elle s'est ainsi privée de beaucoup de circonscriptions gagnables dans les territoires ruraux, et elle a laissé au RN beaucoup de circonscriptions qui ont viré, en trois mandats parlementaires, d'une représentation sociale-démocrate bien ancrée au terrain à celle d'un RN hors sol en passant inopinément par la case d'un LREM, ni de droite ni de gauche... mais toujours nulle part !
Il est désagréable pour un social-démocrate de citer François Ruffin, mais en la circonstance il faut réfléchir au point de vue qu'il a exprimé dans un entretien au Monde (le 22 juin 2022) : on ne doit pas devenir la gauche des métropoles contre la droite et l'extrême droite des bourgs et des champs.
La France des ruralités représente près du quart de la population et de son électorat : si nous ne l'inscrivons pas définitivement dans la carte d'identité d'une gauche sociale-démocrate, bienveillante à l'égard de tous, il nous faudra être extrêmement persuasif pour dégager une majorité de gauche de gouvernement. auprès des trois quart restant, celle des métropoles et des grandes unités urbaines.
D'autant plus qu'on y retrouvera, sans complaisance, les extrêmistes de tous bords !
Alors oui, il est important de ne pas se laisser enfermer dans une logique de protection/régression/ sanctuarisation de nos territoires ruraux. Il convient au contraire de réinventer des modèles de développement territoriaux répondant aux aspirations de leur habitants, nos électeurs.
Nos territoires sont contemporains, vivent avec notre temps et offrent à notre pays beaucoup des solutions qu'il attend en matière de cohésion sociale, de bien-être individuel et de satisfactions collectives.
Loin des concentrations urbaines qui sont source de stress, d'embouteillages, de pollution et d'agressivité, nos territoires proposent calme, maîtrise de soi et possibilité de s'investir collectivement et à long terme et pas forcément individuellement et dans l'immédiateté.


Face à ces perspectives :

• l'extrême droite ne propose que le repliement sur soi même, source de conflit... avec tous les autres,
• la droite ne propose, elle, que de vielles recettes éculées et notamment la plus vielle d'entre elles : celle de réduire les dépenses publiques pour « dépenser mieux ». Appliquées aux territoires ruraux, elles signent leur arrêt de mort, face à des métropoles qui en sourient.
• et la gauche radicale, qui tourne en boucle autour de son dogme de « provoquer pour agir », semble n'avoir d'autre préoccupation que d'offrir sur un plateau nos territoires ruraux à l'extrême droite

Sans nous engluer dans des considérations techniques, relevons le défi de savoir répondre à l'attente de nos électeurs ruraux, en leur proposant un avenir où ils trouveront place pour s'investir dans les domaines économiques, sociaux, environnementaux et culturels qui leur appartiennent et que nous voulons partager avec eux.

Philippe KUNTZ
Secrétaire de section PS Gap, Membre du Bureau Fédéral PS 05, Membre de la CNAR et animateur du groupe ruralités, depuis 2013, rédacteur de ce texte
Stéphane LE FOLL, Maire du Mans, Président du Mans Métropole
Ancien Ministre de l'Agiculture et de l'Agroalimentaire et Porte Parole des Gouvernements Valls et Cazeneuve.

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.