Thème : Relations internationales
On ne peut que constater le désarroi des pays dits occidentaux qui s’aperçoivent que leur « universalisme » n’est plus partagé par grand monde et que les autres peuples n’ont pas la même histoire, pas le même vécu et donc pas les mêmes attentes ou la même vision. Ce monopole de la « narration du monde » a pris fin alors que les États-Unis perdaient leur hyperpuissance et que les Russes ressassaient leur amertume, le monde arabe ses humiliations, la Chine ses nouvelles ambitions et l’Europe ses désillusions. Dans ce kaléidoscope des sentiments et des ambitions, les peuples n’attribuent plus le même sens au concept de « communauté internationale ».
Pour renaître – ou pour naître vraiment – une telle communauté ne pourra que s’appuyer sur la réaffirmation de valeurs partagées, énoncées dans le préambule de la charte des Nations unies qui proclame les droits fondamentaux de l’homme, la dignité et la valeur de la personne humaine, l’égalité des droits, le maintien de la justice, le progrès social et la tolérance, tout en tenant compte des évolutions d’un monde globalisé, des dynamiques et aspirations de chacun et des défis environnementaux.
« Tandis que tous les peuples et tous les gouvernements veulent la paix, malgré tous les congrès de la philanthropie internationale, la guerre peut naître toujours d’un hasard toujours possible ». 7 mars 1895, à la Chambre des communes - Jean Jaurès
RÉFORMER LE SYSTÈME DE L’ONU AUTOUR DE SES PRINCIPES FONDATEURS
Malgré ses insuffisances et son impuissance maintes fois avérées, le cadre juridique et institutionnel des relations internationales établi au sein de l’Organisation des Nations unies, avec ses 193 membres, constitue le seul forum de dialogue multilatéral global. Au lieu de vouloir le déconstruire, il faut renforcer ses principes et assurer leur application effective tout en l’adaptant aux évolutions du monde.
Si la série de traités internationaux sur les droits de l’homme et d’autres instruments adoptés depuis 1945 ne font pas partie du droit international dit « contraignant » (c’est-à-dire d’application obligatoire), ils ont une autorité morale considérable en raison du nombre élevé de pays qui les ont acceptés.
Seul le Conseil de sécurité dispose de pouvoirs spécifiques car ses décisions prennent la forme de résolutions en principe contraignantes qui peuvent autoriser l’utilisation de la force par un ou plusieurs membres ou la mise en place de forces de maintien de la paix. Mais le droit de veto des cinq membres permanents empêche toute action d’envergure et notamment la mise en œuvre du droit international et du droit humanitaire.
Il demeure à la fois tout aussi indispensable que difficile de modifier la Charte des Nations unies car toute évolution doit être adoptée à la fois par le Conseil de sécurité et par un vote aux deux tiers des membres en Assemblée générale. Toutefois un certain nombre de pistes ne nécessitent pas une modification de la Charte et méritent d’être promues :
∙ Étendre le Conseil de sécurité à une vingtaine de membres permanents sans droit de veto pour assurer une meilleure représentativité géographique. L’Allemagne, le Japon, l’Inde, le Brésil, l’Égypte et l’Afrique du Sud pourraient être des candidats à ces nouveaux postes mais les rivalités régionales rendent difficile aujourd’hui une telle réforme
∙ Encadrer le droit de veto – puisque sa remise en cause demeure irréaliste – par une stricte discipline conforme aux principes de la Charte des Nations unies et à ses textes fondateurs. Seule la pression des populations mondiales, ainsi que celle de pays victimes de conflits meurtriers, permettrait d’envisager une telle évolution et d’assurer sa mise en œuvre par des mobilisations citoyennes
Afin d’éviter la paralysie du Conseil de sécurité, la France a proposé en 2013 que les membres permanents s’engagent volontairement et collectivement à ne pas recourir au veto lorsqu’une une situation d’atrocité de masse est constatée. Cette initiative, reprise sous une forme conjointe avec le Mexique en 2016, propose que le Secrétaire général, après avoir été sollicité par le Haut-commissaire aux droits de l’Homme et/ou 50 États membres, puisse saisir le Conseil de sécurité sur une situation où des crimes de masse sont constatés.
∙ Relancer la mise en œuvre des réformes de la gestion de l’ONU et de la cohérence de ses actions proposées lors du Sommet mondial de 2005
« Les résistances sont exacerbées par la schizophrénie chronique dont souffre l’ONU qui, par-delà les déclarations d’intention, demeure sous l’étroite dépendance de ses États membres » Dr. Vincent Chetail, chercheur à l’Institut universitaire de hautes études internationales, Genève
∙ Assurer une meilleure coordination entre l’ONU et les organisations régionales (Union africaine, Union européenne, etc.) lors des opérations de maintien de la paix, en tirant parti des forces de ces différentes organisations
∙ Accroître la diplomatie préventive, la coopération internationale, le développement soutenable et inclusif, l’accompagnement dans la mise en place d’infrastructures résilientes ∙ Répondre au changement climatique, en mobilisant et coordonnant davantage les diverses agences de l’ONU et leurs partenaires (institutions régionales, ONG, sociétés civiles) et en investissant davantage dans le renforcement des États et des institutions ainsi que dans la cohésion sociale des sociétés
∙ Agir diplomatiquement pour que l’ONU demande à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), avec qui elle est liée par des « arrangements en vue d’une coopération efficace », d’adopter et de généraliser à l’ensemble du commerce mondial les normes du commerce équitable : rémunération juste du producteur, transparence, égalité femme/homme, conditions de travail, interdiction du travail des enfants, préservation de l’environnement…
PROMOUVOIR UNE NOUVELLE APPROCHE DE L’ALLIANCE ATLANTIQUE
Chaque tentative pour rendre la défense européenne autonome, et donc plus coûteuse, a découragé nos alliés européens, suscitant la stagnation du projet. Mais, alors que les États-Unis réévaluent la nature de leur engagement militaire en Europe au travers de l’OTAN, le moment paraît opportun pour relancer un véritable débat au sein de l’organisation sur ses objectifs dans un monde profondément transformé, et ce en lien avec l’idée d’une défense européenne rénovée. Il s’agit, dans un monde particulièrement incertain et conflictuel, de se garder de toute précipitation, pour cela il faudrait :
- Se concentrer, sur le moyen terme, sur l’émancipation de l’Europe de la défense et l’acquisition des moyens (pas seulement militaires) pour la rendre effective et crédible
- Envisager le retour à la situation d’avant 2007, avec une sortie de la France du commandement militaire intégré de l’OTAN
- Rester fidèle à l’objet initial de l’Alliance, c’est-à-dire la solidarité transatlantique entre démocraties, et s’employer à y faire prévaloir notre vision du « soft power ». Refuser pour cela l’élargissement indu du théâtre d’opérations militaires, ce qui revient à le réserver aux cas d’agressions caractérisées contre un ou plusieurs membres de l’Alliance par une puissance extérieure
- Piloter une analyse européenne partagée sur l’évolution de nos rapports avec les États-Unis
ŒUVRER POUR LA CRÉATION À L’ONU D’UN CONSEIL DE SÉCURITÉ ÉCOLOGIQUE ET MILITER POUR LA SANCTUARISATION DE L’ARCTIQUE
Constituer un groupe de pays moteurs pour présenter aux Nations unies un projet de création d’un Conseil de sécurité écologique à l’image du Conseil de sécurité existant, pour assurer que soient intégrées aux politiques nationales les questions majeures d’environnement et de soutenabilité.
Notamment, proposer un accord international de sanctuarisation de l’Arctique, à l’instar de l’Antarctique, incluant l’interdiction d’exploiter les ressources minières, combustibles fossiles inclus. Il est anormal que les huit pays du Conseil de l’Arctique décident en vase clos de l’exploitation d’une zone géographique dont l’avenir est en enjeu critique pour la Terre entière. La déclaration d’Ottawa de 1996 des pays riverains avait pour objectif de « promouvoir le développement durable » de l’Arctique, cependant les politiques menées par Vladimir Poutine et Donald Trump trahissent l’esprit de cette déclaration. La gestion de l’Arctique et de ses ressources doit devenir un sujet traité par l’ensemble des États-membres de l’ONU.
Bien entendu, nous ne nous leurrons pas sur la difficulté de faire passer un tel accord étant donné la possibilité pour les États-Unis et la Russie de revendiquer une souveraineté sur une partie de l’Arctique vu leur position géographique. Aussi, au-delà du travail de fond diplomatique, nous encouragerons et soutiendrons l’organisation de campagnes de sensibilisation publiques via des organisations non gouvernementales, afin de susciter l’émergence d’une pression internationale des peuples propre à faire évoluer la situation de blocage néfaste dans laquelle nous nous trouvons.
SOUTENIR LES ORGANISATIONS NON GOUVERNEMENTALES
Outre la tendance à la baisse de l’APD française, le soutien accordé aux ONG est extrêmement faible comparé aux autres pays de l’OCDE. La France accorde environ 10 fois moins de crédits que l’Allemagne, 20 fois moins que le Royaume-Uni, et même 4 fois moins que l’Espagne. Les ONG françaises souffrent d’une insuffisance structurelle et culturelle des moyens qui leur sont attribués, notamment de la part des pouvoirs publics, que ce soit en valeur absolue ou en termes de taux de cofinancement.
Pourtant, l’intérêt de faire transiter une partie significative de l’aide extérieure par les ONG a été souligné par les analyses d’institutions nationales et internationales : le ministère des Affaires étrangères et du Développement international, l’Agence française de développement, l’OCDE, les États membres de l’Union européenne, le Parlement européen, la Cour des comptes européenne, etc. En outre, 67 % de l’opinion publique y est favorable.
Le secteur des ONG françaises pèse 1 milliard d’euros, dont seulement 6 % proviennent d’aides publiques. L’essentiel des ressources de ces organisations, ce sont les dons des 3 millions de donateurs individuels qui représentent 59 % du total. Cela reste faible comparé aux ONG britanniques, qui pèsent 4 milliards d’euros dont près de 40 % sont perçus sous forme d’aides gouvernementales. Selon l’OCDE, l’État français se place à l’avant-dernier rang du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE, devant la Grèce : les ONG françaises sont 12 fois moins financées que dans les autres pays riches.
Outre le fait que l’APD transitant par les organisations de la société civile française est très faible, depuis Jacques Chirac les engagements des présidents français successifs en matière de soutien aux ONG n’ont jamais été tenus, ce qui a de graves conséquences sur le monde associatif français: certaines ONG luttent pour survivre ; les emplois sont rares et le bénévolat trop fréquent, incitant les meilleures expertises à partir à l’étranger ; sur le terrain, la notoriété et l’influence des organisations françaises reculent face à des ONG largement soutenues par leurs pouvoirs publics; elles se tournent de plus vers d’autres bailleurs de fonds, qui peuvent imposer leurs méthodes et feuilles de route au détriment des approches spécifiques françaises pourtant appréciées par les pouvoirs publics et les partenaires privés et associatifs dans le monde entier.
C’est pourquoi nous soutenons les propositions de Coordination SUD qui reste toujours autant d’actualité :
- L’État doit également s’engager dès maintenant à inscrire un budget de 200 millions d’euros de financements aux ONG dans le Projet de loi de finances (PLF) de 2017, conformément à l’engagement du président François Hollande
- L’effort doit ensuite se poursuivre afin de porter progressivement le montant annuel des crédits d’APD transitant par les ONG à 1 milliard d’euros d’ici 2025, pour se rapprocher de la moyenne des pays du CAD. Et dans la perspective de la croissance des moyens nécessaires pour la réalisation des objectifs de développement durable en 2030, la France doit porter son soutien aux ONG à 1,5 milliard d’euros d’ici 2027
- Pour permettre le suivi de ces engagements, la France doit indiquer, chaque année, dans les annexes budgétaires de la loi de finances, le montant de l’APD globale alloué aux ONG et le détail de ce calcul
Voir https://www.coordinationsud.org/wp-content/uploads/plaidoyer-financement-ong-VF.pdf
REFONDER LA « COMMUNAUTÉ INTERNATIONALE » SUR LA GÉO-ÉCOLOGIE
Nous aimons imaginer, à l’instar d’Hubert Védrine, que le meilleur espoir de constituer une « communauté internationale », introuvable dans le contexte géopolitique actuel, est la nécessité vitale de préserver notre planète commune, d’en assurer l’habitabilité pour tous les êtres humains et les prochaines générations, au-delà de leurs idéologies et de leurs croyances.
Ainsi, les États ne seraient plus considérés seulement comme des menaces ou des piliers de la sécurité internationale, des moteurs ou des freins au commerce et à la croissance économique, mais comme des soutiens ou des obstacles au destin partagé de la communauté humaine. Les notions de puissance et d’influence s’en trouveraient transformées, les alliances et les partenariats aussi.
Les prochaines COP (Conferences Of the Parties, ou Conférences des États signataires) pourraient devenir le point de départ de cette refondation vers une « communauté écologique internationale », au service de laquelle l’Union européenne pourrait trouver une nouvelle raison d’être.
Pour cette refondation, il est indispensable de :
- Donner l’impulsion à l’instauration d’une Charte des droits du vivant, que préconisait Claude LéviStrauss
- Définir les crimes contre la nature, à l’instar des crimes contre l’humanité. Reconnaître la notion d’écocide
- Instituer un statut de réfugié climatique dans le droit international
- Favoriser, aux niveaux économique, scientifique, technique, agricole, fiscal, commercial et législatif, des processus irréversibles et globaux « d’écologisation » et de lutte contre la pauvreté et les inégalités, s’appuyant sur une révolution des mentalités et des valeurs non plus seulement occidentales, mais universelles de la préservation de la planète et des êtres vivants
Premier signataire :
Mathieu GITTON secrétaire de section de Belgique