Thème : Formation & Actions
Le monde fait face à une montée inquiétante des mouvements d'extrême droite. Aux États-Unis, la rapidité avec laquelle Donald Trump a repris le pouvoir et reconfiguré l'administration de la plus grande puissance mondiale est révélatrice d'une stratégie parfaitement orchestrée. En France, chaque scrutin électoral est l’occasion de voir progresser l’extrême-droite et ses idées. Le risque d’un basculement politique n'a jamais été aussi imminent. Au regard de l’ancrage local du parti socialiste, la préparation des élections municipales de 2026 sera décisive dans la perspective de la prochaine élection présidentielle de 2027.
Comme l'a si justement souligné notre premier secrétaire aux Universités Socialistes Bretonnes à Lorient : "Nous sommes le premier domino. Si la France, pays des droits de l'homme, tombe aux mains de l'extrême droite, cela aura des effets sur l'Europe et sur le monde." Cette conscience de notre responsabilité historique doit nous mobiliser avec une urgence sans précédent.
On assiste concomitamment à un désenchantement massif : l'abstention est devenue le "premier parti de France", la cote de popularité des dirigeants politiques atteint des seuils historiquement bas (entre 20% et 30%), tandis que le tissu social se délite avec des syndicats et associations qui peinent à mobiliser.
Pourtant, ce désengagement apparent ne signifie pas un désintérêt pour la chose publique. Les Français continuent de discuter passionnément politique et manifestent une culture du débat toujours vivace. Cette contradiction cache une réalité plus profonde : la perception de subir son quotidien, qui génère un sentiment d'impuissance propice à la tomberdans la toile des réactionnaires et conservateurs.
L’extrême-droite est une menace existentielle pour notre République. Elle est anti-démocratique, anti-sociale, anti-écologique, anti-féministe. Face à ce risque, notre diagnostic est clair : il est impératif que nos institutions et notreparti politique en premier lieu redonnent du pouvoir d'agir aux citoyens. La solution réside dans l'action collective, dansla reconstruction de liens sociaux et politiques vivants.
Le Parti socialiste, en écho à l'ensemble de la société française, a perdu de sa capacité à penser collectivement la société et à inspirer l'action. Notre contribution propose une voie de résilience : renouer le verbe et l'action, réfléchir et agir simultanément pour renouveler nos instances, faire barrage à l'extrême droite et construire une alternative démocratique enthousiasmante.
La praxis comme méthode : Transformer en comprenant, comprendre en transformant
Nous devons être à la hauteur du défi historique que représente l’érosion de nos démocraties et la menace de l’extrême-droite. C'est pourquoi nous souhaitons remettre la praxis au cœur d’un paradigme d’action politique renouvelé et revendiqué par le Parti socialiste.
La praxis n'est pas un concept abstrait, mais une méthode concrète qui révolutionne notre rapport à l'engagement politique. Elle refuse la séparation entre théorie et pratique, elle les fait dialoguer dans un mouvement perpétuel et fécond : la pensée nourrit l'action qui, à son tour, enrichit la réflexion.
Dans cette approche, chaque acte militant devient un moment d'apprentissage, chaque réflexion théorique une opportunité de transformation concrète du réel. Notre légitimité ne viendra plus de notre capacité à produire des analyses brillantes mais déconnectées, mais de notre ancrage dans les luttes sociales, les territoires et au sein des mouvements citoyens. Penser la praxis, c’est abolir la distinction entre sachant et apprenant, entre militant et habitant, entre gouvernant et gouverné, ou encore entre le discours et le vécu.
Nous qui rédigeons cette contribution sommes nous-mêmes immergés dans la vie associative, dans la société civile, actifs dans les luttes syndicales et bien d’autres initiatives locales. C'est de cette expérience que nous tirons notre conviction : seule une dialectique vivante entre compréhension et transformation peut répondre à la crise démocratique actuelle. Trop souvent, l'action politique s'est réduite à un discours sans prise réelle sur le terrain, ou à des mobilisations isolées sans traduction politique durable. C'est là que la praxis doit redevenir notre boussole : une pensée en action, une action pensée
Une partie de la gauche et notamment le parti socialiste se sont souvent enfermés dans un verbalisme sans jamais passer à l’acte. Observer le monde sans le transformer a fini par créer un fossé entre les "sachants" et ceux qui vivent les injustices au quotidien. À l’inverse, beaucoup d’actions et de mobilisations politiques n’ont su trouver ces dernières années de débouchés politiques. Lorsque l’activisme s'épuise dans l'action immédiate sans l’ancrer dans les mécanismes systémiques à l'œuvre, elle n’est pas capable de semer les prémices d’une alternative durable au contexte politique actuel. Pire, elle conduit parfois à céder aux sirènes des obscurantismes.
Refuser ces deux écueils, c'est renouer avec l'essence même du socialisme : une théorie qui n'a de sens que dans sa mise en pratique, une pratique qui n'a de puissance que dans sa conceptualisation. Nous devons ouvrir la voie, trouver un chemin de crête. Pour y parvenir, notre proposition est simple mais puissante : penser et agir comme un seul et même mouvement, dans une dialectique permanente. Concrètement, cela signifie :
- Créer les conditions pour que le Parti socialiste soit de nouveau la Maison des personnes engagées sur les territoires, dans le milieu associatif, syndical et plus largement la société civile,
- Construire une vision politique en mouvement permanent, adossée à une doctrine politique forte.
C'est par cette intelligence collective mise en action que nous parviendrons à faire bouger les lignes et à reconstruire un horizon d'espoir face à l’extrême-droite. Remettre la praxis au cœur de notre démarche, c’est se rappeler une vérité essentielle : on ne comprend véritablement le monde qu'en cherchant à le transformer, et on ne le transforme efficacement qu'en s'efforçant de le comprendre en profondeur.
De nouvelles pratiques aux nouveaux profils pour incarner le changement
Face à la montée de l’extrême droite, nourrie par la peur, la colère et le sentiment d’abandon, nous devons opposer une réponse politique claire : redonner aux citoyennes et aux citoyens les moyens d’agir sur leur quotidien. La haine prospère là où les gens se sentent impuissants. C’est en recréant du pouvoir d’agir, du collectif, de la confiance, que nous pourrons construire une société plus juste et plus sereine.
Renouveler nos pratiques doit ainsi s’accompagner d’un renouvellement de nos instances. Le Parti socialiste doit renouer avec celles et ceux qui agissent au quotidien dans les associations, les syndicats, les collectifs citoyens et les services publics. Il doit redevenir leur point d’ancrage politique, leur outil collectif, afin de pouvoir toucher plus largement l’ensemble de la population.
Nous devons approfondir le renouvellement militant de notre parti, en renouant avec le tissu associatif et en soutenant les initiatives locales, partout où elles prennent racine. Nous créerons des ponts entre les associations et l'actionpolitique. Nos événements - universités populaires, forums citoyens, laboratoires d'innovation démocratique - seront des espaces de dialogue et de construction.
La politique n'est pas un métier, mais un engagement. Un acte de transformation collective qui puise sa légitimité dans la capacité à comprendre et à agir. Pour faire de l’engagement politique un véritable moyen d’expression universel,nous devons nous doter d’une méthode qui réponde à deux objectifs :
- Renforcer l’ancrage de l’action sur le terrain : immerger les militants dans les réalités locales, au contact des associations, des services publics et des acteurs de terrain.
- Redonner une place centrale à la formation politique, pour offrir un apprentissage vivant, qui relie terrain et pensée critique.
La pédagogie démocratique sera notre boussole. Faire de la formation une arme pacifique contre la résignation démocratique : apprendre à comprendre, c’est déjà résister. C’est ainsi que naît une conscience politique : dans la capacité à décrypter le monde pour mieux le transformer.
Nous devons déconstruire les barrières psychologiques qui empêchent les citoyens de se projeter comme acteurs publics. C’est ainsi que nous pourrons lutter contre la montée des idéologies d'extrême droite : en déconstruisant leurs rhétoriques et en réinventant un discours politique ancré dans le réel. Nous combattrons l'abstention par des pratiques de démocratie participative, en réinventant les formes d'engagement politique.
Enfin, notre vision est simple et intransigeante : l’engagement citoyen doit être joyeux. La politique ne peut pas se résumer à un champ de bataille ; elle doit aussi être un espace de construction collective. Chaque citoyen doit devenir un protagoniste de la transformation sociale, et non un simple spectateur impuissant. Notre ambition est de raviver l’enthousiasme politique. Non par des discours, mais par une démonstration quotidienne que changer le réel est possible – à condition de penser et d’agir ensemble. Et cela commence par les socialistes.
Conclusion : Une invitation à prendre part aurenouveau de l’horizon socialiste
Cette contribution est une invitation à participer au repositionnement du Parti socialiste dans le paysage politique français, en tant que force capable de réconcilier. Notre société n'est pas intrinsèquement divisée ni conservatrice. Mais elle a récemment été façonnée et influencée pour devenir ce qu'elle est aujourd'hui. Il nous incombe donc de participer à ce qu’elle change d’opinion, de renouveler les débats et de redéfinir son avenir.
Pour y parvenir, nous devons formuler un projet d'émancipation. Il est crucial de nous interroger sur l'horizon que nous souhaitons atteindre, au-delà de ce que nous rejetons. Toute mobilisation contre l'extrême-droite qui omet cet exercice nous conduirait dans une impasse. Partout dans le monde – aux États-Unis, en Amérique du Sud ou en Europe – des gouvernements sans projet autre que de lutter contre l'extrême-droite n'ont pas seulement échoué à l'empêcher, mais ont souvent contribué à son retour. La pire erreur lorsque la politique se polarise aux extrêmes, c'est de se contenter derester au centre. Or, aujourd'hui, il est évident que le centre politique est occupé par l'extrême droite. Nous devons en tirer les conséquences.
En renouvelant nos pratiques et en diversifiant nos profils, nous pouvons participer activement à cette réconciliation. Notre contribution générale est une invitation à réinventer le socialisme, non comme idéologie, mais comme une pratique vivante de transformation sociale. Retrouvons notre ADN socialiste. Réaffirmons notre idéal d'égalité. Réécrivons ensemble une nouvelle grammaire de notre émancipation collective.
Contributeurs : Morgane Braescu Andrieu (Bretagne), Anderson Pinho (Gironde), Ingrid Berthou (Bretagne), Yanis Zerguit (Île-de-France), Thomas Vautour Ahmed (Haute-Garonne)