Thème : Lutte contre l'extrême droite
Lutter contre l’extrême-droite dans les quartiers populaires
Convaincus que le congrès qui s’ouvre doit être celui qui pense et organise la déroute des forces réactionnaires, les socialistes du 20e ont souhaité se saisir d’un des apprentissages majeurs et peut-être trop discrets des scrutins nationaux de 2024 : la progression du vote d’extrême-droite au sein des quartiers populaires.
Cette dynamique nous inquiète nécessairement dès lors que ces quartiers sont notre identité, et leurs habitants ceux pour qui nous souhaitons changer l’ordre établi. Nous connaissons leur réalité électorale : le soutien massif à la gauche dans les urnes a laissé place à une abstention chronique, signe d’une défiance réelle qui désormais se prolonge par des premières pénétrations de l’extrême-droite.
La faiblesse relative de ce vote ne doit pas occulter cette dynamique. Notre ambition est d’empêcher cette funeste bascule, d’organiser le reflux et de reconquérir ces quartiers.
Notre conviction est que ces espaces, du fait de leurs spécificités, peuvent constituer des laboratoires de la lutte contre l’extrême-droite et, par suite, de la victoire : lorsqu’on écoute et comprend les quartiers populaires, on trouve les solutions pour la France entière.
1. Des quartiers vulnérables et perméables du fait de leur relégation
Les analyses des scrutins de 2022 et 2024 à Paris et dans le 20e permettent de tirer les enseignements suivants :
- Si Paris continue de surperformer par rapport à la France dans son ensemble, cette différence se réduit : la progression du vote pour l’extrême-droite entre 2017 et 2022 y a été relativement plus forte, principalement du fait des succès de Reconquête dans les arrondissements huppés de l’ouest parisien ;
- La hausse du vote d’extrême-droite au sein des arrondissements populaires – essentiellement tirée par le RN - est plus limitée. Elle n’en demeure pas moins réelle : dans le 20e, +3,76 points entre les deux dernières présidentielles, et +2,42 points entre les deux dernières européennes.



Si le 20e arrondissement résiste globalement mieux que d’autres territoires comparables, l’analyse micro-locale révèle des vulnérabilités croissantes dans ses quartiers les plus populaires.
Ces cartes montrent la forte corrélation entre le vote d’extrême-droite d’une part et le niveau de diplôme et le revenu de la population d’autre part, à l’échelle des quartiers du 20e arrondissement. Les bureaux de vote situés au niveau des portes, caractérisés par une population plus modeste et moins diplômée, obtiennent des scores bien supérieurs à la valeur de l’ensemble de l’arrondissement. Il dépasse même légèrement les 20% dans le secteur Python-Duvernois qui concentre pourtant de forts investissements de la municipalité et des bailleurs sociaux pour l’aménagement de ce quartier.
Le vote en faveur du Rassemblement National (RN) dans les quartiers populaires peut être appréhendé comme l’expression d’une triple relégation : sociale, territoriale et politique. Cette dynamique dépasse les lectures classiques du vote ouvrier comme « vote de classe » : elle doit être pensée dans une perspective prenant en compte tous les facteurs.
Des recompositions économiques qui provoquent des relégations sociales
Dans son travail sur les fractures françaises, Jérôme Fourquet montre que la désindustrialisation, la précarisation de l’emploi et la montée de l’économie résidentielle (secteurs peu qualifiés et sous-rémunérés, comme la logistique ou l’aide à la personne) ont redessiné le rapport au politique dans les classes populaires. Dans les quartiers populaires, les trajectoires sociales sont de plus en plus descendantes ou stagnantes. Le sentiment de non-appartenance au destin national nourrit alors un repli sur une identité fermée et la tentation d’un vote dit de protestation.

Une relégation territoriale structurelle : l’effet "cicatrice urbaine"
De nombreux quartiers populaires, y compris dans le 20e, sont marqués par ce que les urbanistes appellent des "cicatrices urbaines" : friches, infrastructures lourdes, enclavement par les périphéries (physiques et sociales). L’espace est perçu comme dégradé et figé.
Le cas de la requalification retardée de la Porte de Montreuil est exemplaire : annoncée depuis 2016 dans le cadre du Grand Projet de Renouvellement Urbain, cette opération a pris trop de retard même si les travaux démarrent enfin. Cet écart entre promesse institutionnelle et réalité vécue nourrit la défiance.
Cette relégation territoriale n’est pas uniquement infrastructurelle. Elle produit une forme de fatigue démocratique : les habitants ne se sentent plus partie prenante d’un projet collectif.
Une relégation politique et symbolique : effacement des médiations
Les quartiers populaires étaient historiquement traversés par des médiations fortes : syndicats, associations, réseaux militants, sociabilité de quartier. Or, nombre de ces relais sont affaiblis, voire disparus. Dans les zones de forte mobilité résidentielle, de précarité structurelle, le lien partisan s’est distendu. Dans ce vide, l’extrême-droite avance ses marqueurs identitaires (ordre, mérite, nation) comme substituts à l’ancienne solidarité de classe.
Ce qui fait la spécificité du vote RN dans ces espaces n’est pas son ampleur quantitative (encore contenue dans le 20e), mais sa progression dans les interstices où la gauche municipale est absente ou perçue comme inefficace.
Un électorat hétérogène, mais traversé par une même expérience de l’abandon
Contrairement aux représentations homogénéisantes, l’électorat RN dans les QPV n’est pas un bloc unitaire.. On y observe une plus grande diversité, y compris des votes issus de ménages d’origine immigrée, notamment lorsque les attentes en matière d’ordre, d’école ou de logement sont déçues.
Trois principes d’action pour endiguer le RN au sein de nos quartiers
Réussir l’endiguement du RN au sein de nos quartiers est un sujet complexe sur lequel notre section ne saurait avoir la prétention d’apporter une réponse exhaustive et définitive. Nous souhaitons néanmoins mettre en lumière trois grands principes qui nous paraissent clé pour entrer dans ce combat.
1/ Penser un militantisme au service du lien social et de l’engagement
La relégation et le sentiment de désaffiliation ont nourri une réelle défiance à l’égard des partis, des institutions, de la démocratie en général. Cela doit nous pousser à faire du lien social et de l’engagement citoyen des objectifs en soi de nos pratiques militantes et de nos politiques publiques.
Ces dernières doivent viser à susciter un débat permanent et spontané, en ce qu’il constitue la clé de voûte des solidarités de proximité, de l’expérience démocratique, de la diversification des canaux d’information. Notre rôle en tant que socialistes est de le faire vivre dans des lieux accessibles et renouvelés, pleinement appropriés par les habitants des quartiers. C’est l’objet des politiques de pacification et d’aménagement de l’espace public porté par nos élus locaux sur le territoire.
Ancrée dans le débat, la démocratie se vit également dans l’action. Nous pensons que l’engagement citoyen des habitants constitue la digue la plus solide contre les passions tristes. Il nous faut pour cela accompagner le virage de l’informel et accompagner autrement les collectifs non constitués, forces vives démocratiques, par exemple en leur offrant des ressources communes, tels que des lieux de rencontre, des formations, des espaces de mise en réseau.
Ce soutien à l’engagement doit viser l’autonomie et la capacité des habitants à faire valoir leurs droits et leurs revendications. Le soutien à des collectifs et initiatives à même de jouer un rôle de contre-pouvoir est l’aboutissement de l’horizontalisation des relations de pouvoir et le signe d’une pratique mature de la démocratie, à même de restaurer confiance.
Cette idée peut nous mener premièrement à refondre nos politiques de financement des associations afin de les soutenir non seulement pour leurs projets spécifiques, mais avant tout pour leur capacité à mobiliser l’engagement citoyen, à renforcer l’autonomie des communautés et en définitive à créer de la valeur territoriale – en d’autres termes, financer les associations pour ce qu’elles sont – des laboratoires de la démocratie - et non simplement ce qu’elles font.
Cette idée peut également nous amener à appréhender et investir la méthode nord-américaine de community organizing, et soutenir les collectifs et associations qui les déploient, voire faire du Parti un community organizer. Cette conception vise à mobiliser les habitants d’une communauté - en général marginalisée par le pouvoir politique - autour de leurs intérêts communs afin d’obtenir des changements sociaux, économiques ou politiques. Plutôt que d’agir en leur nom, il s’agit d’aider les citoyens à s’organiser, à identifier les problèmes qu’ils rencontrent et à développer des stratégies pour influencer les décideurs.
En définitive, notre conviction est que le réinvestissement de nos quartiers doit passer par une nouvelle approche du militantisme, décorrélée des échéances électorales, davantage tournée vers la vitalité des quartiers, l’empowerment des habitants et le soutien à leurs revendications.
Nous appelons ensuite à créer plus de porosité entre le parti et la société civile organisée :
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- Créer un pont entre les militants et les associations et collectifs, en valorisant la double appartenance grâce à des mécanismes incitatifs : soit monétaires (par exemple, en réduisant le montant des cotisations des militants investis dans une association de quartier), soit symboliques en mettant mieux en valeur leurs actions ;
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- Créer un pont entre les habitants des quartiers engagés au service de l’intérêt général et le Parti, pour leur permettre d’accéder à des fonctions électives. Nous sommes convaincus de l’effet d'entraînement de cette politique d’inclusion des néo-engagés de la société civile et appelons à la renforcer, en réfléchissant à de nouveaux mécanismes : incitations, quotas, etc.
2/ Placer les habitants des quartiers populaires au cœur de la conception des programmes et des politiques publiques
Là où l’extrême-droite part d’idées erronées, néfastes et préconçues, la force de la gauche doit être de pouvoir faire confiance à l’expertise des habitants des quartiers pour identifier leurs attentes et établir des pistes concrètes à même de changer leur vie. Nos succès dépendent de notre capacité à partir des réalités des individus pour construire ensemble un programme d’espoir, et donc permettre aux premiers concernés de faire entendre leur voix tout en développant notre écoute.
Il nous faut faire le pari de l’intelligence collective et pour cela approfondir notre expertise en participation citoyenne, autour des principes suivants : consultations larges, environnements inclusifs (accessibles dans les lieux de la vie quotidienne et non intimidants), usage du champ libre pour partir des narratifs citoyens, formats culturels et populaires, recours à des algorithmes d’analyse sémantique pour faciliter la synthèse.
C’est via cette écoute que nous viserons juste et que nous pourrons porter des solutions innovantes et socialistes, en particulier sur des thématiques que nous ignorons trop souvent, à l’instar de celui de la sécurité. Nous affirmons qu’une vision socialiste de la sécurité existe et qu’elle doit partir des attentes des habitants des quartiers populaires.
Nous croyons en définitive que nous avons tout à gagner à donner la voix aux muets de la République, sans la limiter à des sujets périphériques.
Sur le terrain, certains camarades n’ont pas hésité à recourir à cette méthode pour résoudre un sujet aussi structurant que la mixité scolaire, à l’instar de la Haute-Garonne. Suite à une concertation de neuf mois associant les parents, les enseignants, les associations et les élèves, le Département a mis en place un programme cohérent associant révision de la sectorisation, refonte du transport scolaire, limitation du nombre d’élèves par classe, modulation des dotations de fonctionnement sur critère de mixité, accompagnement des élèves. Parce qu’elle était co-construite, cette politique a porté ses fruits tant en termes d’indicateurs de mixité que de résultat au brevet. C’est un magnifique message d’espoir. Saluons également l’engagement de la majorité de gauche à Paris menée par Anne Hidalgo qui permet de renforcer, grâce des actions radicales, la mixité sociale et scolaire.
3/ Préparer le parti à la bataille culturelle
L’extrême-droite est largement organisée pour réussir à mobiliser et gagner la bataille culturelle qu’elle livre à la démocratie et contre laquelle le camp progressiste n’est pas suffisamment armé : elle maîtrise efficacement les leviers de communication et de mobilisation de masse, en particulier en ligne et elle investit largement le champ de la formation.
Ceci doit nous pousser à organiser notre parti pour qu’il puisse relever le combat culturel et politique qu’il a à mener contre l’extrême-droite. Ce changement systémique implique de dépasser les schémas traditionnels de tractage et de réunions publiques au profit d’une véritable politique de formation et de mobilisation, inspirée des techniques du community organizing. Il existe en effet une réelle science de la mobilisation citoyenne, et donc des techniques éprouvées qu’il convient de privilégier. Dès lors, la formation des militants gagnerait à être assise sur cette science :
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- Sur les méthodes qui fonctionnent (par exemple, le porte à porte qui reste le meilleur outil dans une campagne électorale, les bouche-à-oreille, etc.) ;
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- Sur les formats de communication qui existent et qui changent la donne, et sur les méthodes d’amplification s’agissant de la communication numérique ;
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- Sur la connaissance de l’extrême-droite, ses techniques, et sur les menaces concrètes qu’elle fait peser ;
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- Sur les discours qui rassemblent et qui sont capables d’embarquer les individus.
En conclusion, nous, Socialistes du 20e qui se souviennent que Jean-Marie Le Pen avait fait de notre arrondissement son fief dès les élections municipales de 1983 où il fut élu, sommes convaincus qu’en renforçant son écoute et en renouvelant ses pratiques militantes, notre parti est à même de substituer l’espérance à la colère et la résignation. Jamais nous ne perdrons de vue les quartiers populaires, et jamais nous ne perdrons espoir dans notre capacité à défaire l’extrême-droite partout en France.
Contributeur : La section PS20e - Commune de Paris
Clément Durrbach, Saadia Yakoub, Stéphane Bismuth, Adrian Briot, Ludovic Lezier, Mirina Mammeri, Noah Fléchelles, Matteo Delavaud, Alexandre Pireyre, Clément Luzeau, Jean Wohrer, Elias Cottin