Pour une gauche fidèle à elle-même


Thème : Union de la gauche


L’union de la gauche, on en parle depuis le début du XXe siècle, mais elle n’est vraiment  effective que par intermittence et ses contours peuvent fluctuer au gré des intérêts des  différents protagonistes. 

Afin de faire partager les analyses apportées par Gilles Finchelstein, directeur général de la  fondation Jean-Jaurès, Gilles Candar, historien, Rémi Lefebvre, politiste, Marylise Lebranchu,  ancienne ministre, Pierre Jouvet, secrétaire national du PS, Benoit Collorec, porte-parole de la  confédération paysanne du Finistère, Daniel Delaveau, représentant breton de la FAS  (Fédération des associations de solidarité), la Fédération du Finistère a décidé de publier une 

synthèse de leurs interventions sous la forme d’une contribution thématique, versée au débat  du 80e congrès. 

Et si on prenait le temps d’écouter les historiens, les sociologues et les politistes pour  comprendre ce qui se joue aujourd’hui à gauche, et déterminer le rôle que le Parti socialiste  doit jouer dans les mois qui viennent ? C’est la question que se sont posés les Socialistes du  Finistère lorsqu’ils ont préparé le programme de leur Université de rentrée qui s’est tenue le  24 septembre à Logonna-Daoulas.  

  • Une histoire de l’Union tumultueuse 

L’Histoire des gauches, depuis la fin du 19e siècle, est rythmée par une succession de rivalités  et de scissions. On peut même considérer qu’en France, à gauche, la division est la norme et  l’union l’exception, comme le rappelle l’historien Gilles Candar. 

Ce qui unit les formations de gauche, c’est l’idée qu’il faut engager des ruptures avec l’ordre  établi, comme disaient Léon Blum et François Mitterrand. Mais après, des débats sans fins  s’engagent sur la méthode et l’ampleur de ces ruptures. 

« A travers son histoire, malgré les différences, les divergences, la gauche a toujours  trouvé des combats communs. Au 19e et au 20e siècle, on pouvait le résumer au  combat pour une République sociale, laïque, indivisible et démocratique. Longtemps  ces visées, cet idéal, ont été dans les objectifs de bataille de l’ensemble de la gauche  avant d’être inscrits dans notre constitution en 1946. 

On pourrait aujourd’hui y ajouter le nécessaire adjectif d’écologie ». 

Gilles Candar  

Cependant, si elles partagent un socle commun, les gauches sont constamment en  compétition, plus ou moins violente, pour prendre l’ascendant sur leurs concurrents. C’est  une constante historique : ceux qui portent les idées nouvelles cherchent à s’imposer en  bousculant les autres partis plus établis. On l’a vu au début du siècle avec les Socialistes qui se  sont imposés face aux Radicaux, ou les Communistes contre les Socialistes à partir des années 20, puis dans les années 80 avec le développement des Verts et maintenant avec la France  insoumise. 

Pour Gilles Finchelstein, il existe en effet une « mystique de l’union » à gauche, mais aussi un  « mythe de l’Union ». Car union ne rime pas nécessairement avec victoire, ni désunion avec  défaite. Les deux exemples d’union de la gauche à la présidentielle, derrière la candidature de  François Mitterrand (1965 et 1974) se sont ainsi soldés par des échecs. En revanche, lorsque  plusieurs candidats étaient en concurrence, comme en 1981 ou 1988, la victoire fut au rendez vous. 

Mais, puisque la politique n’est pas une science exacte, la victoire de Lionel Jospin aux  législatives de 1997 est l’exception qui confirme la règle : c’est unie que la gauche plurielle l’a  emporté.  

  • Un accord nécessaire et inédit en 2022 

Une fois posé le cadre historique, comment caractériser l’accord passé entre la France  Insoumise, le Parti Socialiste, EELV et le Parti communiste avant les dernières législatives ? Il  était à la fois nécessaire et inédit : « Il répondait à une très forte aspiration unitaire de la part  des électeurs de gauche » comme le souligne Rémi Lefebvre, rappelant que 500 000 personnes  s’étaient inscrites pour participer aux primaires populaires.  

« Jamais un accord n’avait permis des candidatures uniques dans toutes les  circonscriptions » 

Rémi Lefebvre 

Pierre Jouvet nous rappelle le contexte dans lequel se sont déroulées les négociations : il faut  remonter à 2017 pour bien comprendre. Les socialistes avaient quasiment tous les pouvoirs  en 2012 (Élysée, Sénat, Assemblée). En 2017, ils n’ont plus rien. Leur candidat à la  présidentielle, Benoit Hamon, quitte le parti pour fonder son mouvement, quand une partie  des cadres et des militants rejoignent Emmanuel Macron. Lorsqu’Olivier Faure est élu premier  secrétaire, le PS est un champ de ruine. La question même de sa survie est envisagée. 

Après un début de mandat Macron compliqué, où les socialistes étaient totalement isolés à  gauche, parfois même hués dans les manifestations, les élections municipales, puis  départementales et régionales ont laissé entrevoir un espoir. Mais, avec les résultats de la  présidentielle, il fallait se rendre à l’évidence : l’électorat de gauche voulait l’union.  

« On remarque que lors de l’élection présidentielle de 2022, l’union s’est faite par le  bas. A contrario, aux Législatives, elle s’est faite par le haut » 

Gilles Finchelstein 

  • Une union perfectible

L’accord a permis l’élection de 130 député-es NUPES et a évité, grâce à la présence de  candidat-es de gauche au 2nd tour, l’élection de 30 à 50 députés RN supplémentaires selon les  estimations. Cependant, Gilles Finchelstein précise bien que « bien que l’union a été d’une  efficacité modeste en pourcentage de voix, elle a permis de gagner plus de sièges à l’Assemblée  que si les partis avaient conduit des candidatures séparément. ». 

Rapidement conclu - compte tenu du calendrier électoral - l’accord n’est pas parfait. D’une  part parce qu’il n’a pas permis à la gauche de l’emporter : « La part des députés de gauche est  même très faible » souligne Rémi Lefebvre.  

D’autre part, comme le regrette Marylise Lebranchu, il n’a pas suffisamment pris en compte  les réalités locales. En affinant les candidatures, il aurait certainement été possible de  présenter des candidats correspondant mieux aux réalités locales. Il s’agit là également d’un  des regrets de Pierre Jouvet qui n’est pas parvenu à faire comprendre à ses interlocuteurs que,  si les résultats nationaux de la présidentielle pouvaient être utilisés pour fixer la  représentativité de chaque partenaire, rien n’interdisait, en fonction des réalités locales, de  chercher le ou la meilleure candidate pour l’emporter dans les circonscriptions. 

L’union de la gauche est-elle solide ? Oui et non. Comme l’a expliqué Gilles Finchelstein, sur  les politiques publiques, il existe une unité entre les Insoumis, les Socialistes, les Communistes  et les Écologistes. Sur les questions de société, d’immigration, d’environnement, sur le rapport  à la mondialisation, des divergences peuvent apparaître. Et concernant l’Union européenne  et les questions internationales, on peut trouver de vraies divisions. 

Pour Rémi Lefebvre, les limites de la NUPES sont essentiellement sociologiques. Aux  Législatives, ses électeurs sont des diplômés urbains et une fraction des catégories populaires.  Il y a donc une grande partie de l’électorat à reconquérir parmi les classes moyennes et  populaires et dans les zones rurales et périurbaines. 

  • A la reconquête des électeurs perdus  

Il est donc temps de se tourner vers l’avenir pour préparer l’alternance en cherchant à  convaincre celles et ceux qui ne participent plus aux élections : « La gauche doit reconquérir  les électeurs qu’elle a perdu » rappelle Gilles Finchelstein. « C’est d’autant plus urgent que le  pays traverse une crise profonde avec une démocratie à l’état gazeux » a insisté le directeur  général de la fondation Jean-Jaurès. Pourquoi gazeux ? Parce qu’elle est informe. Il n’existe  plus un, mais une multitude de clivages entre citoyens. Ensuite, elle est instable. Le vote des  électeurs n'est plus acquis d’avance, comme auparavant. Les électrices et les électeurs  peuvent modifier leurs votes. On estime que 60% des électeurs ont changé d’avis dans les 3  mois qui ont précédé le scrutin présidentiel. Et enfin, comme le gaz, la démocratie française  est explosive. L’écart entre Jean-Marie Le Pen et Jacques Chirac était de 20 millions de voix en  2002. Il était de 11,5 millions entre Marine Le Pen et Emmanuel Macron en 2017 et seulement  de 5 millions en 2022. 

Daniel Delaveau, qui fut maire de Rennes a, pour illustrer la crise de la démocratie, cité deux  chiffres : il fut élu maire de Rennes avec une participation de 85%. Sa successeuse a été élue  avec 65 % d’abstention.

« Quand on réalise des études sur les électeurs on observe qu’ils comprennent une  chose : le FN. Le FN est lui très visible. D’abord parce qu’il y a une marque Le Pen. Dans  un paysage de plus en plus compliqué et éclaté, le mole de stabilité d’un point de vue  du signifiant c’est l’extrême-droite qui simplifie le rapport à la politique » 

Rémi Lefebvre.  

Pour Gilles Finchelstein, il ne faut pas oublier que les anciens clivages ont volé en éclat et que  la vie politique française s’organise aujourd’hui autour de trois pôles : le centre-droit,  l’extrême-droite et la gauche. 

Le danger est d’autant plus grand que, dans un monde politique mouvant, les citoyens ont de  plus en plus de mal à comprendre ce qui se joue à gauche avec la NUPES et au centre-droit  avec la multitude de mouvements qui forment la Macronie. Dans toute cette agitation, seule  la marque Le Pen reste identifiable.  

  • Penser clair, parler vrai et agir juste 

Pour Rémi Lefebvre, les partis de gauche doivent impérativement se tourner vers l’extérieur  et ne surtout pas perdre leur temps et leur énergie dans des batailles d’appareils. 

La crise de la démocratie plonge en partie ses racines dans la crise sociale. La pauvreté touche  de plus en plus de personnes, même dans notre région qui est pourtant, encore, l’une des  moins inégalitaires rappelle Daniel Delaveau, ancien maire de Rennes et représentant de la  FAS (Fédération des Acteurs de la solidarité) pour la Bretagne : « Les politiques doivent revenir  sur le terrain et s’appliquer cette formule rocardienne : penser clair, parler vrai et agir juste ».  

Benoit Collorec, porte-parole de la Confédération paysanne dans le Finistère, souhaite dans  cet esprit des échanges plus réguliers avec les partis : « Il est bien loin le temps des  commissions agricoles du PS où il était possible de faire remonter les problèmes et les  revendications des agriculteurs » a-t-il regretté. Or, la situation est alarmante pour ceux qui,  comme lui, défendent une agriculture paysanne, à taille humaine. Depuis 6 ans, c’est la ligne  productiviste de la FNSEA qui l’emporte systématiquement.  

« Dans ce contexte, les corps intermédiaires, c’est-à-dire les syndicats, les associations  de toutes natures, constituent une formidable richesse. Une des grandes erreurs de  Macron, parmi d’autres, ça a été de les délaisser, de ne pas prendre en compte  justement le dialogue avec les corps intermédiaires ». 

Daniel Delaveau 

Pour Daniel Delaveau, la désertion démocratique, c’est la distorsion entre le dire et le faire. Il  faut que les militants de gauche retournent sur le terrain. C’est de cette manière qu’on pourra  lutter contre le déficit démocratique. 

La Bretagne est encore relativement épargnée mais dans des régions comme les Hauts-de France, c’est l’extrême-droite qui est active et les associations n’ont souvent pas d’autres  interlocuteurs que les députés du RN. 

Enfin, il faut sortir des discours simplistes, manichéens, car les grands enjeux sociaux,  politiques, environnementaux traversent l’ensemble des partis et dépassent les frontières  nationales. C’est, a minima, à l’échelle européenne mais bien souvent mondiale que les  réponses aux grands défis peuvent être apportées.  

Pour conclure, les socialistes ne doivent pas avoir peur du débat, de la confrontation d’idées.  Ça peut créer des frottements mais c’est de cette manière qu’on produit de la chaleur et donc  de l’énergie qui permet de se mettre en mouvement. 

La société française est malade et la menace de l’extrême-droite se fait chaque jour plus  pressante. Dans ce contexte, la gauche ne peut s’offrir le luxe de divisions artificielles et de  polémiques inutiles.


Signataires :

Tristan Foveau, premier secrétaire fédéral
Sandrine Perhirin, secrétaire fédérale
Valentin Eynac, secrétaire fédéral
Fédération du Finistère

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