Pour un renouveau budgétaire

Thème : Budget


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Pour un renouveau budgétaire

Repenser le progrès dans une économie ouverte, sans croissance , sous contrainte écologique et avec des finances publiques exsangues.

Notre pays se caractérise aujourd’hui par une situation financière très dégradée par 8 ans de politique budgétaire néolibérale, erratique et verticale du président Macron.

Un néolibéralisme définit comme un “fait social total” , c’est à dire qui ne qualifie pas seulement la mainmise du capitalisme sur notre existence, mais comme une nouvelle rationalité politique et sociale qui achève de transformer « le sujet de droit et d’intérêt », l’homo politicus de la démocratie libérale, en homo œconomicus.

La rationalité comptable transforme l’État et tous les autres espaces de gouvernance en dispositifs gestionnaires visant essentiellement des objectifs tels que le rehaussement de crédit et la croissance économique. Elle transforme la nation en entreprise, l’État en gérant de cette entreprise et les citoyens en simple capital humain.

Les ravages d’un tel système se font jour aux USA, où une bande de ploutocrates a pris le pouvoir de la plus grande puissance du monde.

Cette situation s’impose à nous au moment où de grandes transformations sont en cours, principalement écologique, démographique et géopolitique, et qu’elles impliquent des besoins de financement accrus dans les années qui viennent.

Il n’est pas inutile de rappeler que lorsque Emmanuel Macron arrive au pouvoir en 2017, la France affiche un déficit public de 3,4 % du PIB, sept ans plus tard, le pays se bat avec un déficit de 6 % en 2024.

Vers un keynésianisme de guerre ?

Pourtant, au moment où l’Allemagne voit les taux de sa dette grimper, sous l'effet des annonces d’un plan d'investissement XXL de 500 milliards d'euros, les taux français se retrouvent directement impactés par ce choc sur les taux allemands.
Les intérêts versés par notre pays à nos créanciers, qui approchaient 59 milliards d'euros l'an dernier pour l'ensemble des administrations publiques, devraient ainsi atteindre 67 milliards cette année et frôler 100 milliards dès 2028, selon Bercy.

Et nous ne pouvons pas tout capitaliser sur notre place de deuxième exportateur mondial d'armes, qui indéniablement nous profitera à l’heure où une probable hausse des dépenses militaires en Europe pourraient avoir des effets positifs sur la croissance française.

Pierre Mendès France rappelait à bon droit que « les comptes en désordre sont la marque des nations qui s’abandonnent »? Nous y souscrivons.

Après 7 ans de Macronisme l’État est nu et le Trésor sa feuille de vigne.

Nous ne devons pourtant pas nous résigner, le budget, acte éminemment politique, ne peut pas rester au stade plat de l’action administrative : il doit être le moyen de l’action progressiste au service de la décision politique au bénéfice de l’intérêt public.

Le budget en ce qu’il est porteur de l'intérêt commun est un acte cardinal dans la nation, et ce alors que l’individualisme gangrène nos sociétés.
Tout cela n’est pas nouveau, déjà en 2004 Jürgen Habermas déplorait que, dans la dynamique de mondialisation, les citoyens soient «
transformés en monades singulières et agissant dans leur propre intérêt, qui ne font plus que brandir leurs droits subjectifs comme des armes les uns contre les autres »

Notre devoir de parlementaire reste de créer du liant afin que la vie en société soit supportable pour tous, pour ce faire les services publics sont ce bien commun indispensable à la cohésion républicaine.

Maintenir du liant tout en n’oblitérant pas l’avenir.

Le point de départ de tout doit rester le maintien d’un haut niveau d’éducation, obtenu grâce à une scolarité réussie et à une formation tout au long de la vie adaptée. C’est essentiel pour maintenir les capacités d’innovation de l’économie française qui doivent lui permettre à la fois de se réindustrialiser et d’assurer la transition environnementale en se positionnant, autant que possible, en pays leader, qui invente des solutions, plutôt qu’en suiveur.

Sur le financement de la transition écologique, il est devenu vital de réunifier les univers parallèles de l’économie et de l’écologie et de bâtir un cadre social pour l’action rationnelle qui intègre pleinement la finitude du monde. Car l’heure est grave,tous secteurs confondus (transports, bâtiment, industrie, énergie et agriculture), les investissements nécessaires à l’atteinte de l’objectif 2030 s’élèvent en France à 66 milliards d’euros par an.

Cet effort ne pourra être mené à bien sans investissements publics massifs, en particulier pour accompagner les ménages les plus modestes qui disposent d’une faible épargne et n’ont pas accès au crédit.

Ces investissements se feront aussi par le truchement des collectivités territoriales. Alors que leurs finances sont exsangues après des années de suppression de leur pouvoir de taux, entachant par là même leur autonomie.

Les collectivités à elles-seules représentent 70% de la commande publique, elles ont donc les moyens de flécher les investissements de demain vers des système vertueux.

Pour ce faire, elles ont besoin de ressources propres sanctifiées afin de pouvoir faire vivre la démocratie locale dans un monde où l’État apparaît de plus en plus éloigné des préoccupations de nos concitoyens.

Le levier fiscal, dispositif nécessaire au rétablissement des comptes publics ....

L’état des finances publiques et les besoins d’investissement pour relever les défis de demain pointent vers la recherche de recettes supplémentaires. Que ce soit donc l’occasion de clarifier le système des prélèvements obligatoires, de le rendre plus progressif et de se souvenir que les impôts doivent contribuer à l’orientation de l’activité économique.

Pour cela, il nous faudra remettre en cause le dogme d’Emmanuel Macron sur la réduction continue des impôts dans lequel il s’est enferré. Cela serait d’autant plus légitime, que la situation économique n’a visiblement pas été mauvaise pour tout le monde et que les entreprises du CAC 40 ont réalisé en 2023 un renversement historique de plus de 153 milliards d’euros de dividendes.

.... couplé au rationnement des dépenses publiques

Néanmoins le levier fiscal ne saurait être la panacée dans un pays où les libéraux aiment à nous rappeler que nous avons le plus haut taux de prélèvements obligatoires de l’OCDE..

Nous assumons de prôner un retour progressif à l’équilibre budgétaire grâce à plusieurs leviers fiscaux qui conjugueraient croissance, emploi et justice sociale, bien loin de la tentation austéritaire prônée paresseusement par un pan de la classe politique.

Nous actons aussi le fait que face aux besoins d’investissements publics massifs, nous ne pouvons plus nous permettre d’accroître mécaniquement les dépenses publiques, lesquelles pèsent déjà très lourdement sur le pays.

Il convient de réfléchir sérieusement, dans le cadre d’un débat démocratique porté devant les militants, aux mesures les plus à même de réduire le déficit public tout en réorientant la dépense vers les priorités énoncées plus haut.

Il conviendra, au-delà d’un gel du niveau global des dépenses publiques, d’atteindre l’objectif de réduction du déficit à moyen-long terme, de mettre en œuvre une revue réelle et sérieuse des dépenses, mission par mission budgétaire. Autrement dit, il s’agit de faire mieux en dépensant moins dans certains secteurs de l’action publique pour dépenser, si besoin, davantage dans d’autres secteurs.

Le risque de faire tomber notre logiciel politique dans l'obsolescence est grand, et nous ne pouvons plus perdre de temps car les formes que prend désormais l'imbrication de l'économie, de l'écologie, du social et du culturel nous imposent un changement de paradigme, de nouvelles manières d'articuler la question de l'égalité à celles du sens du commun et du renouveau de la culture démocratique.

Nous ne pouvons plus nous borner à penser le progrès social qu’en termes exclusifs de droits sociaux, de redistribution monétaire et d'emploi public.

L’époque nous intime l'ordre de nous questionner sur : comment repenser le progrès socialiste dans une économie ouverte et belliciste, sans croissance , sous contrainte écologique et avec des finances publiques exsangues ?

Pour relever ces défis il nous faudra lever bien des tabous pour générer les recettes supplémentaires à même de garantir un bon niveau de services public et une protection sociale qui ne laisse personne sur le bas-côté.

Que ce soit en matière de droits de succession, où la fortune héritée représente aujourd'hui 60 % du patrimoine total, contre 35 % dans les années 1970, ou que ce soit aussi en matière de retraites une mise à contribution soutenue des retraités les plus favorisés constitue une piste de réflexion qu’il faudra envisager. Cette mesure de nouvelle contribution des retraités aisés vers le reste de la population se justifie par le basculement historique à l’œuvre du rapport économique entre générations.

Au cours des cinquante dernières années en effet, les générations nées avant 1960 ont vu leurs conditions de vie s’améliorer de façon spectaculaire au point de devenir en moyenne bien plus favorables que celles des générations nées après les années 1960, sans que notre système de protection sociale n’intègre cette nouvelle donne, il nous faut désormais en prendre acte.

Notre société aux désirs infinis dans un monde qui se rapproche de sa finitude en matière de ressources énergétiques va nous demander de mobiliser les deniers de la puissance publique de manière de plus en plus efficiente.
La croissance, sur laquelle est assise la stratégie de finances publiques depuis 8 ans, ne peut plus constituer l’alpha et l'oméga des politiques budgétaires de notre pays.

Avec une population vieillissante et des coûts énergétiques élevés qui incitent aux délocalisations, la «japonisation» de l'Europe nous guette.

Par conséquent, la croissance de notre pays, dans les prochaines années, va rester très limitée, il faudra en tenir compte pour relever la complexité des problématiques contemporaines qui s’imposent à nous.


Contributeurs : 

Thierry COZIC, Sénateur de la Sarthe


BRIQUET Isabelle, Sénatrice de la Haute-Vienne
BLATRIX-CONTAT Florence, Sénatrice de l'Ain
ÉBLÉ Vincent , Sénateur de Seine-et-Marne
FÉRAUD Rémi, Sénateur de Paris
LUREL Victorin, Sénateur de Guadeloupe
JEANSANNETAS Éric, Sénateur de la Creuse
ESPAGNAC Frédérique, Sénatrice des Pyrénées-Atlantiques


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