POUR UNE EUROPE GUIDÉE PAR LE PROGRÈS : VERS LA FIN DU DOGME LIBÉRAL ET L’AVÈNEMENT D’UNE BOUSSOLE COMMUNE

Thème : Europe


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POUR UNE EUROPE GUIDÉE PAR LE PROGRÈS : VERS LA FIN DU DOGME LIBÉRAL ET L’AVÈNEMENT D’UNE BOUSSOLE COMMUNE

 

« L'Europe a tout ce dont elle a besoin pour gagner. En même temps, nous devons corriger nos faiblesses pour regagner en compétitivité. La boussole pour la compétitivité transforme les excellentes recommandations du rapport Draghi en feuille de route. Nous avons donc un plan, à présent. Nous avons la volonté politique. Ce qui importe est la vitesse, et l'unité. Le monde ne nous attendra pas. Tous les États membres sont d'accord sur ce point. Agissons donc en partant de ce consensus. » Ursula von der Leyen, 27 novembre 2024

Au cœur d’un continent à la fois ébranlé par les crises passées et tourmenté par l’urgence écologique, l’Union européenne se retrouve placée devant un choix historique. De la pandémie, nous avons appris l’importance capitale de la solidarité et la fragilité de nos protections sociales. De la guerre et de l’inflation, nous avons mesuré combien l’autonomie industrielle et la résilience économique étaient décisives. Devant l’immensité du défi climatique, nous ne pouvons plus nous satisfaire d’un indicateur unique, le PIB, qui ne dit rien de la qualité de la croissance, de la répartition des richesses ou de la préservation du vivant. Dans ce contexte, l’idée d’une « boussole du progrès » s’impose : il s’agit de dépasser le simple calcul économique pour embrasser une vision plus vaste, reliant la transition écologique, le bienêtre collectif et la souveraineté européenne.

Remplacer ainsi l’ancien Pacte de stabilité par un horizon plus vaste, voilà le projet : se doter d’une grille d’objectifs communs à quinze ans, indissociable d’une gouvernance refondée et d’un plan d’investissement ambitieux qui réponde aux véritables priorités du XXIe siècle. Justice sociale, sauvegarde du climat, souveraineté économique, ces fils conducteurs se tissent pour reconstruire un pacte démocratique et populaire qui renoue avec l’aspiration des Européens à la paix et à la solidarité. On ne bâtit pas un avenir commun sur l’austérité et l’obsession des déficits. On le bâtit en traçant un nouveau cap, lisible et cohérent, autour d’objectifs écologiques et sociaux clairement assumés. À l’image d’un navire ayant longtemps dérivé au gré des vents libéraux, l’Union doit désormais hisser de nouvelles voiles : celles d’une politique planifiée, concertée, portée par l’ensemble des citoyens.

SORTIR DU TOUT PIB : VERS UNE BOUSSOLE DU PROGRÈS PARTAG

Les décennies écoulées, rythmées par l’orthodoxie du PIB, ont montré leurs limites. Ni l’ampleur des inégalités, ni l’épuisement des ressources naturelles, ni la qualité de vie et de travail ne sont réellement appréhendés par cet indicateur aveugle aux réalités humaines et écologiques. Depuis près d’un demisiècle, des voix s’élèvent, qu’il s’agisse du rapport Meadows dès 1972 ou des travaux plus récents de Joseph Stiglitz et d’Amartya Sen, pour dénoncer l’illusion du PIB comme boussole de la prospérité. Le PIB grimpe peutêtre, mais la qualité de l’air se dégrade, la biodiversité recule, la précarité énergétique s’accroît, les conditions de travail se fragilisent.

Face à cette myopie collective, la boussole européenne du progrès apporte un souffle inédit. Elle élargit le regard vers des indicateurs variés : espérance de vie en bonne santé, accès à la santé publique et à la formation, préservation de la biodiversité, niveau des émissions de carbone, répartition des richesses, vulnérabilités territoriales. Chacune de ces dimensions devient le jalon d’une ambition à quinze ans : redessiner la production, l’énergie, l’alimentation, l’éducation ou la recherche de manière à préserver l’environnement et à garantir un progrès social réel.

En pratique, cela signifie abandonner la vieille logique de croissance à tout prix, qui sacrifie des ressources humaines comme naturelles. Il s’agit de mener un grand débat démocratique, une convention où siégeraient à la fois des représentants des pouvoirs publics, de la société civile, des acteurs économiques et des citoyens tirés au sort, tous réunis pour définir en commun les objectifs qui dicteront les stratégies. Ainsi, la promesse de cette boussole du progrès n’est pas de multiplier les vœux pieux, mais de se donner un cap vraiment contraignant, d’allouer les moyens financiers nécessaires et de réorienter l’ensemble des politiques publiques à la lumière de priorités partagées.

Sous l’angle démocratique, c’est aussi la chance d’impliquer les populations : trop souvent, l’Union a eu l’air d’imposer un carcan budgétaire abstrait, au nom de la « stabilité », quand tant de citoyens étaient laissés à l’écart des décisions. Dans une Europe que le climat confronte déjà à des sécheresses inédites, à des incendies récurrents et à des disparités sociales croissantes, la boussole offre un langage clair : quels sacrifices, quels investissements, quels délais consentonsnous pour bâtir l’Union que nous voulons en 2040 ?

RÉINVENTER LA GOUVERNANCE ÉCONOMIQUE DE L’UNION

La crise financière de 2008 a légué un douloureux souvenir à bien des pays : celui de la Troïka, des plans d’austérité implacables, d’un pouvoir anonyme et distant s’attaquant aux services publics et aux droits sociaux. L’Europe y a laissé une partie de sa crédibilité populaire, tandis que des pans entiers de la population, de la jeunesse à la classe moyenne, ont vu leurs conditions de vie chuter.

La pandémie de Covid19, elle, a imposé un autre récit. Brutalement, la rigidité du dogme libéral est apparue inopérante et la Commission a réagi autrement : aide conjointe, levée de fonds communs, stratégie sanitaire partagée, soutien aux États en difficulté. Mais déjà, certains aimeraient en revenir à l’époque où la discipline budgétaire passait avant toute chose. Ils préfèrent ressusciter l’austérité plutôt que de renforcer le mouvement de solidarité. Il est temps, au contraire, d’assumer que l’Union doit consolider cette nouvelle approche et en faire la clé de voûte de la gouvernance économique.

Pour ce faire, le semestre européen, qui encadre les politiques budgétaires des États, doit cesser d’être une simple procédure technique focalisée sur des chiffres de déficit. Les objectifs de la boussole du progrès doivent y figurer à part entière : réduction des inégalités, qualité de l’emploi, baisse effective des émissions carbone, accès universel aux biens communs. Les budgets des États ne seraient alors plus seulement passés au crible d’un ratio déficit/PIB, mais évalués selon leur contribution à ces objectifs cruciaux. Ainsi, un pays souhaitant investir massivement dans la transition verte ou l’éducation aurait les moyens de le faire, sans se heurter à un plafond budgétaire rigide. En échange, il lui faudrait prouver la pertinence et l’impact de ses projets pour le progrès collectif.

Nous ne méconnaissons pas la nécessité de coopérer avec la Commission, de négocier entre États, de respecter des règles communes. Nous disons seulement que ces règles doivent d’abord servir la cohésion écologique et sociale plutôt que l’austérité aveugle. Quant aux politiques européennes exclusives, qu’il s’agisse du commerce ou de la concurrence, elles doivent intégrer la boussole du progrès comme filtre premier. Au nom de quel principe continuerionsnous à signer des accords de libreéchange qui érodent notre agriculture, alimentent la déforestation à l’autre bout du monde et attisent les inégalités ? Notre Union doit exiger que tout accord international respecte les objectifs climatiques et sociaux que nous nous sommes fixés. Il est d’ailleurs absurde de démanteler nos lignes de train régionales ou de contraindre les services publics à une mise en concurrence effrénée, quand

la solidarité et la résilience exigent au contraire un renforcement des biens communs et du service public.

Les États membres, eux aussi, seraient contraints d’élaborer des plans nationaux de progrès sur trois ans, adaptés à leur situation de départ mais alignés sur les cibles à quinze ans. Libre à chacun de choisir les leviers, la fiscalité ou les réformes qui lui semblent les plus efficaces, dès lors qu’ils convergent vers l’horizon défini par la boussole. Cette liberté de moyens, assortie à une exigence de résultats, replacerait l’innovation au cœur des politiques publiques tout en donnant à la Commission et au Parlement un rôle de contrôle éclairé, loin du carcan aveugle que nous avons connu.

INVESTIR EN COMMUN POUR CONSTRUIRE LE FUTUR EUROPÉEN

Pour construire cette gouvernance européenne du progrès, nous proposons les mesures suivantes :

  •   Réformer le semestre européen pour en faire un instrument de convergence sociale et écologique. Le semestre européen est le cadre de coordination des politiques économiques et budgétaires des États membres. Il repose sur des recommandations spécifiques par pays (RSP) qui sont adoptées par le Conseil sur proposition de la Commission. Nous voulons que ces recommandations intègrent pleinement les objectifs du socle européen des droits sociaux (SEDS) et du pacte vert pour l’Europe (Green Deal). Nous voulons également que ces recommandations soient soumises à l’approbation du Parlement européen et des parlements nationaux, afin de renforcer leur légitimité démocratique.

  •   Créer un budget européen ambitieux et solidaire. Le budget européen est le principal outil financier dont dispose l’Union pour mettre en œuvre ses politiques communes. Il est financé par des ressources propres, c’estdire des recettes provenant directement de l’Union, sans passer par les budgets nationaux. Nous voulons augmenter le montant du budget européen à hauteur de 2 % du PIB de l’Union, contre 1 % actuellement. Nous voulons également diversifier les ressources propres en créant de nouvelles taxes européennes sur les transactions financières, les géants du numérique, les émissions de CO2 ou les importations provenant de pays ne respectant pas les normes environnementales et sociales de l’Union. Ces taxes permettraient de financer des politiques communes en faveur de la transition écologique, de la cohésion sociale, de la recherche et de l’innovation, de la défense et de la sécurité.

  •   Renforcer le rôle du Parlement européen dans le processus décisionnel. Le Parlement européen est l’institution qui représente directement les citoyens européens. Il dispose du pouvoir législatif, budgétaire et de contrôle sur les autres institutions. Nous voulons renforcer son rôle dans le processus décisionnel en lui accordant le droit d’initiative législative, c’estdire le droit de proposer des lois à la Commission. Nous voulons également étendre le recours à la procédure législative ordinaire (ou codécision), qui implique une égalité entre le Parlement et le Conseil dans l’adoption des lois. Nous voulons enfin renforcer le dialogue entre le Parlement européen et les parlements nationaux, afin de rapprocher l’Union des citoyens et de favoriser la participation démocratique.

  •   Développer la dimension sociale de l’Union européenne. L’Union européenne est souvent perçue comme un projet essentiellement économique, qui néglige les aspects sociaux. Nous voulons changer cette perception en faisant de l’Union une véritable union sociale, qui garantit à tous les citoyens un niveau élevé de protection sociale, d’éducation, de santé, de culture et de droits fondamentaux. Nous voulons mettre en œuvre le socle européen des droits sociaux, qui fixe 20 principes et droits essentiels pour le bienêtre des travailleurs et des citoyens. Nous voulons également renforcer le dialogue social entre les partenaires sociaux (syndicats et organisations patronales) au niveau européen, afin de promouvoir le dialogue social et la négociation collective.

  • Faire de l’Union européenne un leader mondial en matière de transition écologique. L’Union européenne est l’un des principaux acteurs de la lutte contre le changement climatique et la perte de biodiversité. Elle s’est fixé comme objectif d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, c’estdire de réduire ses émissions de gaz à effet de serre à un niveau compatible avec les limites planétaires. Pour atteindre cet objectif, nous voulons mettre en œuvre le pacte vert pour l’Europe, qui est une stratégie globale visant à transformer l’économie et la société européennes en faveur d’un développement durable. Nous voulons également renforcer le rôle de l’Union européenne sur la scène internationale, en soutenant les pays en développement dans leur transition écologique, en défendant le multilatéralisme et en promouvant des normes environnementales élevées dans les accords commerciaux.

Contributeur : Mathieu GITTON membre du bureau national des adhésions


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