Thème : Agriculture - Alimentation - Environnement
En manifestant leur colère au printemps dernier les agriculteurs ont exprimé un sentiment d’injustice face à des injonctions contradictoires : d’un côté, la transition agro- écologique que leur demande une majorité de concitoyens implique des risques et des coûts supplémentaires ; de l’autre, l’impératif de la compétitivité face à des marchés internationaux et des oligopoles vis-à-vis desquels trois décennies de dérégulation les ont laissés sans protection. Coincés entre le marteau des standards sociaux et environnementaux les plus élevés au monde et l’enclume du dumping et de la loi du plus fort, leur situation est intenable.
En érigeant le Pacte Vert européen comme le bouc-émissaire de tous les maux - alors qu’il n’est pas entré en œuvre et que la crise est bien là -, l’extrême droite et les conservateurs expriment clairement le souhait de faire disparaître le marteau et d’annihiler toutes ambitions en matière de santé publique et de protection de la biodiversité. Comme souvent, les libéraux laissent faire, espérant que les survivants en sortent plus forts. Nous, Socialistes, assumons une hiérarchie des valeurs où la défense de la dignité des travailleurs de la terre et la viabilité de la planète pour les générations futures doivent primer sur les considérations marchandes. Assumer ces valeurs, c’est considérer que nous devons protéger nos agriculteurs contre le court-termisme des oligopoles et le chaos des marchés dérégulés.
Reconstruire la souveraineté alimentaire au niveau européen
La revendication du droit des peuples à choisir leur alimentation, et donc la forme d’agriculture qui la produit, est apparue dans les années 1990, en résistance à l’agenda néolibéral de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Trente ans après, le combat pour la souveraineté alimentaire continue d’être porté par les mouvements paysans et altermondialistes. Par un glissement sémantique aussi soudain que suspect, les libéraux comme l’extrême droite se sont accaparés la notion de souveraineté alimentaire et parlent de « conserver ou de maintenir la souveraineté alimentaire » en voulant dire « augmenter la production » ou « devenir autosuffisant ».
Pour nous, Socialistes, les mots ont un sens et ”mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde” ! Nous nous devons de ne pas laisser prospérer ce plagiat et de continuer à revendiquer la version initiale de la souveraineté alimentaire. Parce que plus qu’une bataille sémantique, c’est la question du modèle agricole que nous défendons qui est en jeu. Nous ne croyons pas au « doux commerce » et nous savons qu’une société qui réduit ses membres à de simples consommateurs individualisés est une société sans avenir. Ici comme ailleurs, il est nécessaire de réhabiliter la primauté des choix collectifs et du politique au sens noble du terme, c’est comme cela que nous poursuivrons le combat contre l’extrême droite qui fait son beurre des maux que le néolibéralisme inflige aux classes moyennes et populaires. Revendiquer la souveraineté alimentaire, c’est réhabiliter la régulation des marchés agricoles sans nuire à la sécurité alimentaire des pays en développement, c’est penser globalement notre alimentation des producteurs aux mangeurs, en y intégrant les enjeux de santé publique, d’adaptation au changement climatique et de protection de la biodiversité.
Renforcer notre souveraineté alimentaire, c’est disposer des outils de politiques publiques pour être en mesure d’assurer notre sécurité alimentaire, quoiqu’il arrive, quoiqu’il en coûte. Assurer la sécurité alimentaire ne veut pas dire faire le choix de l’autarcie. Bien au contraire, nous avons besoin d’échanges avec les autres continents, mais pas de n’importe quel type d’échanges. Des accords comme le Mercosur visent uniquement à servir les intérêts de quelques multinationales et mettent encore un peu plus sous pression nos producteurs avec une concurrence déloyale. Nous avons besoin d’échanges régulés, qui sécurisent les approvisionnements, tout en tirant vers le haut les normes de production.
L’une des principales différences que nous avons avec ces accapareurs sémantiques, c’est que pour nous, le niveau européen est le niveau idoine pour reconstruire la souveraineté alimentaire. Que la majorité actuelle, avec le renfort de l’extrême droite, inscrive « souveraineté alimentaire de la Nation » dans la dernière loi française est le signe du peu de cas qu’ils font de la construction européenne ! La priorité est donc d’engager une réforme en profondeur de la PAC afin de refermer la parenthèse néolibérale ouverte en 1992.
Réformer la PAC, la mère des batailles
A quelques trop rares exceptions près, les réformes de la PAC se suivent et se ressemblent depuis 1992 : suppression des outils d’intervention publique et versement de subventions aux agriculteurs principalement sur la base du nombre d’hectares qu’ils détiennent. Non
seulement, les subventions accroissent les inégalités de revenu plus qu’elles ne les réduisent, mais la capacité à accompagner les agriculteurs dans la transition agro- écologique est singulièrement écornée avec des aides que l’on verse indépendamment du niveau des prix, indépendamment des types de production, indépendamment de la durabilité des modes de production.
Résultat, toute tentative de verdir la PAC se traduit par du greenwashing, faute de remise en cause de l’objectif principal de l’Union européenne, à savoir être la bonne (seule) élève de l’OMC où les aides découplées à l’hectare ont été érigées au rang de Graal. Donner des subventions tout en dérégulant des marchés, c’est donner d’une main aux agriculteurs et reprendre de l’autre en permettant à l’agro-alimentaire d’acquérir des matières premières à un prix inférieur à leurs coûts de production. Des aides à l’hectare sans plafonnement c’est également une incitation artificielle à l’agrandissement des fermes.
Réussir la transition agro-écologique de l’agriculture européen impose de réguler les marchés agricoles ne serait-ce que pour rendre acceptable le changement pour les principaux intéressés, les agriculteurs. L’intervention publique sur les marchés se justifie également par des raisons extérieures à l’agriculture. Le retour de l’inflation alimentaire rement en cause le mouvement de dérégulation. Avec la crise climatique et la nouvelle donne internationale, s’ouvrir sur les marchés internationaux n’est plus un gage de stabilité, bien au contraire. Qui ne maîtrise pas ses prix alimentaires ne contrôle pas l’inflation et ses conséquences sociales et politiques dramatiques avec la montée en flèche de la précarité alimentaire. Il est donc urgent de réhabiliter l’arme ultime contre la spéculation et les mouvements de panique, les stocks alimentaires. La bonne nouvelle c’est qu’il s’agit d’une des préconisations centrales du récent rapport de Saudi Niinisto, ex-président de Finlande, à qui la présidente de la Commission européenne a demandé sa vision de l’avenir de la sécurité et de la défense européenne.
Les prochaines réformes de la PAC devront également améliorer les capacités d’intervention face aux crises de surproduction afin d’être plus réactifs pour résorber les surplus. L’aide à la réduction volontaire de la production laitière en 2016, obtenue en grande partie par notre camarade Stéphane Le Foll alors ministre de l’agriculture, doit servir d’exemple pour les prochaines crises.
La maîtrise collective de l’offre reste l’approche incontournable de la régulation du secteur que ce soit au niveau européen, mais également au niveau des organisations de producteurs. La dernière réforme de la PAC a étendu la possibilité de financer les organisations de producteurs dans tous les secteurs, et paradoxalement, le gouvernement français refuse d'aider nos éleveurs alors qu’ils souffrent de la domination économique d’une poignée d’acteurs de la transformation.
Sans attendre les prochaines échéances européennes, des leviers sont déjà à portée de main via le Plan Stratégique National d’application de la PAC pour donner des perspectives claires sur le soutien des organisations de producteurs, le plafonnement et la redistribution des aides ou encore sur le soutien à l’agriculture biologique. De plus, il est indispensable de revenir sur la décision de ce gouvernement qui a choisi de recentraliser une part importante des mesures du développement rural alors que nous, Socialistes, avions fait le choix de les confier aux régions. Impliquer l’ensemble des collectivités territoriales est plus que jamais indispensable pour œuvrer à la résilience alimentaire des territoires.
Assurer la protection des ressources communes
Nous devons affirmer que nos standards européens de production doivent également s’imposer vis-à-vis des importations, c’est indispensable pour notre santé et celle des écosystèmes ici et ailleurs, c’est indispensable pour nos agriculteurs qui n’en peuvent plus de subir une concurrence déloyale. Pouvoir refuser des importations de ce type doit constituer l’un des attributs de notre souveraineté alimentaire. Cette mise en cohérence est incontournable si l’on veut être véritablement en capacité de protéger nos ressources naturelles, en particulier en réduisant la consommation de pesticides.
La lutte contre le changement climatique implique de retrouver des politiques publiques qui disposent d’une réelle capacité d’orientation afin d’être en capacité de protéger nos ressources communes que sont l'eau, la terre ou encore les semences et la diversité de nos élevages. A défaut d’une politique publique de l’eau refondée sur l’objectif de bonne gestion, au sens de son économie et de son partage, nous prenons le double risque de l’inefficacité et du délitement démocratique. Le stockage de l’eau de pluie est incontournable dans de nombreux territoires, mais il n’est pas acceptable de voir apparaître des formes d’accaparement d’une ressource commune surtout quand elles constituent des palliatifs à des systèmes de production intenables. Ainsi l’enjeu majeur est de se doter d’un processus efficient sur le court et le long terme, au niveau local et national, pour arbitrer entre l’ensemble des attentes, et ce sur des bases scientifiques.
Pour le foncier, la libéralisation des marchés à l’œuvre depuis plus de deux décennies se traduit par une course démesurée à l’agrandissement qui peut condamner le défi majeur du renouvellement des générations d’agriculteurs. Elle se manifeste par le relâchement du contrôle administratif sur les transactions foncières, par les failles législatives permises par la généralisation des sociétés d’exploitation et l’arrivée de fonds financiers et enfin par le recours à un travail externalisé. L’enrichissement de quelques-uns se traduit par l’appauvrissement de nos sols et de notre société, car l’agrandissement des fermes conduit à une spécialisation et une simplification des systèmes de production préjudiciables tant à la biodiversité qu’à la valeur ajoutée produite sur nos territoires. A l’inverse, l’histoire a bien montré que « la terre à celui qui la travaille » constitue l’un des piliers des démocraties. L’agriculture familiale est le modèle du dépassement du conflit entre travail et capital. C’est la forme d’organisation de la production la plus efficace, la plus durable et la plus résiliente. Préparer une grande loi foncière est l’une de nos priorités les plus urgentes, même s’il nous faut continuer notre action pour trouver les justes équilibres entre production alimentaire et production énergétique avec notamment l’encadrement du photovoltaïque.
Plus que jamais légitimes, affirmons notre bilan !
Nous devons inlassablement rappeler que la gauche de gouvernement a été historiquement le principal pourvoyeur de réponses aux problèmes agricoles.
Les Socialistes ont porté l'organisation collective des agriculteurs avec la création des coopératives et syndicats indépendants des grands propriétaires fonciers dès la fin du XIXème siècle. Et c’est dans l’entre-deux-guerres, avec le Front populaire, qu’est créé l'Office du blé pour garantir un prix minimum aux producteurs et lutter contre les spéculateurs.
A la Libération, le statut de fermage - toujours à l’œuvre aujourd’hui - a protégé les fermiers et les métayers en leur garantissant des baux de longue durée à loyer encadré ainsi qu’en facilitant l’accès à la propriété de la terre à ceux qui la travaillent. Dans les années 1960, ce même mouvement avec le Socialiste Edgar Pisani comme ministre de l’agriculture, a conduit à la mise en place des SAFER qui a établi une régulation des marchés fonciers pourfavoriser l’installation des jeunes agriculteurs. Toujours à la même époque, les coopératives de production ont également été instaurées en promouvant notamment l’achat de matériels en commun.
Au niveau européen, les Socialistes ont mis en œuvre des instruments de régulation des marchés, notamment avec la création des quotas laitiers en 1984. Récemment, dans le même esprit, ils ont obtenu le maintien du système de régulation encore à l’œuvre dans la viticulture ainsi que la généralisation, pour les produits sous indications géographiques, de la gestion collective de l'offre.
Dès la fin des années 1990, les Socialistes ont développé les mesures agro- environnementales territoriales pour accompagner la transition environnementale via des contrats pluriannuels. Ils ont aussi été leaders dans la promotion du modèle de l'agroécologie et du stockage du carbone dans les sols mais également dans la transition alimentaire territoriale avec la création des Plans Alimentaires Territoriaux (PAT).
Sur le plan syndical, nous continuons d’être les fervents défenseurs du pluralisme et nous plaidons pour que les chambres d’agriculture retrouvent leur vocation première, celle d’accompagner tous les agriculteurs. Il convient également de rappeler les avancées sociales telles que le statut des agricultrices, le combat pour une retraite agricole digne ainsi que les mesures pour la protection des conditions de travail et de rémunération des salariés des exploitations agricoles et des entreprises agroalimentaires ou encore les mesures pour les agriculteurs en difficultés. Toujours sur le plan social, les propositions visant à créer un paiement redistributif en 2013 mais aussi l’introduction récente d’une conditionnalité sociale pour bénéficier des subventions de la PAC viennent de nos rangs. Sans oublier le soutien constant des gouvernements socialistes pour la recherche agronomique et l'enseignement technique et supérieur agricole.
En s'appuyant sur sa Commission Nationale à l’Agriculture, à l’Alimentation et à la Ruralité, et en dialogue constant avec la diversité des associations rurales et des syndicats d'agriculteurs et de salariés du secteur, le Parti Socialiste continue d’être une force de propositions et un vecteur crédible du changement.
Contributeur.ices : Eric Sargiacomo - député européen (40), Karine Gloanec-Maurin - SN transitions agricole et alimentaire (41), Christophe Clergeau - député européen (44), Eric Andrieu - ancien député européen (11), Stéphane Delautrette - député (87), Guillaume Garrot - député (53), Chantal Jourdan - députée (61), Dominique Potier - député (54), Hervé Gillé - sénateur (33), Jean-Claude Tissot - sénateur (42), Michaël Weber - sénateur (57), Geneviève Barat - conseillère régionale Nouvelle-Aquitaine (23), Pierre Chéret - conseiller régional Nouvelle-Aquitaine (64), Eric Quénard - conseiller régional Grand Est (51), Justin Amiot (CN-35), Alain Berger (94), Olivier Blanchard (78), Véronique Bonne (32), Gérard Bouchet-Poisson (44), Patrick Châtel (51), François Colson (44), Florian Dumoulin (60), Patrice Douix (43), Jean-Yves Geffroy (35), Christophe Godet (79), Olivier Leconte (76), Monique Le Clézio (22), Maël Le Pillouër (35), Thibault Nancy (75), Sylvain Mathieu (58), Augustin Moreau (53), Dominique Michenot (44), Adrien Pourrat (63), Etienne Pourcher (44), Jean Réparet (75), Marie-Hélène Riamon (CN-42) Malone Roland (Belgique), François Thimel (74), Niels Zwarteveen (75), Frédéric Courleux (51)