Parce que socialistes, nous voulons l’égalité réelle pour la Corse

Thème : Décentralisation


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Parce que socialistes, nous voulons l’égalité réelle pour la Corse

 

« Tous les citoyens français sont (...) de la même dignité, et on ne saurait constitutionnellement introduire entre eux des distinctions d'origine ». C’est la belle formule1 par laquelle le regretté Robert Badinter rappelait les fondamentaux de notre République et cherchait à en projeter les principes pour l’avenir. Lui qui, président du Conseil constitutionnel, s’était opposé dès 1991 à la reconnaissance, non pas culturelle mais juridique d’un « peuple Corse ». Or, cet avenir n’est pas si lointain. Dans quelques semaines, le gouvernement pourrait proposer un projet d’ « autonomie » de la Corse, introduisant dans la Constitution la notion de « communauté historique, linguistique, culturelle ayant développé un lien singulier à sa terre ».

L’autonomie, en soi, ne veut rien dire. Mais elle pourrait finir par tout permettre. Il suffit d’entendre Laurent Wauquiez, prêt à s’affranchir des normes environnementales, ou Valérie Pécresse réclamant une Éducation régionale. Chacun dans sa région veut échapper aux règles communes établies par le Parlement, en rupture avec la conception originelle de la République, de la décentralisation et du lien entre citoyens à laquelle les socialistes sont attachés.

Nous, Socialistes, ne pouvons l’accepter. La France n’est pas une copropriété à vendre à la découpe. Si notre parti a peiné ces derniers mois à s’affirmer sur le sujet, le congrès est l’occasion de définir une position conforme à notre histoire et au défi posé par l’idée d’autonomie de la Corse, qui est l’affaire de toutes les collectivités et de tous les Français.

Pourquoi l’autonomie ici et maintenant ?

L’histoire de la collectivité de Corse s’inscrit dans un temps très long. Lorsque les Savoyards et les Niçois deviennent français, les Corses le sont déjà de plein droit depuis plus d’un siècle. Et cela sans jamais avoir été soumis à un quelconque statut colonial ou d’indigénat. Rien à voir, donc, avec la situation de la Nouvelle-Calédonie, officiellement reconnue comme en voie de décolonisation. C’est pourtant le discours tenu par certains, dans un mélange des genres historiques et géographiques malvenu.

Le 2 mars 2022, Yvan Colonna, condamné pour l’assassinat du préfet Claude Erignac commis en 1998, est agressé en prison par un autre détenu. Une semaine après, des émeutes aux cris de « État français assassin »2 éclatent sur l’île. Des bâtiments publics sont attaqués. Le 10 mars, le président de la collectivité territoriale de Corse appelle à l'ouverture d'un « nouveau cycle politique en Corse ». Le 16 mars, le ministre de l’Intérieur annonce être prêt à envisager l’autonomie. Yvan Colonna décède le 21 mars. La collectivité territoriale de Corse met ses drapeaux en berne. En avril, les manifestations se poursuivent.

Le gouvernement a craint d’être déstabilisé à quelques jours du scrutin présidentiel et a acheté temporairement la paix civile par des engagements intenables et suffisamment flous pour que chacun puisse y voir matière à calmer le jeu. Car à sa proposition d’autonomie le ministre de l’Intérieur ajoute dans le même entretien : « La question est de savoir ce qu’est cette autonomie. Il faut qu’on en discute ». Ce n’est pas un grand dessein institutionnel qui a motivé les propositions du gouvernement, mais la peur. La droite macroniste, si prompte à invoquer l’ordre, se met à composer dès que ses intérêts sont menacés.

Indivisibilité et décentralisation : soyons dignes de l’héritage socialiste

Historiquement, la gauche a porté les grandes avancées décentralisatrices, non pour encourager des revendications identitaires, mais pour renforcer la démocratie locale. Et parallèlement des moyens importants ont été apportés à la Corse pour valoriser et promouvoir sa langue et sa culture. Or, la différenciation institutionnelle que l'on tente d'imposer aujourd'hui est une remise en cause de cette logique, substituant au projet républicain une fragmentation féodale des compétences.

Cette lutte de la gauche pour les libertés locales est bien antérieure à 1982. Elle doit être invoquée en se départissant des cadres de pensées caricaturaux. Il n’y pas d’un côté les jacobins amis de l’égalité et de l’autre des girondins qui défendraient les territoires. Le recours à ces notions témoigne surtout d’une paresse intellectuelle. C’est bien dans la Révolution française que se trouve la matrice de l’indivisibilité de notre République. Sous l’Ancien régime, l’inégalité des droits selon les territoires était la règle. Les “villes franches” se gargarisaient de leurs privilèges. Sans parler de l’inégalité des droits selon le statut social. Proclamer l’indivisibilité de la République et l’égalité de chaque citoyen quel que soit son lieu d’habitat, c’était permettre à chacun d’être protégé de l’arbitraire territorial. Or, pour que cette indivisibilité soit assurée, l’unité du législateur était essentielle. En donnant les mêmes droits à un parisien, à un gascon ou un breton, la Révolution française a entériné l’égalité républicaine entre tous les citoyens.

A l’inverse, l’autonomie législative permettrait à une collectivité d’avoir des lois différentes de sa voisine, sans contrôle du Parlement. Ce n’est pas une mesure de décentralisation (qui donne les mêmes compétences à toutes les collectivités territoriales d’une même échelle), mais de différenciation poussée à l’extrême. En Allemagne, pays fédéraliste s’il en est, les Länders disposent de nombreuses compétences, mais chacun dispose des mêmes compétences que les autres.

La France est composée de centaines de cultures locales et de petits pays. Ils font sa vitalité. Parce qu’ils sont si nombreux, vouloir les distinguer, c’est prendre le risque de rompre le pacte par lequel ils ont décidé de vivre ensemble. Et se garder de reconnaitre chacun de ces peuples juridiquement pour mieux reconnaitre le citoyen en tout point du territoire n'interdit en rien de faire vivre ces cultures et ces langues. C’en est même, dans le cas spécifique français, la condition sine qua non.

Du reste, la Corse bénéficie depuis de nombreuses années d’un statut particulier plusieurs fois remanié (en 1982, 1991, 2002 et 2015). Mais incapables de répondre aux préoccupations légitimes des habitants — crise du logement, insécurité, réseaux criminels, prix prohibitifs, absence de CHU — les gouvernements nationaux et exécutifs locaux successifs ont recouvert les réalités sociales du vernis de la réforme statutaire permanente. Si un nouveau statut était accordé dans les mois à venir, il faudrait être naïf d’une part pour penser qu’il s’agira du dernier et d’autre part pour en attendre un quelconque effet sur les problèmes structurels de la Corse. En l’absence de politiques publiques efficaces pour les habitants de Corse, la passion textuelle et statutaire sera toujours utilisée comme ersatz. Mais pour quels résultats ? L’évaluation des politiques publiques en Corse, statuts après statuts, ne nous éclaire pas sur le sujet, car il n’y en a tout simplement pas eu depuis 1998. Et cette fois encore, il nous est proposé une évolution statutaire comme une solution miracle quand la dernière datant de 2015 n’a fait l’objet d’aucune évaluation.

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De quoi l’autonomie est-elle le nom ?

Accorder l’autonomie à la Corse ouvrirait la boîte de Pandore. Contrairement à certaines îles du Pacifique et des Antilles ayant connu le statut de colonisé et/ou d’indigénat, aucun critère historique ne justifie d’accorder un statut si différent. Cela ne pourra que susciter des demandes similaires en provenance des autres régions. Au lendemain de l’allocution du président de la République le 28 septembre 2023, Loïg Chesnais-Girard réclamait « la même chose » pour la Bretagne. Tout comme le président de ladite collectivité européenne d’Alsace.

Surtout, cette rupture d’égalité se ferait au détriment des plus faibles. Il est établi que la solidarité interrégionale est au service de l’égalité. En somme, les régions les plus pauvres sont aidées par les plus riches, et c’est très bien comme cela.

Qu’en sera-t-il demain, dans une Corse autonome ? Le « fédéralisme fiscal » est le plus souvent un facteur de creusement des inégalités. La régionalisation fiscale en Italie, à partir de 2008, a entraîné un appauvrissement à la fois relatif et absolu d’une région comme la Calabre là où, dans le même temps, la Corse bénéficiait de la solidarité nationale pour limiter les dégâts de la crise. Pour le dire de façon transparente, si chaque Région jouait des coudes pour imposer un fédéralisme fiscal, ce serait la Corse qui serait la grande perdante puisque son économie est sous perfusion de la solidarité nationale.

On comprend donc que beaucoup de régions aient intérêt à ce mouvement, et particulièrement les plus riches. Valérie Pécresse n’a-t-elle pas proposé la régionalisation du SMIC ? – et donc un SMIC élevé à Paris. La différenciation régionale à outrance risquerait d'affaiblir l'État et de creuser les fractures entre les collectivités, renforçant la concurrence fiscale et la captation de ressources par les régions les plus aisées. Le mouvement convergent des plus riches qui veulent s’autonomiser et des communautaristes qui veulent s’inventer un Etat, même non viable ne fait pas une République pour le plus grand nombre.

 

Vers un communautarisme institutionnalisé

Dans sa décision relative à la Charte des langues régionales, le Conseil constitutionnel a précisément posé la définition du communautarisme. Il revient à confier « des droits spécifiques à des « groupes » de locuteurs de langues régionales ou minoritaires », ce qui porterait atteinte « aux principes constitutionnels d'indivisibilité de la République, d'égalité devant la loi et d'unicité du peuple français ». Rien ne s’oppose à l’épanouissement des identités singulières, qui constituent, il faut le redire, une richesse, mais elles ne sauraient fonder de revendications politiques de ce seul fait, ni permettre de se soustraire à la loi commune.

Le texte en cours de discussion ne propose pourtant pas autre chose. Aux termes de l’accord préliminaire « négocié » avec l’exécutif insulaire, « la Corse est dotée d’un statut d’autonomie au sein de la République, qui tient compte de ses intérêts propres, liés à son insularité méditerranéenne et à sa communauté historique, linguistique, ayant développé un lien singulier à sa terre. »

En d’autres termes, il s’agit de doter une communauté — le terme de peuple ayant été écarté pour la forme — de droits spécifiques du fait de sa seule appartenance. Il ne s’agit pas d’autre chose que d’une institutionnalisation du communautarisme. Si ce texte était adopté, l’héritage universaliste de la République serait balayé. La Corse est dotée d’une identité forte, mais c’est aussi bien le cas d’autres régions. L’insularité doit certes être prise en considération (elle l’est à travers des dispositifs fiscaux et des compensations budgétaires parfaitement justifiés), mais rien ne justifie qu’elle soit consacrée dans la loi fondamentale comme marqueur d’une appartenance spécifique.

Si les effets de contagion sont prévisibles pour les autres régions, qu’est-ce qui empêcherait, demain, une autre « communauté » de réclamer, à son tour, une reconnaissance spécifique ? A l’argument de l’insularité, d’autres pourraient ajouter celui de la péninsularité (Bretagne), de la spécificité historique (Alsace-Moselle) ou linguistique (Pays basque, Pays catalan). Car au nom de quoi refuserait-on à chaque communauté d’être reconnue par la Constitution ? Ne le faire que pour une ou pour quelques-unes reviendrait à les hiérarchiser. Chacun conviendra que ce n’est pas là la vision universaliste des socialistes.

 

Ce que l’État doit à la Corse

Réduire la question corse à un éternel débat institutionnel, c’est refuser d’entendre que l’autonomie ne règlera pas les difficultés majeures auxquelles l’île est confrontée. L'urgence n'est pas de modifier son statut mais d'apporter des réponses concrètes aux enjeux du logement, de la santé et de l'économie. De proclamer clairement que les inégalités au sein de l’hexagone entre l’île et le continent sont intolérables aux socialistes, comme le sont les inégalités entre l’hexagone et l’Outre- mer. Le seul rapport d’évaluation des politiques publiques conduit par le Parlement sur le sujet en 1998 ne disait pas autre chose. Il était présidé par notre camarade Jean Glavany et notre camarade Christian Paul en était le rapporteur3. Ce sont les moyens de toute la nation solidaire qui doivent être mobilisés pour casser la spéculation immobilière en Corse, comme sur la côte basque, pour doter l’île d’un CHU, comme on prévoit de le faire à Saint-Ouen, pour parvenir à une mobilité réelle en introduisant dans la loi de finances des dispositions spécifiques pour parvenir à des prix du carburant réellement alignés sur ceux du continent, etc.

Ce que l’Etat doit à la Corse c’est cela. Les conditions concrètes de réalisation de la promesse républicaine et non l’exploitation politique d’une culture belle, dense, vivante et singulière à des fins de séparatisme. Dans un monde dominé par la standardisation croissante des modes de vie et de pensée, la vitalité d’une culture singulière contribue à la richesse du patrimoine de l’humanité. L’égalité républicaine ne vise pas l’uniformité mais la garantie d’émancipation et de dignité de vie pour chacun.

A chacun selon ses moyens, à chacun selon ses besoins. La Corse a plus de besoins, elle doit recevoir plus de moyens. Le sujet n’est pas celui d’une paix civile achetée à coup de statut mais celui des moyens à mettre en œuvre pour tendre vers une égalité réelle pour que la Corse jouisse du développement auquel elle a droit.

Socialistes ! Refusons le mirage de l’introduction d’une autonomie législative et du communautarisme dans la Constitution qui instituerait une rupture d’égalité. Soyons fiers de notre héritage décentralisateur qui permet à chaque collectivité de faire vivre ses spécificités notamment culturelles et assumons une nouvelle étape forte de décentralisation pour tous. Soyons à la hauteur de notre attachement aux principes républicains et ne nous laissons pas entraîner par la Macronie dans ses renoncements, en Corse comme ailleurs.

 

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1 Entretien à France Culture. Retrouver la date et l’épisode précis : https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/memorables?p=2
2 https://www.lemonde.fr/societe/article/2022/04/03/corse-des-affrontements-eclatent-a-ajaccio-en- marge-de-la-manifestation-de-soutien-a-yvan-colonna_6120391_3224.html

3 Rapport de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur l’utilisation des fonds publics et la gestion des services publics en Corse, 1998


Contributeur.ices :

Mickaël Vallet, sénateur de la Charente-Maritime, Jean-Marc Ciabrini, premier secrétaire de la Fédération du PS de Corse-du-Sud

Viviane Artigalas, sénatrice des Hautes-Pyrénées, Fabrice Barusseau, député de la Charente-Maritime, Florence Blatrix-Contat, sénatrice de l’Ain, Nicole Bonnefoy, sénatrice de la Charente, Hussein Bourgi, sénateur de l’Hérault, Philippe Brun, député de l’Eure, Rémi Cardon, sénateur de la Somme, Alain Combaret, trésorier fédéral de la Fédération du PS de Corse-du-Sud, Hélène Conway-Mouret, sénatrice représentant les Français établis hors de France, Karine Daniel, sénatrice de la Loire-Atlantique, Jérôme Darras, sénateur du Pas-de-Calais, Gilbert-Luc Devinaz, sénateur du Rhône, Jérôme Durain, sénateur de la Saône-et-Loire, Vincent Eblé, sénateur de la Seine-et-Marne, Sébastien Fagnen, sénateur de la Manche, Jérôme Guedj, député de l’Essonne, Laurence Harribey, sénatrice de la Gironde, Eric Jeansannetas, sénateur de la Creuse, Gisèle Jourda, sénatrice de l’Aude, Audrey Linkenheld, sénatrice du Nord, Jean-Baptiste Luccioni, maire de Pietrosella, Didier Marie, sénateur de la Seine-Maritime, Adolphe Martin, Fédération du PS de Corse-du- Sud, Serge Merillou, sénateur de la Dordogne, Jean-Jacques Michau, sénateur de l’Ariège, Marie-Pierre Monnier, sénatrice de la Drôme, Franck Montaugé, sénateur du Gers, José Mortini, Fédération du PS de Corse-du-Sud, Sébastien Pla, sénateur de l’Aude, Emilienne Poumirol, sénatrice de la Haute-Garonne, David Ros, sénateur de l’Essonne, Laurence Rossignol, sénatrice du Val-de- Marne, Rachid Temal, sénateur du Val d’Oise , Jean-Claude Tissot, sénateur de la Loire, Claudine Tomasi, Fédération du PS de Corse-du-Sud, Jean-Marc Vayssouze-Faure, sénateur du Lot, Michaël Weber, sénateur de la Moselle, Adel Ziane, sénateur de Seine-Saint-Denis


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