Thème : Villes féministes
Si l’égalité femmes hommes a indéniablement progressé, elle n’est certainement pas atteinte. Le backlash antiféministe fait partie intégrante de projets politiques, des Etats-Unis à l’Iran. Avec les succès électoraux du Rassemblement National, la France n’est pas épargnée. Heureusement, l’alternative et la résistance s’organisent partout, notamment à l’échelle locale.
Dans ce contexte, nous, féministes et socialistes, socialistes parce que féministes, avons le devoir de rendre nos villes plus inclusives pour toutes et tous, de poursuivre les politiques qui renforcent l’égalité réelle et d’en faire un combat partagé par toute la société.
L’échelle municipale n’a pas tous les leviers pour parer tous les périls. Mais les villes, intercommunalités, métropoles, départements disposent de compétences clés pour préserver les femmes des violences et des oppressions, a fortiori lorsque, selon l’origine supposée, le handicap, l’âge, l’orientation sexuelle, elles les cumulent.
À travers les propositions qui suivent, notre contribution veut rappeler que chaque pas réussi pour les femmes contribuera à réaliser une société globalement plus juste.
L’éducation dès le plus jeune âge
Encourager la déconstruction des stéréotypes dans les temps d’activité périscolaires et les centres de loisirs en inscrivant cette obligation dans les cahiers des charges des gestionnaires. Seront par exemple proposés des ateliers favorisant le libre choix d’orientation scolaire et professionnelle ou la prise de parole des filles, de l’éducation aux médias pour lutter contre les clichés, en s’appuyant sur des témoignages (sportives, scientifiques, personnalités combattant les inégalités et les VSS…). La mise en place réelle des séances d’éducation à la vie sexuelle et affective doit être une priorité budgétaire et politique.
Faire de la sensibilisation à l’égalité femmes-hommes une priorité dès l’école. L’ensemble des enseignements gagnerait à intégrer cet axe pédagogique. La mise en avant d’artistes féminines, les pratiques sportives non-genrées sont autant de mesures à amplifier. A Paris, les PVP en sont des acteur·ices incontournables.
Faire de l’école et du collège des lieux sans sexisme grâce à des programmes de lutte contre le harcèlement scolaire qui intègrent explicitement la prévention contre le sexisme, des manuels scolaires plus déconstruits et inclusifs, des dispositifs paritaires dans les élections de délégué·es de classe ou des instances représentatives des enfants, des collégien·nes et lycéen·nes.
Assurer l’égalité dans l’occupation de l’espace par la généralisation des cours d’école non-genrées (comme les cours Oasis à Paris) et en imposant que toute rénovation fasse l’objet d’une réflexion pour encourager les usages mixtes ou non-discriminants des espaces.
Toutes ces actions passent par une formation obligatoire pour l’ensemble des intervenant·es du secteur.
Pour que les inégalités de genre ne pèsent plus sur les familles
Prévenir inégalités dès la naissance en créant, en miroir de la préparation à l’accouchement, une préparation à l’accueil de l’enfant pour les pères, assortie d’une campagne de communication via les PMI (une appellation à revoir) ou la Direction de la Santé publique à Paris.
Mieux soutenir les familles monoparentales composées à plus de 80 % de “mamans solos”. Leurs difficultés doivent être prises en compte dans toutes les actions municipales à destination des familles. Il faut prévoir systématiquement des modes d’accueil en parallèle des activités pour adultes dans les centres de loisirs, centres socioculturels, mairies, etc. Un pass incluant toutes ces dimensions est à expérimenter.
Lutter plus efficacement contre les violences intrafamiliales. Cela nécessite des formations des professionnel·les et des agent·es public·ques (travailleurs·ses sociaux·les, professeur·es, animateur·ices, etc.) à l’identification de ces situations, afin d’encourager au mieux la parole des femmes victimes, et d’en connaître tous les aspects, notamment les violences économiques, méconnues.
Que la Ville montre l’exemple pour ses propres agent·es par la mise en place du congé menstruel et d’un congé paternité (ou co-parent) égal à celui des mères.
Des espaces publics et des transports égalitaires
Des espaces urbains accueillants dès l’enfance. A travers l’adoption de budgets sensibles au genre et de dispositifs d’égaconditionnalité, tous les aménagements urbains et rénovations doivent être réinterrogés au prisme du genre et des discriminations. Cela peut passer par des check lists applicables à tous les projets de voirie et d’urbanisme. La visibilisation des femmes doit se poursuivre par les dénominations, en instaurant des quotas dans l’année (minimum 66 % de femmes) et en appliquant ce même principe aux œuvres : statues, street art…
Pour s’assurer que les femmes trouvent des sanitaires publics propres et sécurisants, il faut imposer ces critères dans les concessions accordées.
Toutes les municipalités doivent se doter d’outils pour contribuer à la protection des enfants et des jeunes femmes : commerces refuges, applications dédiées en cas d’agression…
La question des femmes âgées, plus insécurisées dans les espaces publics et moins enclines à s’y déplacer, doit être considérée spécifiquement : en améliorant l’accessibilité, en articulant la dimension intergénérationnelle aux projets de piétonnisation ou en créant des “rues aux seniors”.
Assurer des circulations sûres dès la pré-adolescence, en mettant en pratique un service d’accompagnement par téléphone pour les femmes qui rentrent seules le soir (via le 3975 à Paris) et en pérennisant l’arrêt à la demande des bus 24h/24.
Développer la bienveillance dans les espaces publics, en relançant une grande campagne de communication, rappelant que la lutte contre le harcèlement de rue est l’affaire de tout·es (conseils d’entraide, interventions non-violentes en cas de risque d’agression…).
Améliorer l’accessibilité pour toutes. Les femmes ayant encore le plus souvent la charge des jeunes enfants, des personnes en situation de handicap ou de parents âgés, elles sont les premières touchées par le manque d’accessibilité des bâtiments et des transports. Un grand plan doit être mis en œuvre à ce titre (élargissement des trottoirs, bancs d’allaitement, rampes et rails...).
Pour une égalité d’accès aux soins
Faire que les règles douloureuses ne soient plus un tabou en formant les agent·es de la ville, des collèges, les infirmier·es scolaires, les enseignant·es à la façon dont elles doivent être prises en charge et en prévoyant des possibilités d’absence pour les jeunes filles. Des protections périodiques doivent aussi être mises à disposition dans les toilettes des établissements.
Plus de lieux ressources pour garantir l’accès à la santé des femmes. Les collectivités doivent réimpulser la création de centres de planification et de lieux de consultations dédiés. Elles peuvent labelliser des lieux “Santé des femmes” prenant en charge les violences sexuelles, gynécologiques et obstétricales et/ou en capacité de combler les retards dans la prévention auprès des femmes (endométriose, maladies cardio-vasculaires…).
Tous les agent·es des secteurs sanitaires et sociaux doivent être formé·es aux nécessités propres au suivi des femmes et à la lutte contre toutes les violences, y compris à l’encontre des personnes LGBT+. Il faut organiser des parcours de soins pour les plus vulnérables : sans domicile, réfugiées, victimes de mutilations génitales, travailleuses du sexe, femmes âgées isolées, adolescentes et jeunes majeures prises en charge par l’ASE…
Aider les aidantes, jeunes ou âgées, en communiquant mieux sur l’offre existante, en créant plus de groupes de soutien et de pair-aidance, en non-mixité si nécessaire. L’entraide locale doit être organisée, par exemple en mutualisant des heures civiques pour apporter du soutien en proximité : heures de répit, lutte contre l’isolement, aide aux déplacements…
Le sport et les loisirs doivent devenir des leviers de l’égalité
Assurer l’égal accès des filles, garçons, femmes, hommes aux sports et aux loisirs, par un recensement des usages par genre de tous les équipements municipaux sportifs et de loisirs, y compris ceux en accès libre, en procédant à des attributions préférentielles de créneaux aux associations qui défendent la pratique sportive féminine ou la mixité dans le sport, voire en conditionnant les subventions à l’ouverture de sections féminines dans les clubs qui n’en ont pas.
Légitimer la présence des femmes partout. En imposant aux clubs sportifs de prévoir des temps de sensibilisation aux VSS et aux discriminations dans le sport, en organisant des campagnes de sensibilisation contre le sexisme auprès des supporter·trices et en imposant aux gestionnaires des centres de loisirs d’inclure la représentation des genres parmi leurs usager·es dans leurs rapports d’activité.
Soutenir les clubs sportifs qui mettent en place des actions ambitieuses contre les inégalités : détection des jeunes sportives, budgets similaires pour les équipes féminines et masculines, participation proactive à la découverte du sport par les filles, préparations paritaires au Brevet professionnel de la jeunesse ou autres diplômes…
Travail, logement, pouvoir d’achat : au côté des femmes, actives ou retraitées
Les modes d’accueil du jeune enfant doivent être une priorité de toutes les municipalités. Aucune famille ne doit rester sans solution et devenir mère ne doit jamais être un frein à l’évolution professionnelle. L’offre en crèches et établissements de petite enfance doit être renforcée et élargie aux horaires décalés. Des politiques de priorisation des logements à destination des professionnel·les de la petite enfance rendraient la filière plus attractive.
Aider concrètement des femmes en recherche d’emploi en leur proposant des services de “crèches à l’heure” pour leurs entretiens d’embauche notamment.
Instaurer une priorité au relogement. Une grande conférence avec les bailleurs sociaux sur le logement des femmes victimes de violences et des familles monoparentales permettra de la mettre en place et d’harmoniser les programmes existants. Un bonus à la cotation quand le parent solo est une femme peut être imaginé. Les colocations dans le logement social sont à développer, pour tous les âges. Les modalités d’hébergement du conjoint violent en vue de son éloignement seraient aussi à étudier.
Soutenir les femmes âgées. Pour corriger les inégalités structurelles de revenus, il faut une aide au logement extra-légale forfaitaire pour les personnes ayant des petites pensions.
Combattre la précarité des femmes
Lutter contre les discriminations et la double-peine des femmes réfugiées, migrantes et/ou sans-abri par un dispositif d’accompagnement renforcé comprenant : aide aux démarches, accès facilité aux cours de français et à l’insertion par l’emploi avec des agent·es référent·es formé·es aux enjeux de genre, suivi de santé notamment sexuelle et gynécologique, aide financière dédiée le cas échéant.
Favoriser la connaissance de la grande précarité féminine en créant une formation dédiée pour les bénévoles (comme il en existe à la Fabrique de la Solidarité à Paris, sur l’aide aux personnes à la rue).
Étendre et pérenniser les dispositifs dédiés aux femmes à la rue. Le sans-abrisme touche encore plus durement les femmes (12 à 15 % des personnes sans abri). Pour sécuriser leur sortie de rue, il faut des hébergements pérennes dédiés, acceptant les animaux, avec des équipes spécialisées dans les violences faites aux femmes et les parcours migratoires.
Lutter plus fermement contre toutes les violences
Améliorer la mise à l’abri des femmes victimes de violences conjugales. A court terme, en mobilisant mieux l’hébergement d’urgence pour les protéger, en instaurant un quota de places pour elles. A moyen terme, en créant des lieux ressources de première urgence et/ou des “Maisons du répit” (voir ci-dessous).
Sécuriser le financement des associations. Toujours plus sollicitées, elles sont fragilisées. Un fond municipal permettrait de les abonder en fonction de leur variation d’activité.
Faire qu’aucune victime de violences ne se sente plus jamais seule. En plus du renforcement de leur communication, numérique et papier, sur les structures locales, les villes peuvent lancer avec les associations des programmes de marrainage. Toute femme victime, si elle le souhaite, se verra attribuer une référente ayant connu des violences ou formée pour la soutenir dans son parcours.
Un dialogue doit s’engager avec les services de la justice et de la police nationale pour accélérer le traitement des dossiers et leur suivi, afin qu’aucune femme victime de violences ne soit laissée à l’abandon pendant la procédure, mais également pour que les agents en charge du recueil des plaintes n’aient pas été condamnés - ou aient une procédure en cours - pour ces motifs.
Que les agent·es municipaux au contact du public connaissent les enjeux des VSS et des violences conjugales. Accueil des mairies, des services sociaux, des centres socioculturels, police municipale… Il est urgent de renforcer leur formation, en les dotant d’un vade-mecum minimal face aux victimes de violences. Quand ces formations existent, comme à Paris, il faut s’assurer de leur renouvellement et de leur approfondissement, pour inclure les violences à l’encontre des personnes trans, par exemple.
Un parcours d’accompagnement pour toutes les femmes en difficulté, en instituant un point d’information sur les droits des femmes et les ressources locales (défense des victimes de violences, emploi, titres de séjour, mariages forcés…) dans les mairies, puis en les orientant vers des “Maisons du répit” : lieux municipaux opérés par des associations, qui offrent un refuge pour quelques heures ou jours, avec un accompagnement professionnel.
Proposition de charte des villes féministes et inclusives
- Toutes les décisions municipales sont soumises, avant adoption, à la question : quel sera l’impact sur les femmes ?
- Les dépenses d’investissements et les subventions aux associations sont modulées pour réduire les inégalités femmes-hommes.
- L’offre de modes d’accueil des enfants couvrant les besoins de toutes les habitantes est une priorité de la Ville.
- Les VSS, violences conjugales et la lutte contre les stéréotypes de genre sont obligatoirement intégrées à la formation continue de tou·tes les agent·es de la municipalité. Les structures agissant pour le compte de la Ville ont, dans leur cahier des charges, des obligations en matière d’égalité.
- L’accès au droit, aux droits et à la santé des femmes est assuré par des structures municipales de 1er recours, via un guichet unique d’orientation.
- La ville s’assure que les lieux de mise à l’abri pour les femmes victimes de violences sont en nombre suffisant sur son territoire et organise leur parcours prioritaire vers le logement.
Contributeur.ices : Emmanuel Grégoire et le collectif Paris pour les femmes, notamment Juliette Sabatier, Mahaut Chaudouët Delmas, Yasmine El Jaï, Andrea Fuchs, Alexandra Jardin, Maylis Lavau Malfroy, Claire Poursin, Augustin Rogy.