Ne pas vous parler d'Europe ... mais vous parler de vous


Thème : Europe


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Plutôt qu’un nouveau texte sur les politiques et les institutions européennes voici une contribution sur l’actualité politique de l’Europe, qui ressemble comme deux gouttes d’eau à notre actualité nationale. Ce congrès doit être l’occasion de repenser nos combats militants, du global au local, avec l’Europe au cœur.

 

Se défendre oui mais défendre quoi ?

Depuis le retour au pouvoir de Trump, et du spectre de l'abandon de l'Europe par les Américains, la défense de l'Europe par les Européens est au cœur du débat public.

Se défendre d'accord mais défendre quoi ? Défendre nos frontières certes, défendre la sécurité de chaque européen renvoie à une approche plus large et toute aussi pertinente, défendre nos libertés contre les puissances autoritaires ; cent fois oui. Mais est-ce tout, est-ce suffisant ? La confrontation à la guerre ou aux crises est pour les sociétés une formidable épreuve. Pouvons-nous consentir aux sacrifices auxquels on nous appelle si nous ne défendons pas aussi une promesse, celle d'une vie meilleure et plus belle, plus fraternelle, plus solidaire ?

La crise de la Covid a par exemple débouché sur un vide qui mine encore nos sociétés. Finalement pas de "monde d'après", pas de reconnaissance des "premiers de corvée", pas de leçons tirées pour apporter plus de soin et d'attention aux plus fragiles. Les efforts consentis n’ont pas débouché sur un progrès collectif. Au contraire notre société souffre d'une épidémie de maladies mentales qui témoigne des souffrances toujours présentes, des plaies encore vives.

Le débat sur la défense n'est pas sans pièges. Si la priorité donnée à la défense se traduisait par des coupes sombres dans les autres grandes politiques nationales et européennes elle pourrait creuser des fossés dans notre société. Une société qui mène un combat difficile se doit d'être solidaire et vivante. Le financement des efforts à réaliser appelle nécessairement une contribution des patrimoines et des revenus les plus élevés. On ne fait pas la guerre pour enrichir les marchands de canon et appauvrir ceux qui les fabriquent.

Mieux se défendre doit s'inscrire dans un projet de société global, sinon la défiance minera l'effort de défense. Rappelons-nous que c'est au cœur de la guerre que Clémenceau a forgé la Loi sur la journée de 8h et que l'élaboration du programme du CNR a été menée aux plus fort des combats de la Résistance et de la France Libre.

 

Une Europe illibérale ?

Si l'Europe veut se défendre pour protéger ses libertés, alors elle doit être dans le monde le bastion des libertés et être exemplaire dans chacun de ses pays et au cœur de ses institutions. C'est loin d'être le cas.

Face aux crises et aux agressions, face à la guerre ou au risque de guerre, il y a deux chemins : celui du pouvoir autoritaire, ou celui du respect scrupuleux de la démocratie, et ce afin de garantir l'équilibre des pouvoirs et la pratique de la délibération collective. L'usage de la violence légitime ne peut être la décision d'un seul, elle doit se placer sous le contrôle démocratique. Oui à Churchill, non à Pétain.

Alors, disons-le clairement, il faut mettre un coup d'arrêt au glissement de l'Europe vers la démocratie "illibérale". On ne peut prétendre affronter Trump ou Poutine en déployant leur projet politique au cœur de l'Europe. Faire preuve d'intransigeance face à Orban ou Fico ne suffirait pas pour être exemplaire. Ce serait un préalable certes utile mais que nous ne réalisons même pas, et encore moins avec Meloni, au nom d’un prétendu réalisme politique.

Nous devons prioritairement renforcer la démocratie européenne dans toutes ses dimensions. Nous accusons aujourd'hui le PPE et les droites européennes de mettre en danger la démocratie, notre bien le plus précieux en ces temps troublés. Le PPE s'attaque aux ONG et cherche à les étouffer, refuse de renforcer les règles de déontologie au Parlement, défend les intérêts des puissants contre les peuples, tourne le dos aux forces pro-européennes pour se jeter dans les bras des extrêmes-droites. Il contribue à mettre en danger ou en suspend les droits des femmes, des étrangers, des personnes LGBTQIA+, la liberté des médias, l'indépendance de la justice ; sans parler du « backslash » en matière écologique. En France, les mêmes veulent supprimer les CESER, placer sous tutelle politique les agences de sécurité sanitaire, s'attaquent aux fonctionnaires et dénient aux autorités publiques le rôle de faire respecter le droit.

Il est temps que tout cela cesse. Il n'y aurait aucun sens à défendre l'Europe si elle ne portait plus un projet collectif de progrès humain et si elle ne se donnait pas comme priorité absolue la défense de la démocratie et des libertés sur son propre sol.

 

La compétitivité ne s’arrête pas à la seule simplification

Quand une majorité du groupe Socialiste et Démocrate du Parlement européen a voté, contrairement à nous, pour la Commission européenne proposée par Ursula Von der Leyen, elle l’a fait sur la base d’un compromis politique pro-européen et certainement pas pour une politique de simplification qui, au nom de la compétitivité, s'attaque à toutes les règles qui protègent l'environnement, la santé et les droits humains. Ce programme est une triple arnaque.

Être pour la simplification semble de bon sens. Certes. Mais cet argument est trop souvent celui des démagogues et des politiques sans idée. Leur "simplification" n'a généralement rien simplifié et surtout rien réglé des problèmes clés de nos sociétés. Et surtout leur "simplification" est toujours orientée, guidée par une vision du monde, une idéologie, et il n'y a aucun hasard à ce qu'elle se déploie aujourd'hui comme un rouleau compresseur néolibéral.

Ensuite on nous vend la simplification comme un levier de la compétitivité. Cette lecture partielle du rapport Draghi est une arnaque. Si simplifier représente 10% des gains possibles de compétitivité c'est bien le maximum. Draghi lui-même considère comme aussi important ou plus important encore l'innovation, l'investissement productif, l'investissement dans les infrastructures et dans les compétences humaines. Relever le défi de la compétitivité appelle d'abord un pacte productif européen qui fédère les acteurs publics et privés mais aussi les partenaires sociaux. A contrario, la "simplification" qui remet en cause les législations et incitations mises en place ces dernières années désorganise l'industrie européenne et lui fait perdre du temps face aux transitions écologiques, énergétiques et numériques.

Troisième arnaque : leur "simplification" nous empêche de nous défendre et de défendre nos emplois face à la guerre économiques que nous imposent les puissances autoritaires et face à la concurrence déloyale. En effet, la taxe carbone aux frontières de l'UE (CBAM), l'interdiction d'importation de produits issus de la déforestation, les règlements européens sur le numérique (DSA, DMA), ou le devoir de vigilance des entreprises, sont les armes qui permettent de nous protéger, et tous ces textes sont attaqués par la droite et les extrêmes-droites. Au moment où il faut nous défendre, ils nous désarment. Une fois de plus ils sont les laquais de l'étranger, les amis de nous ennemis, les serviteurs des milliardaires et des multinationales.

 

Avons-nous le droit à une vie belle ?

Alors faisons le compte. Pour défendre l'Europe, selon les droites et extrêmes-droites européennes, il faudrait couper dans la politique de cohésion régionale, mais aussi, comme cela se fait depuis deux ans, dans les politiques européennes de santé, d'aide au développement, de mobilité des jeunes. Face aux dérives obscurantistes et haineuses des réseaux sociaux, il faudrait assouplir les règles européennes. Il conviendrait aussi de supprimer la responsabilité des entreprises dans le cadre du devoir de vigilance et donc ne plus sanctionner le travail des enfants ou la destruction de l'environnement pratiqués par leurs fournisseurs. Pour protéger l'industrie européenne, il serait préférable d'assouplir l'encadrement des produits chimiques et de tolérer les PFAS, ces polluants éternels, ou de repousser au-delà de 2035 la fin de la commercialisation des voitures à moteurs thermiques. Pour permettre aux agriculteurs de produire il faudrait revenir en arrière sur les objectifs de restriction d'usage des pesticides et réhabiliter en France les néonicotinoïdes tueurs d'abeilles.

Ce ne serait que le début de la déferlante et du désastre. Chaque direction générale de la Commission prépare son texte de "simplification", souvent appelé "Omnibus". Vous voulez tout cela ? Cela ne fait pas trop à vos yeux ? Ce n'est pas insupportable ?

Le temps est venu de dire « non, nous ne méritons pas tout cela, nous avons le droit à une vie belle, le droit à la santé, le droit à la dignité humaine ». Nous refusons de subir le changement climatique, de boire une eau non potable, de voir exploser les maladies chroniques, de légitimer la casse sociale et environnementale.

Le bonheur est plus que jamais une idée neuve. Chassons ces passions tristes, ces oiseaux de mauvais augure, ces charognards qui salissent notre monde.

 

Europe des Lumières et réveil progressiste

Il est urgent de renverser la table politique européenne. Les risques sont désormais trop élevés d'envoyer le projet européen dans le mur.

Impasse budgétaire, incapacité à donner du sens à l'effort de défense, fragilisation de la démocratie au cœur de l'Europe, projet de "simplification" délétère et contradictoire avec les impératifs écologiques et sociaux mais aussi avec nos intérêts géopolitiques, accumulation des mauvaises nouvelles pour les citoyens, tout cela sous la pression des extrêmes-droites et dans un contexte de dégradation rapide et de brutalisation du débat public, cela ne sent pas bon !

Nous avons besoin d'un nouveau projet politique progressiste en Europe. Ce sera l'enjeu du congrès du PSE qui se tiendra à l'automne 2025 aux Pays-Bas ; mais nous devons l'esquisser dès maintenant au Parlement européen, dans chacun de nos pays et de nos partis afin d’engager la bataille culturelle contre les dangers néolibéraux, autoritaires et trumpistes.

Nous devons construire un programme de résistance pour dénoncer et contrer les attaques de nos adversaires sans nous contenter de jouer la défensive et de limiter la casse. Nous avons besoin de nouvelles conquêtes, d'une vision offensive qui puisse mobiliser le camp progressiste.

Protéger les Européens en sera le premier pilier. Protéger notre territoire des risques réels d'agression militaire, protéger les Européens de tous les types de risques et crises, notamment climatiques, protéger nos emplois, notre industrie, notre environnement, notre santé, l'accès aux médicaments comme à l'énergie ou à l'alimentation. L'outil pour se protéger est la souveraineté européenne, exercée en commun et solidairement.

Vivre mieux est le second pilier. Cohésion territoriale et présence des services publics, une place pour chacun dans la transition écologique (achat de véhicules électriques et rénovation de l’habitat), grande politique européenne de santé publique et d'accès au logement, accès pour tous aux biens communs essentiels (eau, énergie, alimentation, ...), qualité des emplois et droit à la formation tout au long de la vie, voilà quelques leviers pour vivre mieux.

Le retour des Lumières en Europe est le troisième pilier de cette alternative. Défense intransigeante de la démocratie, de tous les contre-pouvoirs, de l'état de droit et de l'indépendance de la justice ; protection des droits des citoyens, des ONG et des syndicats. Lutte contre le pouvoir des réseaux sociaux, la diffusion de la haine et la promotion des fake news, préservation du pluralisme des médias. Défense des faits, de la science, des libertés des chercheurs et des enseignants. Réhabilitation des politiques culturelles pour assurer partout l'accès à la connaissance, au livre, aux œuvres et modes d'expression comme outils de la critique du monde. Promotion des droits des femmes et lutte contre les discriminations, ouverture de l'Europe sur le monde et respect des droits et de la dignité des migrants. La tâche est colossale tant les vents sont contraires, cela prendra des années mais nous pouvons gagner.

L'Europe ne doit pas être fermé sur elle-même ; cette politique de protection, de mieux vivre et de retour des lumières nous devons la porter partout dans le monde et rester les militants de la fraternité planétaire.

Le travail de reconquête à mener est immense. Il appelle la constitution d'une coalition progressiste, avec d'autres forces de gauche, écologistes et humanistes, mais aussi et surtout avec la société civile organisée partout en Europe.

Comme promis nous n’avons pas parlé d'Europe, nous avons parlé de vous, de votre monde, de votre vie, de vos peurs et de vos rêves. Il est temps d'espérer de nouveau ensemble.


Contributeurs : Christophe Clergeau, SN Europe du PS, membre de la présidence du PES/PSE, vice-président du groupe S&D au Parlement Européen, Nora Mebarek, Co-présidente de la délégation française du groupe S&D au Parlement européen, Joao Martins Pereira, 1er vice-président des jeunes socialistes européens (YES), Cécilia Gondard, membre du bureau de PES Women, 1ère secrétaire de la fédération des français de l’étranger, François Comet, SN Adjoint Europe du PS, Gaston Laval, membre de la coordination du PES/PSE, et Pierre Jouvet, François Kalfon, Murielle Laurent, Emma Rafowicz, Chloé Ridel, Éric Sargiacomo, Député.e.s europen.ne.s.


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