Panser la culture, penser l'art


Thème : Culture


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Depuis toujours, les socialistes ont eu à cœur de développer ce qui est reconnu comme un facteur d'émancipation autant qu'un pourvoyeur d'intelligence et de compréhension du monde : l'art et la culture. Le Parti socialiste, là où il est élu, développe l'éducation artistique et culturelle et l'accès à la culture avec des politiques publiques de prix réduits pour les plus précaires, de développement des festivals ou d’événements d’envergure nationale dont le plus célèbre : la fête de la musique.

Aujourd'hui, même la droite maintient peu ou prou l’éducation artistique et culturelle là où la gauche l'a construite, mais cette consensualité ne dit pas que tout va bien. De ces décennies de politiques publiques de décentralisation, d'institutionnalisation, et de désengagement de l'Etat, il faudrait tirer un bilan, faire le point, et voir si le chemin est toujours le bon. Cette contribution n'est que ce qu'elle est : un pavé sur le chemin. Elle ne remettra pas en cause ce qui fonctionne bien et depuis longtemps, elle posera seulement des questions pour être sûr du chemin que nous empruntons. En France, le bon chemin est gravé aux frontons de toutes nos mairies, immenses ou toutes petites, de l'hexagone ou des outre mer, partout, toujours le même : Liberté, Égalité, Fraternité.

LIBERTÉ


Penser l'Art.

 La France est tissée de réseaux de labellisations en tous genre et de structures administrativement plus aisées à gérer par le politique, certes. Mais avons-nous fait un vrai bilan d'efficience de ces établissements public de coopération culturelle créés en nombre durant les années 2000 ? Nous, socialistes, demandons un audit de la structuration des politiques culturelles telles qu'elles existent aujourd'hui, pour pouvoir préserver et développer ce qui fonctionne, changer ce qui s’use, avec une règle : que la diffusion et la création soit au centre de ces projets plutôt que leur propre existence. L'objet des structures financées par le public ne peut être accessoire aux structures elles-mêmes.

Les créateurs en arts vivants comme en arts visuels se rendent compte que pour être soutenus par la puissance publique de nos jours, les appels à projet et les cahiers des charges fleurissent, pensés par le politique, voire par les équipes administratives, les artistes sont sous une contrainte souvent incomprise : une facilité technique voire un impensé, politique.

Les artistes travaillent absolument tous sous la contrainte. Contrainte de temps, de moyens (financiers et humains) et contraintes de capacités personnelles, ce n'est pas la contrainte qui pose problème, mais la sensation que le politique leur demande non pas de faire de la recherche artistique (leur métier) mais de l'aménagement du territoire (le travail du politique) tout en rendant accessoire la création. Il faut pouvoir sortir de ce système, car à chacun son rôle. Si le politique veut créer, qu'il le fasse : qu'il peigne, écrive, compose, cela ne pose de problème à personne. Mais quand le politique dépense de l'argent public, il engage sa collectivité et doit alors respecter le travail et l'expertise de ceux qu'il finance.

L'hyper structuration désirée par le politique ces derniers temps, due à l'effet ciseau de la décentralisation qui a été malheureusement accompagnée du désengagement de l'Etat devient un carcan qui empêche la liberté de création. Alors, des artistes s'essoufflent à faire des dossiers improbables quand des artisans1 de la culture bons en dossiers remportent les financements.

Nous avons donc besoin, pour que la France ne soit pas la 15e roue du carrosse de la création internationale, d'un Etat qui reprend ses responsabilités et refait du ministère de la culture un ministère qui fait de la politique. La France est plus grande, plus complexe, plus riche que cette pensée exigue. Par le fruit d'une longue histoire tourmentée et parfois douloureuse, la France, présente dans trois océans et sur quatre continents, est aussi un creuset qui s'est enrichi des cultures et des arts de ses Outre-mer. C'est un pays fort de ses créateurs dans les arts savants comme populaires. C'est un pays riche des femmes et des hommes qui passent leur vie dans l'idée de rendre le monde plus Beau, et de le partager, partout.

Depuis le quinquennat Sarkozy et son désengagement financier des Direction régionale des affaires culturelles, le ministère de la culture n'a plus les moyens des ambitions que les candidats à la présidentielle vendent en campagne électorale. Les ministres, et le président Macron ne s'en cachent même plus avec la dernière ministre nommée, ne sont plus que des gestionnaires du patrimoine existant. Avec beaucoup de force de conviction, ils arrivent parfois à faire un projet durant leur mandature, rarement deux. La dernière ayant réussi une mission était Aurélie Filippetti au début du mandat de François Hollande, avec son soutien aux libraires, puis, plus rien… Tant et si bien que les libraires ayant été la dernière idée politique du dit ministère, c'est cette même idée que le président Macron a ressortie durant la pandémie, oubliant tout le reste, oubliant ce qui ne relève pas des industries culturelles, donc ce qui crée du lien humain à plus grande échelle. Ne nous y trompons pas, ne pas créer de lien humain en dehors de la consommation individuelle de biens culturels industriels est un projet politique. Emmanuel Macron sait ce qu'il fait : il met en place une politique culturelle incapable d'émanciper les gens, politique dont la consommation est le maître mot. Il laisse la part belle aux monopoles médiatiques industriels parce que la pensée unique des couches populaires lui convient parfaitement.

Nous avons besoin du courage de la politique culturelle émancipatrice, et pour cela nous avons besoin de nous allier avec les artistes. Oui, nous allier avec eux plutôt que de nous demander lesquels voudraient s'allier à nous à la prochaine campagne. Pourquoi ? Parce que les artistes pensent le monde, en particulier les artistes d'avant-garde. Et ils le font sur absolument tout le territoire, sans avoir besoin d'organiser le maillage territorial tant rêvé, parce qu'ils sont de partout. Il y a des artistes qui créent à Paris intra-muros et à Wallis en passant par toutes nos campagnes, îles et montagnes, villes et villages, avec évidemment des esthétiques qui ne peuvent que bouger aussi, des pratiques qui méritent des réponses et des écoutes politiques adéquates. Les artistes sont partout et pensent donc le monde et notre pays, de partout. Ils ne sont pas forcément dans l'hypermétropolisation parce qu'ils sont, eux comme d'autres, exclus des métropoles, par précarité souvent, par besoin d'espace et de liberté, aussi.

Nous avons besoin, nous socialistes, d'aller dans ces lieux, ces moments qui sortent des sentiers battus, prendre un chemin qui n'est pas dans nos habitudes, pour écouter ce que ces artistes qui travaillent l'écologie depuis si longtemps, qui travaillent l'égalité dans les faits si profondément, ces artistes qui vont dans les maternelles, dans les prisons, dans les EHPAD et autres foyers, qui vont dans la plus profonde ruralité ou en banlieue et y montent des projets sensibles, nous avons, nous socialistes, besoin de nous inspirer de leur vision du monde.

ÉGALITÉ


L'égalité existe. Il y a des bulles d'égalité, des moments d'égalité vraiment palpables dans notre monde. Ce ne sont que des bulles. Nous soufflerons doucement dedans pour qu'elles grandissent et accueillent de plus en plus de monde à l'intérieur. Comprenez que ces bulles existent où la liberté est plus grande pour les organisateurs, où les espaces publics sont accessibles, où l'économie n'a pas encore tout gâché, où les règles sont plus laches, donc souvent en milieu rural. Allons voir cela, non pas en visiteur d'en haut mais en expérimentant en soi cette égalité.

L'expérience émotionnelle est universelle en cela qu'elle traverse tout le monde, toutes classes sociales, tous âges, toutes origines... Les sociologues nous ont montré qu'il n'y a que deux catégories sociales qui n'arrivent pas à accéder à la curiosité : ceux à qui tout a été donné à la naissance, comme s'ils étaient blasés, et ceux qui doivent se battre pour remplir le frigo, et qui n'ont aucun temps d'attention possible pour autre chose que cette quête. Pour la première catégorie, nous espérons toujours que certains se rendront compte que le monde est plus beau lorsqu'on est curieux de choses nouvelles. Pour la seconde, il faut régler les problèmes du monde capitaliste trop mal arrangé pour les laisser libres et surtout ne pas les culpabiliser de ne pas vouloir profiter des aides mises en place : l'esprit fait ce qu'il peut, et cette injustice énorme c'est à nous qui en avons le pouvoir de la réparer.

Mais parfois tout le monde peut, sur une place publique, par hasard, tomber sur quelques notes de violon, sur une fil-de-feriste, sur une ligne de poésie, tomber en extase sur un moment de magie.

FRATERNITÉ


Panser la culture.

Nous, socialistes, avons développé l’éducation artistique et culturelle, nous avons fait baisser les habitudes de prix des billetteries pour les institutions, nous avons oeuvré pour un accès à la pratique culturelle, aux droits culturels, ainsi qu'à la pratique de spectateur. Nous pouvons être fiers du chemin parcouru sous nos impulsions depuis 40 ans, partout en France. Nos idées sont devenues des réflexes politiques, et c'est une réelle victoire.

Mais nous, socialistes, ne pouvons dire que là où nous sommes aujourd'hui est la fin du chemin, la perfection. Il nous faudra repenser nos réflexes ces prochaines années, remettre nos hiérarchies des normes en matière de politiques culturelles sur la table, car la crise pandémique a précédé une crise économique dont nous ne voyons pas la fin. Il nous faudra panser la culture dans sa structuration pour qu'elle continue d'accueillir ceux qui le souhaitent, ceux qui le désirent.

Nos enfants ont besoin que l'école et l'éducation populaire leur permettent de pratiquer des arts à moindre frais, qu'ils habitent à Paris ou à Pagny.

Mais certaines théories n'ont toujours pas été testées politiquement. JM Leveratto, sociologue de l'art, parle de portes imaginaires à franchir à deux : un emmenant et un emmené, avec l'image de tenir la main pour donner les codes, seule manière possible pour initier réellement quelqu'un à la pratique de spectateur. Être en confiance, et être suffisamment peu nombreux pour, non pas appartenir à un groupe dans la masse, mais tenter d'appartenir à la masse des spectateurs. Apprendre les codes se fait en les pratiquant, et on peut le faire quand on se sent en sécurité, compris, rassuré. Il nous faudra réussir à trouver des moyens nouveaux pour mettre en place non pas ces chèques à dépenser seul, mais des accompagnements à inventer, pour créer du lien entre les spectateurs aguerris et les spectateurs en devenir. De belles choses sont encore devant nous, à créer ensemble.

Nos concitoyennes et concitoyens ont besoin d'un accès, non pas qu'à ce qui n'est que populaire, ni qu'à ce qui est savant, mais bel et bien à toutes les formes de cultures. Le plus simple étant souvent de faire nos politiques culturelles par rapport aux acteurs de terrain existants, de nous reposer sur les artistes et associations de nos territoires pour savoir ce qui plaît chez nous. S'inspirer de nos voisins est toujours intéressant, à condition de rester en cohérence avec le travail, souvent acharné, des personnes qui s'investissent pour la culture qu'elle soit patrimoniale, locale, d'avant-garde, classique, débordante ou minimale... Car leur énergie est une denrée rare qu'il faut chérir et dont sort souvent de belles choses.

Malheureusement, avant de penser au beau, il faudra réparer le monde du travail de la culture, il faudra panser le monde de l'Art. L'idée, si injustement répandue, qu'on y fait des métiers-passion et que de ce fait, la rémunération n'a pas à suivre le niveau d'expérience est délétère. L'habitude de se reposer sur les structures culturelles (artistiques ou de diffusion) pour penser nos politiques d'aménagement du territoire sans penser aux besoin réels des dites structures et du milieu artistique local est tout autant délétère. Et l'augmentation des demandes des tutelles, d'année en année, sans donner un penny de plus, créé une tension exponentielle sur les êtres humains qui subissent cet effet ciseau de plein fouet.

On ne compte plus les burn out, les démissions, les arrêts maladie dans les équipes administratives et artistiques, les fractures de fatigue dans les orchestres, les abandons de compagnies de théâtre, les reconversions venant de partout. Et rien, absolument rien ne s'est arrangé socialement dans le milieu de l'Art et de la culture depuis la pandémie. Tout a empiré. On a demandé aux structures qui ont demandé aux artistes, de faire deux saisons en une. Maintenant on leur demande de faire autant avec encore moins, nous maintenons la demande publique tout en pérennisant des crédits déjà insuffisants, tout en sachant que leurs frais vont augmenter... Cela ne pourra pas tenir. Nous nous approchons d'un point de rupture, d’un effondrement possible, alors que nous n'avons toujours de trouver de manière décente de rémunérer les artistes-auteurs (plasticiens, écrivains etc.).

Non pas que la fin de ce monde-là soit grave, puisqu'en art le nouveau n'est pas à craindre normalement. Notre question sera, sur les mois qui viennent, de se demander ce que nous, socialistes, souhaitons garder et ce que nous, socialistes, souhaitons transformer. Il ne pourrait y avoir de socialiste qui défende un système où les travailleurs souffrent, où être sous-payé est la règle. Nous avons donc confiance en notre parti pour participer pleinement à la transformation sociale de ce milieu. 

Liberté, Égalité, Fraternité : émancipation !


La culture, telle que nous la rêvons, émancipe le monde des carcans dans lequel la période les met. L'art, les artistes, nous parlent du monde tel qu'il est et tel qu'il serait si on en prenait soin. Ils sont les éclaireurs de notre futur, ils y marchent chaque jour et pourraient nous guider vers des utopies encore impensées par le politique. Les émotions qu'ils nous permettent d'expérimenter ensemble, nous la foule d'anonymes qui partage ce moment, créé une communauté de fait. Pour nous, socialistes, qui souhaitons remettre du commun au cœur de la vie des gens, c'est fondamental. Et ce ne sera jamais un fondamental de salon, mais bien un fondamental du fond du cœur, celui qui bat, celui qui rend vivant, celui qui change la vie.


Premiers signataires :

Charlotte PICARD – 57 – SNA Accès aux droits CM Metz,
Clément SAPIN – 23 – Adjoint Argenton-sur-Creuse SNA
Culture, Karine GLOANEC-MAURIN – 41 – CR CVL Présidente
CC Collines du Perche SN Ruralité, Olivier BIANCHI – 63 –
Maire Clermont-Ferrand SN Culture, Marie COLSON – 91 –SNA ESS militante associative,...

 


Signataires :

Daniel ADOUE – 32 – SF, Jean-Pierre BEQUET – 95 – BNA Maire honoraire Auvers sur Oise,
Philippe CAR – 94 – Adjoint Alfortville, Laurence CASALIS – 31 – Adjointe au maire, Gaël
CHABERT – 92 – CF Trésorier de section, Baptiste CHAPUIS – 45 – CD Loiret, Philippe
CHAVANNE – 39 – Secrétaire de section, Frédéric CHEVREUX – 93 – Militant et professionnel
du secteur culturel, Ernestine CISSE – 91 – CF, Christiane CONSTANT – 69 – 1ère fédérale et
conseillère municipale, Hélène CONWAY-MOURET – FFE – sénatrice, Manu COULIBALY – 31
– Secrétaire de section CF CN, Martine DASTE-MORON – 81 – CM + CC Castres Secrétaire
de section CF, Sylvie DEGUINE FILIPPI – Militante et collaboratrice PCD62, Ninuwé
DESCAMPS – 83 – CM Pourrières, Soufiane DJAFFER – 31 – Secrétaire fédéral éducation
populaire, Aurore DJERBIR-LIGNIERE – 41, Blandine DRAIN – 62 – VP CD62, Marie-Claude
FARCY – 31 – CD31 Adjointe Launaguet, Marianne FOUCHIER – 41, Jean GARAY – 47 – CM
Agen, Jean-Patrick GILLE – 37 – VP Région CVL, Frédéric GIOT – 31 – Secrétaire de section
SF, Cécila GONDARD – FFE – Français de l'étranger, Catherine GUIEN – 31 – SF Culture,
Céline HENQUINET – 75 – BN SNA aux institutions Secrétaire de section Paris Centre, Céline
HERVIEU – 75 – Conseillère de Paris à la petite enfance, Hervé HIRIGOYEN – 31 – SF aux
discriminations CF, Samira LAAL – 62 – SNA handicap et inclusion CN SF Secrétaire de
section, Yves LE PAPE – 69 – BF, Grichka LINGERAT – 31 – CF, Brigitte MARCINIAK – 56 –
Secrétaire de section CNC, Martine MARTINEL – 31 – SF, Léa PAWELSKI – 76 – CD Adjointe
St Etienne du Rouvrais, Danièle ROYER – 41, Frédéric SERAGER – 15 – Adjoint à la vie
culturelle Aurillac, Sylvain SOLARO – 94 – CM, Caroline VAUCHERE – 31 – Adjointe culture
Colomiers.


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