Thème : Villes
55 % de la population mondiale vit aujourd’hui en ville, et cette proportion pourrait passer à 70 % d’ici 2050.
Les métropoles concentrent sur leur territoire de nombreux paradoxes : à la fois terres d’opportunités et d’inégalités, lieux de solidarité et d’indifférence. Par leur capacité d’innovation, elles concentrent une part croissante de la richesse mondiale, mais abritent également de nombreux travailleurs pauvres et de populations précaires que la gentrification repousse aux marges des aires urbaines. En fonction de leur organisation spatiale et de leurs choix d’urbanisme, les métropoles peuvent aussi être à la fois l’exemple du meilleur et du pire en matière de transition écologique et d’impact environnemental de leurs habitants.
Face à ces défis, nous souhaitons proposer des pistes d’avenir pour les métropoles françaises, et singulièrement la Métropole du Grand Paris.
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Changer de finalité métropolitaine : la solidarité devant l’attractivité
Les métropoles, système urbain plus ou moins complexe à la hiérarchisation emboîtée, ont été en effet conçues avec un primat économique pour répondre à la mondialisation libérale qui met en compétition les Etats comme leurs territoires. Agglomération de grande taille qui concentre un nombre élevé de personnes et d’activités (économiques, politiques, culturelles...), organise sa région autour d’elle et relie cette région au reste du monde, la métropole concentre toujours plus de populations, d’activités économiques, de pouvoirs. Elle s’organise autour d’une pluralité de centres hiérarchisés en fonction de leur importance. Elle bénéficie de la désindustrialisation et du développement concomitant des services, mais aussi de l’intensification des flux et de la mise en relation des économies et des sociétés à l’échelle mondiale.
Les métropoles portent certes la croissance mondiale. Les 10 plus grandes régions urbaines réalisent 40 % de la croissance et produisent 70 à 80 % des technologies. Les métropoles accueillent la majorité des créations d’emplois et sont plus résistantes aux crises économiques. Elles concentrent les fonctions économiques supérieures, moteurs de la création de richesse (formation, recherche, finance...), créant un écosystème favorisant la coopération et l’innovation dans le cadre de l’économie de la connaissance.
L'Île-de-France est ainsi l'une des régions urbaines les plus dynamiques du monde, tant sur le plan démographique qu'économique. En trente ans, elle a gagné deux millions d’habitants. Avec un PIB de plus de 642 milliards en 2013, elle pèse pour 31 % du PIB national et compte parmi les cinq plus puissantes métropoles mondiales derrière Tokyo, New York, Londres et Los Angeles...
Au total, si ces territoires apparaissent comme les gagnants de la mondialisation, cela n’est pas sans conséquences pour la cohésion sociale et territoriale. En effet, la métropolisation se traduit par de fortes inégalités entre la métropole et le reste du territoire national, entre la métropole et ses périphéries les plus éloignées, mais aussi au sein de la métropole elle-même. Ces inégalités sont à l’origine d’un sentiment d’abandon qui nourrit aujourd’hui un discours hostile à la mondialisation.
Ainsi, la Métropole du Grand Paris est le territoire français dans lequel les disparités de revenus sont les plus fortes. Dans son périmètre actuel, les inégalités de revenus entre les 10 % des ménages les plus modestes et les 10 % les plus aisés sont les plus fortes de toutes les métropoles françaises. Plus précisément, les 10 % des ménages les plus pauvres installés dans une commune de la métropole vivent avec un revenu inférieur de 18 % à celui observé en France métropolitaine alors que les 10 % des ménages les plus aisés vivent avec un revenu supérieur de 40 % à la moyenne nationale.
Pire, ces inégalités sociales se sont aggravées entre 2001 et 2016. Dans 56 % des communes de la métropole, les écarts de revenus ont continué de se creuser par rapport à la moyenne régionale alors que seulement 10 % des communes ont vu ces écarts se réduire. Selon l'étude de l'Atelier parisien d'urbanisme (APUR), « les disparités s'accroissent pour une majorité de communes et quartiers entraînant une polarisation toujours plus marquée entre territoires aisés et territoires pauvres ».
Pour pallier ces inégalités croissantes, il est indispensable de réorienter les politiques métropolitaines vers une logique de solidarité et de cohésion territoriale. Plusieurs mesures peuvent être mises en place pour réduire les disparités et garantir un développement plus équilibré.
Premièrement, la création d'un fonds d'égalité territoriale financé par une mutualisation partielle des ressources locales, permettrait d’assurer une redistribution équitable des ressources entre les différents territoires métropolitains. Ce fonds pourrait financer des infrastructures, des services publics et des projets visant à réduire les fractures sociales et spatiales. Parallèlement, une meilleure coordination entre les métropoles et leurs zones périurbaines et rurales via des contrats de réciprocité renforcerait la cohésion nationale en créant des dynamiques territoriales vertueuses.
Deuxièmement, l’amélioration de l’accès aux services publics dans les quartiers populaires et les zones périurbaines est essentielle pour limiter la ségrégation socio-spatiale. Il est nécessaire de garantir un financement suffisant pour les écoles, les hôpitaux et les transports en commun afin d’offrir les mêmes opportunités à tous les habitants de la métropole, quelle que soit leur localisation. Une politique volontariste de désenclavement des territoires enclavés, couplée à une densification harmonieuse du tissu urbain, permettrait une répartition plus équitable des services.
Ensuite, la lutte contre les discriminations dans l’emploi doit être intensifiée. L’adoption de plans métropolitains pour l’égalité des chances dans l’accès à l’emploi, intégrant des actions de formation et d’accompagnement des entreprises pour identifier et corriger les pratiques discriminatoires, serait une avancée majeure. Cela permettrait de favoriser l’intégration économique des populations les plus précaires et d’assurer une plus grande mixité sociale dans l’accès aux opportunités professionnelles.
Enfin, pour empêcher que la rénovation urbaine ne conduise à la gentrification des quartiers et manque son objectif de cohésion sociale, il est crucial de développer une offre de logements sociaux et de logements abordables en instaurant des obligations plus strictes pour les promoteurs immobiliers et en garantissant un soutien accru aux dispositifs d’aide au logement. Le renforcement du logement intermédiaire et des régulations contre la gentrification excessive permettrait de préserver la diversité socio-économique des quartiers et d’assurer une meilleure mixité urbaine.
Ces mesures, si elles sont menées conjointement, peuvent contribuer à rééquilibrer le modèle métropolitain actuel en le rendant plus inclusif et solidaire.
Repenser la construction démocratique métropolitaine
Sur le plan démocratique, les métropoles souffrent d'un déficit de notoriété auprès des citoyens. L'élection des conseillers métropolitains dans le cadre des élections municipales fait que le mandat intercommunal est connexe au mandat municipal. La légitimité démocratique du conseil métropolitain est critiquée dans la mesure où il n'est pas élu directement sur un projet métropolitain mais agglomère des projets municipaux distincts, ce qui peut être source d’incohérences.
Une première amélioration pourrait consister à ce que les candidats aux élections municipales indiquent sur leurs bulletins de vote le candidat qu’ils soutiennent à la tête de la métropole, ce qui impliquerait naturellement l’émergence de programmes électoraux communs à l’échelle métropolitaine. De ce point de vue, il est possible de prendre exemple sur le mode de scrutin actuellement en vigueur à Paris, Lyon et Marseille qui présente d’ores et déjà cette vertu en incitant les candidat-es à la cohérence entre l’échelle d’arrondissement ou de secteur et l’échelle de la ville dans son ensemble.
Dans un second temps, la question de la répartition des compétences, particulièrement à Paris, Lyon et Marseille, villes qui cumulent trois niveaux d’administration communale et intercommunale (arrondissement ou secteur, ville et métropole) devra être posée. Les différentes métropoles françaises doivent pouvoir évoluer différemment, chacune selon leur chemin propre, en fonction de leur histoire et de leurs caractéristiques.
Changer de méthode : pour des projets métropolitains concertés et concrets
La vie quotidienne métropolitaine ne dispose pas de cadre politique satisfaisant ni d’instruments adaptés. Le fait métropolitain manque d’incarnation et ne peut se résumer à des schémas d’organisation que ses habitants ne peuvent s’approprier alors qu’ils en subissent les décisions.
Le primat de l’attractivité empêche également de repenser les externalités négatives de la métropolisation : étalement urbain et destruction de la biodiversité, artificialité de la coupure urbain / rural, inégal accès aux services publics. Elle freine la construction de l’économie circulaire qui repose sur la proximité spatiale.
Le primat de la solidarité doit lui être substitué afin de répondre aux inégalités territoriales. La concentration de richesses engendrée par l’attractivité de la métropole augmente le sentiment de frustration et de relégation pour celles et ceux qui n’y n’ont pas accès : 77 % de la population pauvre réside dans les 230 grandes aires urbaines de métropole, dont 65 % dans les grands pôles urbains et 20 % dans l'aire urbaine de Paris. Dès lors, la métropole doit moins être un outil de compétitivité et davantage un facteur de cohésion. Les logiques de confrontation doivent laisser la place aux logiques de coopération.
Il faut définir au sein des métropoles, et après concertation avec les élus métropolitains et des communes concernées, quelques projets coopératifs d’aménagement structurants pour la cohésion sociale. Lorsque la réforme institutionnelle n’est pas possible, il faut partir de la coopération intercommunale car la dynamique territoriale, solidaire, écologique et innovante doit se construire avec les communes voisines pour répondre aux défis partagés.
1/ Le premier défi concerne la transition écologique, qui doit permettre de réduire les inégalités et non les accroître
Le changement climatique impose de repenser l’action publique à une échelle plus large. Nous proposons de reprendre en priorité des Plans Climatiques Métropolitains plus ambitieux : les actuels PCAEM, s’ils mobilisent les acteurs de l’énergie et du climat ainsi que les collectivités concernées, ont tendance à laisser à l’écart les habitants de la métropole et à rester des exercices technocratiques.
Leur dimension pourrait dépasser le périmètre de la métropole institutionnelle pour englober celui de la métropole fonctionnelle, ce qui permettrait, entre autres, d’interroger la pertinence de certaines aires métropolitaines actuelles, dont celle de la MGP.
2/ Le deuxième est de penser les mobilités à l’échelle pertinente
Les politiques de mobilité doivent lutter contre la pollution en développant l’offre de transports publics ou partagés et les mobilités actives. Les restrictions d’accès (comme les ZFE) appliquées à certains types de véhicules anciens et polluants doivent nécessairement aller de pair avec des dispositifs de soutien permettant aux ménages les moins favorisés de financer un changement de véhicule ou de mode de transport.
Des Plans Métropolitains de Mobilité doivent accorder une attention particulière à la continuité territoriale des projets de mobilité (assurer la continuité des pistes cyclables par exemple) et la mise en cohérence des différents modes de transport (améliorer les liaisons des transports publics, créer des parkings au niveau des hubs de transports en commun et faciliter le covoiturage), faciliter les déplacements des personnes à mobilité réduite, encourager le vélo et la marche à pied, optimiser les livraisons et réduire l’impact environnemental du transport de marchandises avec l’utilisation des circulations fluviales, ou encore mieux répartir les flux touristiques en irriguant l’ensemble du territoire métropolitain.
3/ Le troisième axe concerne le logement, qui ne doit pas être laissé au seul marché privé au risque d’exclure de nombreux habitants des métropoles
C’est à cette échelle également que la politique du logement social doit se penser et se concrétiser.
Nous proposons de créer des offices métropolitains de l’habitat pour répartir équitablement les efforts de construction et d’hébergement entre les communes, pour engager des politiques métropolitaines du logement afin de transformer les bureaux en logements, rééquilibrer le logement social dans les territoires déficitaires, aider la rénovation thermique des logements sociaux.
C’est à l’échelle métropolitaine qu’il faudra en effet engager un vaste plan de conversion des bureaux en logements, prioritairement sociaux pour répondre aux demandes qui excèdent structurellement les attributions, afin de débloquer la crise immobilière nationale qui bloque les mobilités spatiales et sociales et de constituer de nouveaux pôles tertiaires autour des gares.
4/ Enfin, le quatrième axe consiste à mutualiser les outils coopératifs, notamment en matière de grands services publics urbains.
Il faut créer un cadre de travail pérenne et commun, à l’image de l’inter-SCOT lyonnais, avec des diagnostics partagés, et s’appuyer sur des syndicats intercommunaux à vocation unique mutualisés à l’échelle métropolitaine, pour les mobilités, l’eau, les déchets, l’aménagement urbain, dans la perspective de leur fusion avec les métropoles d’ici 10 ans.
La situation actuelle des métropoles n’est pas satisfaisante et ne peut perdurer. Il y a consensus. Cependant, aucune initiative législative n’a été prise depuis ce constat partagé pour porter une réforme des espaces métropolitains. La question décisive du partage des ressources fiscales afin de rééquilibrer entre communes riches et communes pauvres demeure un tabou. Elle contribue à la paralysie des métropoles qui n’ont pas les moyens financiers de leurs ambitions. Pourtant, il y a urgence à remettre l’ouvrage de la construction métropolitaine sur le métier, car de grands défis se dressent devant nous.
Contributeurs :
Emmanuel GREGOIRE - Paris en Grand
RULLIER Bernard, AGGOUNE Fatiha, AICHOUN BAPTISTE Berangere, AKHARRAZ TORIKIAN Zineb, BALOSSIER MERCHAN Arthur, BALTAGI Ahmed, BALTAGI Ahmed, BATTINI Antoine, BERTRAND Agnès, BOSSAVIE cecile, BOUGEARD Morgan, BREGMAN Dorine, BRUN Hervé, BRUNO Salleras, CARLESSO Arthur, COBLENCE Emmanuel, COMET François, COTTIN Elias, COTTREL Francois-Xavier, COURCOL Christine, COURCOL christine, COURTY Arthur, COURTY Arthur, COUSIN Martin, DALLOT Jeanne, DARBO-PESCHANSKI Catherine, DAVIAUD Jean-Philippe, DELMESTRE Mathieu, DEMIERE Antoine, ECOLIVET--MEUNIER Hector, EL JAÏ Yasmine, ELEFTERIOU Thomas, FAURE Annie, FISZMAN Thelma Lou, FLACHAT-BERNE Léon, FUCHS Andrea, GABRIEL Fabrice, GAILLAT Eva, GALLAND Clement, GARRIGOS Genevieve, GAVRILOV Pauline, GELLY-PERBELLINI Michel, GENEL Alain, GENEL Alain, GÉRAUX Victor, GIRARD Alexandra, GOASAMPIS Olivier, GOASDOUÉ Emile, GUENANEN Valentin, GUERRERO Richard, GUILLORY Franck, GUILLOU Antoine, HAMAN Mohaman, HERBAUT-GAFFORY Jean-Yves, IDRISS Kais, IDRISS Kais, JAMET-FOURNIER Boris, JARDIN Alexandra, JULIEN Pierre-Clément, KOUASSI Johanne, LASNIER Philippe, LAVAL Gaston, LAVAU MALFROY Maylis, LEBLANC Mathys, LEBLANC Monique, LEGAIN Théo, LEVOIR Tom, LITHA Garance, LOUNI Ali, MADOUI Fadhila, MANSO Mathilde, MARTINET Stéphane, MARZIN Maxime, MASSIN Mireille, MÉNAGER Samuel, MENGANT-SÜSS gerard, MERGEY Charles, MERMBERG Hélène, MERMBERG Hélène, MÉTAYER Jean-Michel, MOREL Emmanuelle, NANGERONI Adele, NAPOLI Aude, NAUD Estelle, NOU Philippe, OFFREDO Eric, OLLIVIER Antoine, PARIS Pierrick, PETIT ROSSI Gaspard, PEZECHKI Floria, PORCEDO-ZIMMERMANN Tom, POSTEL-VINAY Émilie, POURSIN Claire, PUIBERNEAU Stephane, RAFOWICZ Emma, RAMOND Emilie, REMER Jacques, REY David, RIOU Alexane, ROCCA Isabelle, ROSSET Marine, ROZES Mélanie, SABATIER Juliette, SIRJACQ Karel, SOLEILHAVOUP Anne, STEVANT Cyrille, THEBAULT Philippe, TIROT Paul, TOKA Serge, TREILLARD Benoît, URI Noelle, VANDECANDELAERE Margot, VARGAS Maria-Loreto, VIEILLE Jean noël, VOJDANI Gabriel, WEILL Pierre-Alain, ZEBIR Faty, ZIADY Karim, ZUCCARELLI Eric