Olivier Faure s'explique : « Jamais je ne laisserai à Marine Le Pen le monopole de la sécurité »

Le premier secrétaire du PS a créé la polémique en proposant que la police ait un droit de regard sur les aménagements de peine. Pour « l’Obs », il revient sur ces propos et précise sa pensée.

Olivier Faure a-t-il perdu sa boussole ? Lors du rassemblement qui s'est tenu mercredi 19 mai devant l'Assemblée nationale, le premier secrétaire du Parti socialiste a surpris toute la gauche et heurté ses camarades socialistes en proposant que la police « ait un droit de regard au moment des aménagements de peine ». « Rip l'Etat de droit », a répondu l'écologiste David Cormand. « Le fond est-il atteint ? Au secours Jaurès », a réagi de son côté Jean-Luc Mélenchon. Auprès de « l'Obs », le député de Seine-et-Marne regrette une « expression malheureuse », assure qu'il n'est « pas devenu fou » et précise sa pensée sur les relations entre policiers et magistrats.

Interview.

Vous avez déclenché un tollé en proposant que les policiers aient un « droit de regard » sur les « aménagements de peine ». On vous accuse de verser dans la surenchère sécuritaire et de remettre en cause la séparation des pouvoirs. Que vous arrive-t-il ?

La mauvaise formule a emporté la pensée. Cette expression était malheureuse et a créé une confusion regrettable. Non je ne souhaite évidemment pas que la police exerce une tutelle sur la justice. Alors soyons clairs pour en finir avec toute ambiguïté. La démocratie fonctionne avec des institutions où le rôle de chacun est défini. La séparation des pouvoirs est un principe intangible. Non négociable. Mais il n'a échappé à personne que la bonne foi n'est pas toujours au rendez-vous quand je lis, par exemple, Jean-Luc Mélenchon expliquer que je suis pour le retour des tribunaux d'exception.

Vous avez ensuite proposé d'élargir aux policiers les commissions pluridisciplinaires uniques (CPU) , chargées de suivre le parcours des détenus pendant l'exécution de leur peine. Pour quoi faire ?

Ma conviction est qu'on ne peut pas accepter que le fossé se creuse entre notre police et notre justice. Ces deux services publics sont complémentaires. L'extrême-droite instrumentalise les incompréhensions et s'empare de tous les dysfonctionnements, réels ou supposés, pour alimenter un discours sur le prétendu laxisme de la justice. Notre devoir est d'assurer au contraire le continuum justice-police. Chaque maillon de la chaîne pénale est dépendant des autres. Que l'un vienne à céder et c'est toute la chaîne qui est brisée.

Que proposez-vous ?

Je souhaite par exemple qu'on généralise ce qui se passe déjà dans certaines juridictions. A intervalles réguliers, des procureurs généraux et des premiers présidents rencontrent des commissaires accompagnés de l'encadrement intermédiaire pour nouer un dialogue opérationnel, faire point sur l'évolution des dossiers, éviter des erreurs, dissiper des malentendus. Cela veut dire que justice et police se parlent régulièrement de manière très opérationnelle, qu'elles évoquent l'ensemble des décisions qu'elles ont à connaître, qu'elles règlent dans le détail leur indispensable coopération. Toutes deux ont à y gagner. Je souhaite aussi que les policiers et gendarmes soient informés le plus rapidement possible de l'issue de leurs actions. OEuvrer sans en connaître l'utilité ne peut susciter que la frustration.

Pourquoi faudrait-il intégrer des policiers aux CPU ? Ces commissions ne seraient pas compétentes ?

En quoi établir un dialogue conduirait à penser que la justice n'est pas compétente ? Les CPU existent pour évaluer la dangerosité d'un individu condamné. Les aumôniers, les visiteurs de prison, les moniteurs sportifs interviennent et les policiers ne pourraient pas éclairer les décisions de l'institution judiciaire ? Chacun doit avoir sa juste place. Il s'agit d'un avis consultatif. Pour les détenus radicalisés, ces digues-là sont déjà tombées. Vous pensez que ce ne serait pas utile par exemple pour le grand banditisme ? Aujourd'hui, nous avons une vision trop idéologique et pas assez pragmatique.

A vous entendre, on a l'impression que la police et la justice seraient deux bulles étanches, deux mondes qui ne se croisent et ne se parlent jamais.

Je dis qu'un fossé se creuse et qu'il ne doit pas se creuser davantage. Je ne veux pas que des policiers continuent de manifester en disant que leur problème c'est la justice. Je ne veux pas que les policiers aient le sentiment que ce qu'ils font, d'autres le défont. Les policiers ont aujourd'hui le sentiment d'être des sous-traitants ignorant de ce à quoi ils contribuent et avec quelle efficacité.

Vous étiez présent au rassemblement des policiers. Était-ce un rassemblement « de factieux » comme l'a qualifié Jean-Luc Mélenchon ?

J'étais à ce rassemblement pour rencontrer une profession en souffrance. Les policiers sont aujourd'hui en deuil, excédés par les conditions dans lesquelles ils travaillent parfois. J'ai défilé en 2020 avec les pompiers, les médecins, les infirmières, je suis au côté de ceux qui ont le souci du service public. Je ne vois pas au nom de quoi il faudrait considérer que parmi les agents du service public, les policiers sont infréquentables. Ils exercent en notre nom à tous une mission difficile. Ils nous protègent, protégeons-les.

Mais quand François Bersani du syndicat Unité-SGP Police déclare : « Nul doute que si cette mobilisation s'avère très efficace aujourd'hui, les digues céderont, c'est-à-dire les contraintes de la constitution, de la loi », le Premier secrétaire du PS n'est-il pas mal à l'aise ?
Les excès de certains ne doivent pas conduire à déconsidérer toute une profession qui sert quotidiennement la République. Quand on choisit de protéger la Nation, on est garant de l'état de droit. J'ai entendu des expressions très différentes, plus que des nuances, entre ceux qui sont intervenus à la tribune lors de cette manifestation. Je m'y suis rendu pour ouvrir un dialogue nécessaire avec les policiers, pas pour plébisciter telle ou telle intervention. Je suis venu dire aux policiers avec beaucoup d'autres, ma compréhension à l'égard de ce qu'ils vivent. Chez moi, en Seine- et-Marne, comme partout ailleurs, les policiers me disent combien leur métier est devenu difficile, dangereux, que la peur existe, qu'à l'occasion de n'importe quelle interpellation, ils craignent d'être agressés, blessés, tués. Et leurs conjoints, leurs enfants vivent dans la même crainte. Ils ne demandent pas à être plaints, mais ils espèrent au moins ne pas être blâmés. Il y a l'uniforme, et il implique de lourdes responsabilités. Mais n'oublions pas les hommes et les femmes derrière l'insigne.
Parmi les revendications, il y a la demande que pour les auteurs crime à l'encontre des forces de l'ordre, la peine de sûreté soit portée de 22 à 30 ans. Y êtes-vous favorable ?
Non. Il y a une forme d'aberration à exiger des peines plancher, comme s'il paraissait nécessaire de limiter l'appréciation de magistrats laxistes. Ce présupposé me heurte. Par ailleurs, lorsqu'elles ont été instaurées, les peines proposées étaient moins élevées que celles prononcées avant leur instauration et après leur abrogation. Sortons de cette surenchère stérile. Le problème des policiers, ce n'est pas la justice, comme je l'ai entendu. C'est que la justice est trop lente, trop lourde. Elle est trop lente parce qu'elle n'a pas assez de moyens. Elle est trop lourde parce qu'elle subit trop de contraintes. Il faut entendre ce malaise policier qui traduit aussi celui de la Justice. Amont et aval sont en souffrance.
En défilant pas loin d'Eric Zemmour, de Philippe de Villiers, de Jordan Bardella, à un moment où l'extrême droite est en conquête, n'avez-vous pas l'impression d'être le figurant de leur démonstration de force ?
Jamais je ne laisserai à Marine Le Pen le monopole de la sécurité. La sécurité est un bien commun. Il faut écouter les Français. Ce sont d'abord les plus modestes qui souffrent de l'insécurité et des dysfonctionnements dans la relation entre police et justice. C'est parce que je suis de gauche, parce que je me soucie des plus vulnérables, que je crois cette question est essentielle.
Imaginons qu'un jour les socialistes reviennent au pouvoir, quelle sera leur doctrine en matière de sécurité ?
Nous voulons une police républicaine et exemplaire. Cela passe par une meilleure définition des orientations stratégiques, une meilleure organisation, une formation renouvelée, des moyens mieux alloués, un contrôle démocratique au-dessus de tout soupçon. Ne soyons pas dans le déni de ce que vivent les policiers, ni dans le déni ce que vivent certaines catégories de la population, les violences et la discrimination. Je suis autant avec les victimes de violences policières qu'avec les policiers quand ils souffrent. Mon fil rouge, c'est la justice.
Propos recueillis par Rémy Dodet, à lire sur l'Obs. Lire l'article sur le site de l'Obs
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