Pour un vote obligatoire, socialement juste et démocratiquement renforcé


Thème : Lutte contre l'abstention


 

Pour un vote obligatoire, socialement juste et démocratiquement renforcé

I. Vers une crise de légitimité de la représentation nationale

A. La genèse d’une crise de légitimité démocratique

Nous sommes le 21 avril 2002. Devant leur poste de télévision, les Françaises et les Français retiennent leur souffle. À 20 heures, les résultats tombent : Jacques Chirac arrive en tête avec 19,88 % des voix, réalisant le plus faible score jamais enregistré pour un président sortant sous la Vème République. Mais le véritable choc survient avec Jean-Marie Le Pen, candidat d’extrême droite, qui crée la surprise avec 16,86 %, devançant Lionel Jospin.

L’annonce fait l’effet d’un coup de tonnerre. Lionel Jospin, abasourdi, annonce son retrait immédiat de la vie politique.

Ce jour a marqué un basculement historique dans la vie politique de notre pays. L’élimination dès le premier tour de l’élection présidentielle de celui qui gouvernait la France depuis cinq ans constitue un cataclysme pour le Parti socialiste, mais surtout une onde de choc pour notre démocratie.

Si l’on cherche à comprendre les raisons de cet événement, l’abstention, qui s’élevait alors à 28,4 %, apparaît comme un facteur déterminant. Elle a sans doute contribué à priver la France d’un président socialiste, malgré un bon bilan économique et social.

Vingt-trois ans plus tard, cette blessure reste béante dans la mémoire collective de la gauche. Une génération entière de militantes et de militants socialistes s’est construite avec ce traumatisme, ancré dans son rapport à la politique. Depuis, l’abstention n’a cessé de croitre, et l’extrême droite, autrefois cantonnée aux marges, s'est enracinée au cœur du paysage électoral, accédant au second tour de l’élection présidentielle en 2017 puis en 2022.

B. Une polarisation croissante, un désengagement inquiétant

Aujourd’hui, la participation électorale s’effondre à chaque scrutin. Si l’élection présidentielle mobilise encore, les autres scrutins sont marqués par une démobilisation préoccupante.

Depuis 1958, la participation à l’élection présidentielle est relativement stable, oscillant entre 70 et 80 %. Selon les chiffres du Ministère de l'Intérieur, le taux de participation au second tour de l'élection présidentielle était de 74,56 % en 2017, et de 71,99 % en 2022. En revanche, les autres scrutins connaissent une dégringolade : les législatives passent de 77 % en 1958 à 46,2% en 2022, les municipales de 73,9% en 1959 à 41,6% au en 2020, les européennes de 60,7% en 1979 à 51% en 2024. Plus inquiétant encore, les départementales et régionales atteignent un plancher de 33,3% en 2021.

Certains objecteront que lors des législatives de juillet 2024, à la suite de la dissolution, la participation a atteint 66,6% au second tour – un sursaut salutaire. Mais, cette mobilisation ponctuelle ne peut masquer une réalité inquiétante : le vote ne peut être réduit à un réflexe d’urgence, brandi en ultime recours face aux périls: il doit redevenir un acte régulier de souveraineté citoyenne.

L’histoire nous rappelle que le droit de vote a été arraché de haute lutte : le suffrage universel masculin en 1848, droit de vote des femmes en 1944, abaissement de l’âge légal à 18 ans en 1974, autant de conquêtes qui ont élargi la démocratie et permis à davantage de citoyens de peser sur leur destin.

Pourtant, malgré ces avancées, le vote devient un acte socialement différencié, abandonné par les catégories populaires et les jeunes. En 2022, seulement 30 % des moins de 35 ans ont voté au second tour des législatives, contre près de 60 % des plus de 65 ans.

Peut-on accepter que celles et ceux qui subissent le plus les décisions politiques soient aussi les moins nombreux à les influencer ? Si le vote devient le privilège d’une élite, c’est la légitimité même de notre démocratie qui vacille.


II. Le vote obligatoire : une réponse démocratique nécessaire

A. Une mesure pour l'égalité républicaine

Dans une République, le vote n’est pas seulement un droit individuel : il est un devoir collectif. C’est par lui que se forge la légitimité de nos représentants, que s’exerce la souveraineté populaire, que se construit la nation. Dès lors, l’abstention massive n’est pas un simple symptôme de désaffection : elle est un déficit démocratique, une rupture dans le lien civique.

Des pays comme la Belgique (depuis 1893) ou l’Australie (depuis 1924) ont mis en place le vote obligatoire. Résultat : des taux de participation avoisinant les 90 % et une plus grande égalité dans l'accès à l'expression électorale. Loin d’être liberticide, cette obligation garantit que chacun puisse faire entendre sa voix – y compris celle de l'abstention déclarée ou du vote blanc.

Le vote obligatoire en France permettrait de redonner à chaque citoyen, sans distinction sociale, sa juste place dans les décisions qui engagent la nation.

B. Les garanties pour une mise en œuvre juste

Pour être une avancée démocratique, le vote obligatoire doit s’accompagner de garanties fortes, afin de ne pas être vécu comme une contrainte, mais comme une opportunité citoyenne.

1. Reconnaissance pleine du vote blanc

- Comptabilisation parmi les suffrages exprimés.

- En cas de majorité de blancs : recomposition de l’offre politique, second tour élargi ou consultation citoyenne.

2. Facilitation de l'accès au vote

- Généralisation du vote par correspondance, du vote anticipé en mairie ou du vote électronique sécurisé.

- Gratuité des transports le jour du scrutin, notamment en zones rurales ou périurbaines.

3. Renforcement de l’éducation civique

La démocratie ne peut se limiter aux seuls jours d’élection. Elle doit vivre au quotidien, par l'expression, la délibération et la participation.

Cela suppose l'instauration de consultations citoyennes régulières, de conventions citoyennes, mais aussi de débats publics ouverts et accessibles à toutes et à tous.

On pourrait également instaurer une "semaine de la démocratie" chaque année dans les établissements scolaires, et organiser des campagnes d'information pluralistes avant chaque scrutin, afin de renforcer la conscience civique et l'égalité d'accès à l'information politique.

C. Une réforme incitative et équilibrée

L’obligation de voter ne doit pas s’accompagner d’une logique punitive, mais d’un accompagnement progressif :

- Première abstention : rappel civique personnalisé.

- Deuxième abstention : amende symbolique (15 à 30 €).

- Abstentions répétées : stage de citoyenneté ou restriction temporaire de certains droits électifs non fondamentaux (ex : parrainage citoyen, pétition référendaire...).

III. Un engagement pour la gauche et la démocratie

Le Parti socialiste a toujours été à l’avant-garde des grandes conquêtes démocratiques : suffrage universel, droit de vote des femmes, abaissement de la majorité, parité, scrutin proportionnel. Il lui revient aujourd’hui de se montrer à la hauteur du moment démocratique.

Face à l’abstention massive, l’inaction n’est plus une option. Le vote obligatoire, bien encadré, peut devenir un levier puissant pour :

- Lutter contre les inégalités d’expression politique ;

- Renforcer la représentativité sociale des institutions ;

- Ramener vers les urnes les classes populaires, les jeunes ;

- Réparer le lien civique entre les citoyens et la République.

Chaque point d’abstention supplémentaire renforce l’extrême droite.

Chaque voix retrouvée est une victoire pour l’égalité et pour la République.

Il est temps d’agir avant qu’il ne soit trop tard.


Contributeur : Eric Quénard (membre du conseil national), Section de Reims, Titouan Mary, Alain Gaillard, Loïc Le Roux, David Estennevin, Nicolas Bardin, Doryann Fenaux-Gartner, Mourtada Fall, Fabio Pasqualini


 

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