Thème : Démocratie représentative
Pour que le CESE contribue à une République Moderne
“Là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré.”
- Introduction
Ce n’est pas un hasard si, à l’entrée du Conseil Economique Social et Environnemental, trône la citation de Joseph Wresinski, combattant inlassable de la pauvreté et des conditions de vie indignes. Le CESE, trop méconnu, est le lieu où les oubliés de la République doivent retrouver voix au chapitre et où les intérêts de long terme, l'expérience du terrain et les exigences de justice sociale nourrissent la décision publique. Loin d'être juste un lieu d’avis consultatifs, il est lieu de l’expression et de représentation civile du peuple, troisième chambre de la République - après l'Assemblée Nationale et le Sénat. Mais s’il peut aussi s’autosaisir de certains sujets économiques, sociaux ou environnementaux, il ne vote pas de loi, alors qu’il représente la société civile organisée (syndicats, employeurs, associations, ONG, etc) et de ce fait, le CESE est le grande absent de la démocratie française trop souvent ignoré par les décideurs alors qu’il devrait être le pont entre la société et le pouvoir.
Dans une époque où la crise democratique est grande et dans laquelle les citoyens éprouvent un manque de considérations des politiques et une distance qui s'accroît avec eux, réinventer le CESE, c’est redonner du sens à la démocratie sociale, aux corps intermédiaires, et aux associations pour une République qui aspire à plus d’écoute, de justice et de participation.
En 1962, Pierre Mendès France proposa, dans “La République Moderne, de transformer le Conseil économique et social en une véritable assemblée économique représentant les forces vives de la Nation. C’est dans cette optique que s’inscrit cette contribution thématique.
- Cinq propositions concrètes pour un CESE renforcé
Représenter la société réelle
Pierre Mendès France proposa de transformer le Conseil économique et social en une véritable assemblée économique représentant les forces vives de la Nation. Il faut s’inspirer de cette idée en faisant du CESE une composition plus democratique et plurielle et ainsi faire que le CESE soit l’Assemblée qui représente les grands secteurs socio-professionnels où siège en son sein les représentants des travailleurs (ouvriers et employés via les syndicats), les employeurs (patronat, entrepreneurs), les agriculteurs, les artisans, les professions libérales, et tout ce qui touche à la vie quotidienne et économique des français.. L’objectif est que chaque composante majeure de la société ait voix au chapitre, y compris celles insuffisamment représentées jusqu'à aujourd'hui.
Il faut aussi que nous ouvrions à de nouveaux groupes et « forces de progrès » pour limiter la surreprésentation des intérêts traditionnels et corriger la sous-représentation des forces émergentes (jeunes générations, secteurs innovants, ONG, mouvements coopératifs, etc.). La version actuelle du CESE, dont les membres sont nommés par l'exécutif, « avantage certains milieux possédants et désavantage la classe ouvrière, les forces d’expansion, de rajeunissement et de progrès ». Nous proposons, soit d’élargir la composition du Conseil à ces groupes dynamiques qui reflètent les évolutions de la société, soit d’en modifier sa composition pour qu’ils soient considérés et intégrés..
Enfin, il faut réformer le mode de désignation des membres afin qu’ils ne soient plus nommés discrétionnairement par le pouvoir en place, mais désignés par leurs organisations ou collèges électoraux respectifs. Ainsi, par exemple, les représentants ouvriers seraient choisis par les syndicats de salariés, les agriculteurs par leurs fédérations, etc., garantissant la légitimité de chaque membre. Ce mode de désignation par les intéressés eux-mêmes ancrera le Conseil dans la société civile, plutôt qu’en faire une assemblée de personnalités nommées d’en haut. Ce mode de désignation prendra également en compte les critères paritaires juste tels que le genre, l'âge, la classe sociale.
Un CESE systématiquement saisi sur les grands textes
Pour endosser sa juste représentation, le CESE doit bénéficier de pouvoirs plus étendus que le simple rôle consultatif dont il dispose. Il doit devenir une véritable troisième chambre législative, dotée de compétences effectives dans le processus décisionnel. Ses expertises et ses voix issues de la société réelle donnent au CESE toute légitimité pour devenir un acteur stratégique des grandes transitions (écologique, démographique, numérique, industrielle…). Ainsi, il doit co-analyser le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) avec la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, et être saisi systématiquement des lois de programmation pluriannuelles, notamment celles relatives au climat, à la transition énergétique, à la santé, ou à la dépendance. Son avis, public, doit éclairer le Parlement, en rendant compte des effets concrets des réformes sur les citoyens.
Le CESE deviendrait ainsi un partenaire stratégique de la planification publique, garantissant que les politiques de transition soient socialement soutenables, territorialement équilibrées, et écologiquement efficaces. Il exercerait un pouvoir délibératif sur les lois sociales, économiques et écologiques et concrètement, aucune loi ne pourrait être adoptée sans son examen et son vote et disposerait d’un droit de veto suspensif ou d’approbation sur les textes de loi. En tant que troisième chambre, le Conseil économique et social serait également habilité à initier des propositions de loi dans son champ de compétence et pourrait proposer des réformes ou des mesures législatives concernant les domaines économiques, écologiques et sociaux ou touchant aux intérêts collectifs qu’il représente. Cela permettrait d’introduire au Parlement des projets émanant directement des forces sociales organisées.
Au-delà des lois économiques, sociales et écologiques et du PLFSS, le CESE serait consulté sur les grands choix économiques et sociaux tels que les réformes structurelles, les projets touchant aux conditions de travail, et aux textes liés au grand âge. Bien que consultatif sur ces questions, l’avis du Conseil, enrichi par l’expertise de ses membres, prendrait une valeur politique forte et devrait être rendu public, alimentant le débat national.
Pouvoir d’alerte et d’initiative
Pour sortir de son rôle passif, le CESE doit devenir une force de proposition dans le débat démocratique. Il doit pouvoir interpeller le Parlement et le gouvernement sur les enjeux majeurs économiques, sociaux ou écologiques, par un pouvoir d’alerte publique, rendu obligatoire et encadré.
Le CESE serait chargé d’étudier les pétitions citoyennes, dès lors qu’un seuil est atteint (par exemple 150 000 signatures), et serait tenu de produire un rapport, des auditions, et un avis public, transmis au Parlement et au gouvernement. Ce dispositif permettrait de canaliser l’expression citoyenne vers une instance légitime et structurée, et d’obliger les pouvoirs publics à répondre dans un délai défini. Ce mécanisme renforcerait le lien entre société civile et institutions, et donnerait corps à une démocratie plus participative.
En parallèle, le CESE doit bénéficier d’un droit de saisine autonome du Parlement, sur les textes relevant de son champ de compétence. Il pourrait ainsi proposer des amendements, initier des rapports thématiques ou formuler des propositions de loi citoyennes, relayant les préoccupations des acteurs de terrain.
Coopérer avec le Parlement et les territoires - Le rôle des CESER
Sans remplacer le Sénat, le CESE doit devenir un partenaire institutionnel du Parlement, en développant des travaux conjoints, notamment sur les enjeux d’aménagement du territoire, de développement local, de cohésion sociale ou d’égalité républicaine. En cela, le rôle des CESER est primordial. S’appuyant sur les institutions régionales, le CESE pourrait produire, en lien avec les commissions sénatoriales, des rapports conjoints, voire organiser des auditions partagées sur les grands défis sociaux et environnementaux. Cette coopération Région/Siège renforcerait la légitimité du CESE tout en enrichissant les travaux parlementaires.
L’ancrage territorial doit être le garant et le relais national des dispositifs locaux de démocratie participative (conseils citoyens, conventions locales, assemblées de jeunes…) et établir des correspondants régionaux au sein des CESER pour remonter les initiatives, les alertes et les bonnes pratiques.
C’est pourquoi nous, socialistes, devons nous mobiliser pleinement pour défendre le maintien des CESER, aujourd’hui menacés par une proposition de loi en cours d’examen. Au regard de l’influence historique et actuelle des socialistes dans de nombreuses régions de France, nous avons la responsabilité et l’opportunité d’organiser une mobilisation forte, à la hauteur de l’enjeu démocratique que représente la démocratie territoriale. La disparition des CESER porterait atteinte à un équilibre précieux entre institutions, territoires et société civile.
Limites
En cas de désaccord persistant entre le CESE et l’Assemblée nationale sur un texte, Mendès France prévoit un mécanisme d’arbitrage démocratique. Conformément aux principes parlementaires, il suggère que l’Assemblée nationale ait in fine le “dernier mot”pour trancher les différends. Cette primauté de l’Assemblée (élue au suffrage universel direct) garantit que, malgré les pouvoirs étendus du Conseil, la volonté populaire exprimée par les députés reste déterminante. Néanmoins, l’intervention du Conseil obligerait le Parlement à un dialogue approfondi : le va-et-vient entre les deux chambres enrichirait et amenderait les lois, et le gouvernement devrait tenir compte des avis du Conseil sous peine de blocage temporaire.
Contributeur : Sébastien Baguerey (37), Fanny Pidoux (45), Malika Bonnot (69)