– Mardi 6 septembre 2022
Rémi Cardon, secrétaire national à la Fracture numérique
Le 13 octobre 2017, le gouvernement lançait en grande pompe son programme « Action Publique 2022 », avec pour ambition d’interroger et de repenser en profondeur les moyens d’action publique en y intégrant pleinement les outils numériques de notre temps.
Parmi les mesures phare de ce projet se trouvait un objectif de 100 % de l’Administration dématérialisée à l’horizon 2022.
Malheureusement, la frontière entre effets escomptés et effets d’annonce est parfois très fine. Les promesses et les ambitions du Gouvernement n’ont pas permis de dépasser son impréparation, ni de combler son manque de solutions pour en finir avec la fracture numérique dans notre pays.
Cette même fracture numérique n’est qu’une des nombreuses déclinaisons de la multitude de fractures sociales et territoriales qui sévissent dans notre pays. Ériger le numérique en solution miracle à des années d’abandon et de désengagement de l’État n’était, au mieux, qu’un inévitable camouflet, au pire, un évitable péché d’orgueil.
En ignorant le quotidien des français, le gouvernement a souvent rendu leur vie plus difficile. Il compte désormais rendre leur vie numérique impossible.
Sous couvert de « révolution numérique », les pouvoirs publics se sont engouffrés dans une brèche, brûlant et ignorant certaines étapes incontournables. Zones blanches et grises, difficultés à utiliser internet, illectronisme, absence d’accessibilité pour les personnes en situation de handicap, la fracture numérique aggrave tant d’autres fractures dans notre pays.
En 2022, ce sont près de 15 % des Français (10,2 millions) qui vivent toujours dans une zone blanche, sans connexion internet. Pourtant, le Plan « France Très Haut Débit » prévoyait que l’entièreté du pays soit raccordé au Très Haut Débit dès cette année. Il est désormais question d’atteindre cet objectif en 2030.
La fracture numérique est avant tout une fracture territoriale. Quand 25 % des Français se disent délaissés par les services publics, 28 % de la population se dit peu, voire pas compétente quant à la réalisation d’une tâche administrative en ligne. Pire encore, sur 250 démarches administratives, seules 40 % d’entre elles sont accessibles aux personnes en situation de handicap.
En dépit du plan d’inclusion numérique, l’illectronisme, la difficulté de maîtriser le numérique, touche aujourd’hui encore plus de 10 millions de Français, toutes générations confondues. C’est d’ailleurs chez les moins de 25 ans que les difficultés sont les plus grandes dès lors qu’il s’agit d’effectuer une démarche administrative sur internet.
De fait, alors même que la puissance publique doit accompagner chacune et chacun, elle s’apprête à laisser tout le monde sur le côté : jeunes, personnes âgées, personnes en situation de précarité sociale, les étrangers, les majeurs protégés, les personnes détenues… Dans ces conditions, il est chimérique de penser que le numérique pourra résorber un des grands maux de notre pays : le non-recours aux droits.
L’engagement du gouvernement pour la dématérialisation de l'entièreté des démarches administratives ne fera donc qu’aggraver des inégalités d’accès au numérique qui se ressentiront davantage au quotidien, et entérinera l’éloignement de plusieurs millions de citoyens de leurs administrations.
Les services publics continuent de fermer les uns après les autres dans nos territoires, et sont désormais en voie de disparition. Les Maisons France Services remplacent substantiellement les services publics qui ferment, mais cela demeure trop insuffisant tant elles restent sous-dotées en personnels avec seulement 1800 conseillers numériques pour accompagner vers l’autonomie dans l’usage du numérique. C’est donc moins d’un conseiller par France Services (2100 France Services).
Le numérique doit être une chance pour tous, et l’accès au service public numérique doit être universel. Pour cela, huit mesures concrètes devraient être mises en œuvre immédiatement pour éviter le déclassement social par le numérique de millions de citoyens :
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Se donner, enfin, les moyens de nos ambitions en accélérant le déploiement massif de la fibre optique sur l’ensemble du territoire français, pour que l’ensemble du territoire soit couvert dès 2025.
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Faire des maisons « France Services » le cœur du lien nouveau entre l’État et les citoyens en multipliant par deux leurs ouvertures, en organisant systématiquement des journées d’initiation, de formation au numérique et d’information au public sur leurs droits.
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Faire confiance aux territoires pour créer des synergies entre associations, usagers et conseillers numériques en transférant aux EPCI/départements la responsabilité d’organiser les services publics numériques territoriaux.
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Accorder des moyens de dotation et de formation renforcés aux petites mairies qui doivent pallier l’absence de services publics, et qui assurent bien souvent les démarches administratives numériques des habitants
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Mettre en place une véritable filière financée et professionnalisante de médiateurs et conseillers numériques pour pérenniser leurs postes
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Généraliser le chèque-équipement, pour la location ou achat d’équipements numériques pour les ménages modestes, ainsi que des formations numériques
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Créer Un fonds de lutte contre l’exclusion numérique, financé par une taxe sur les services proposés par les GAFAM.
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Rendre accessible tous les sites internet à tous les publics, y compris des personnes en situation de handicap, avec un label « e-accessible » et un renforcement des sanctions en cas de non-respect de ce label
Le gouvernement doit repenser sa stratégie tout-numérique : elle doit être inclusive, respectueuse des Français qui ne maîtrisent pas le numérique, et doit impérativement concerner l’ensemble du pays.