Nation et frontières : pour un virage d’inspiration danoise du Parti Socialiste français


Thème : Immigration


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Il y a quelque chose d’inspirant au royaume du Danemark. A rebours du texte original de la tragédie shakespearienne Hamlet (1603), le gouvernement social-démocrate du pays scandinave a opéré un tournant majeur dans la conception de la gauche danoise vis-à-vis des affaires régaliennes en général, et de l’immigration en particulier. Rompant avec une tradition de mésestime des questions migratoires, le parti social-démocrate défend aujourd’hui une vision de fermeté pour la défense de l’identité danoise. Si toutes les mesures du gouvernement danois ne sont pas bonnes à prendre, c’est d’abord son changement de doctrine qui devrait nous inspirer. 

 

1. La révolution de la gauche danoise

 

En effet, le royaume du Danemark est administré depuis 2019 par des coalitions dont le parti social-démocrate est la force majoritaire. Il y a six ans, Mette Frederiksen est devenue la plus jeune Première ministre de l’histoire du pays. Celle que l’on surnomme « Mette la Rouge » est le fer de lance d’une révolution idéologique de la social-démocratie danoise ( «paradigmeskif » ), en assumant en particulier une stricte régulation de l’immigration. Plusieurs décisions importantes ont été prises ces dernières années : loi anti-ghetto qui limite le nombre de personnes étrangères dans un quartier donné, déchéance de nationalité élargie, évaluation des demandes d’asile dans des pays tiers, reconduites à la frontière renforcées… La Première ministre a notamment déclaré en mars 2025, qu’elle « considérait l’immigration massive comme une menace pour la vie quotidienne en Europe ». 

Remarquons que le gouvernement danois relie cette vision à la défense de l’Etat Providence, porté par une politique sociale ambitieuse, avec, par exemple, une réforme des retraites assurant un départ anticipé pour les carrières les plus pénibles (1). 

On peut observer les ingrédients ayant entraîné cette mutation : le premier d’entre-eux est la succession de défaites électorales préalables à ce changement de paradigme pour le parti social-démocrate. Il y a aussi une culture du compromis solidement ancrée dans la culture scandinave qui éloigne les partis de positions trop sectaires -ce qui constitue une différence notable avec la France, en sus d’une population bien moins importante.

Cette politique a eu un effet net dans les urnes, avec un reflux du Parti Populaire Danois, étiqueté à l’extrême-droite, laquelle est reléguée sous la barre des 10 % aux dernières élections législatives de 2022. Elle n’est néanmoins pas sans poser plusieurs questions pour la vie publique danoise, notamment éthiques, sur l’équilibre entre fermeté et humanisme. 

 

2. Le contraste de la gauche française 

 

L’observation de la position de la gauche française est d’un contraste saisissant. La France est pourtant un des principaux pays d’immigration au monde. Le solde migratoire est positif, avec une entrée de personnes de l’ordre de 250 000 par an, soit une ville comme Bordeaux (2). La population ayant personnellement immigrée s’évalue à environ 7 millions de personnes (2) – ce chiffre est bien entendu exponentiel si l’on y ajoute les descendants directs de personnes ayant immigré. En outre, le nombre de demandes d’asile a été multiplié par trois entre 2013 et 2023 (3). Parmi les personnes ayant immigré, les ressortissants d’origine africaine sont les plus représentés - environ trois fois plus que dans la moyenne des pays européens (3). Au-delà des flux, les changements culturels exercés sur la société française sont historiques. La diversité, louée par certains, est pour d’autres une source d’inquiétude, notamment quand le manque de cohésion de la population concourt à l’archipelisation de notre société (4).

Malgré cette empreinte migratoire indiscutable, la gauche française minimise globalement son impact sur la société, prônant des régularisations plus importantes, et dénonçant la « lepénisation des esprits ». On pense par exemple de Jean-Luc Mélenchon louant les vertus de la créolisation de notre pays (5), ou encore du programme du Nouveau Front Populaire pour les élections législatives de 2024, exclusivement tourné vers une augmentation de l’accueil migratoire. On se souvient également d’une grande partie de la gauche indignée lorsque le Président François Hollande avait évoqué la déchéance de nationalité pour les français bi-nationaux coupables de terrorisme -mesure pourtant largement soutenue par la population, y compris les sympathisants de gauche. Ainsi, « chaque tentative de la gauche de renouer avec ses positions historiques sur la régulation de l’immigration est systématiquement assimilée par les membres de son propre camp à un discours raciste » (6).

La conséquence est le sentiment, pour une grande partie de la population, de l’absence de prise en compte de l’insécurité culturelle (7) qu’elle ressent par le camp social de l’échiquier politique.

 

 

3. Un nécessaire changement de doctrine : accueillir mieux ceux qui aiment la France, reconduire davantage ceux qui l’abhorrent

 

L’exemple danois nous livre une vision de l’évolution de la pensée de gauche concernant l’immigration. Avec le même esprit, mais des mesures différentes, il est temps de moderniser la doctrine de notre Parti concernant l’immigration, en affirmant une position claire : la France restera une terre d’immigration ; pour autant, la soutenabilité de cette immigration et le bon accueil de ceux qui immigrent impose sa limitation stricte à ceux qui partagent les valeurs de notre civilisation et de notre République. La France doit rester fidèle à sa tradition d’accueil à condition qu’il soit fondé sur des critères éprouvés, et réparti parmi l’ensemble des pays européens. Les reconduites à la frontière (Obligation de Quitter le Territoire Français) doivent être rendues plus justes et plus efficientes. Au fond, il faut moins d’OQTF pour tous ceux qui se reconnaissent dans les valeurs de notre République et de notre mode de vie séculaire ; et plus d’OQTF -et mieux appliquées- pour tous ceux qui bafouent les valeurs de notre civilisation, voire commettent des violations de notre loi républicaine. Nous constatons tous les jours, dans les médias comme dans nos entourages, que la délivrance et l’exécution de ces mesures est à tort trop stricte pour certains, et trop tremblante pour d’autres, avec une terrible impuissance de l’Etat. Un conditionnement de l’Aide au développement aux pays qui facilitent le retour au sein de leurs frontières des personnes sous OQTF pourrait être étudié.

La régulation de l’immigration avait plus globalement fait l’objet d’un rapport audacieux, proposé par Malek Boutih en 2005 (8), dont on peut regretter que les leçons n’aient, vingt ans après, pas été tirées. 

De plus, la condition sine qua non d’une immigration réussie est la réhabilitation d’un modèle d’intégration puis d’assimilation, modèle loué par le Premier ministre Manuel Valls en 2015 (9). Assimiler les nouveaux venus à la communauté nationale et républicaine n’est pas une négation des identités, mais la promesse d’un horizon commun, indispensable pour faire Nation. L’assimilation effective doit être une condition à l’accès à la nationalité. Elle engage autant l’arrivant que la population accueillante, en donnant les moyens de travail, d’éducation, d’épanouissement qui font aujourd’hui encore défaut à une large proportion de personnes migrantes qui ne rêvent que de France, mais dont le quotidien est malheureusement un parcours du combattant, pour vivre parmi la communauté nationale - et non à côté. 

 

 

Afin de regarder en face le monde qui vient, et de renouer enfin avec les catégories populaires si souvent délaissées, y compris par la gauche, un changement de doctrine sur l’immigration, l’assimilation et l’identité de notre Nation est nécessaire. Le corpus idéologique du Parti Socialiste n’est pas immuable. Si le changement ne vient pas des élites du Parti, ce sont les militants, laboureurs du terrain, qui doivent le provoquer. 

 

(1) Ambitieux sur les retraites, ferme sur l’immigration : le modèle social-démocrate danois (2016-2022), Renaud Large, contribution pour la fondation Jean Jaurès, 2023

(2) L’essentiel sur les immigrés et les étrangers, INSEE, 2024

(3) Les grands chiffres, Observatoire de l’Immigration et de la Démographie, 2025

(4) L’Archipel français, Jérôme Fourquet, Seuil, 2019

(5) La France traditionnelle est une France diminuée, Jean-Luc Mélenchon, Le Nouvel Obs, 2024

(6) La gauche et l’immigration, Bassem Asseh, Daniel Szeftel, contribution pour la fondation Jean Jaurès, 2024

(7) L’insécurité culturelle, Laurent Bouvet, Fayard, 2015

(8) Quelle politique de l'immigration ? débat avec Malek Boutih, Le Monde, 27 janvier 2005

(9) Immigration : en plaidant pour "l'assimilation", Valls brise un tabou à gauche, L’Express, 2015


Contributeur : Florian Porta Bonete, section de Pessac


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