Pour une meilleure gouvernance des entreprises, partie 2 : partage du pouvoir & démocratie


Thème : Gouvernance d'entreprise


Cette contribution est scindée en deux parties :

1. Les enjeux de transparence et de démocratie

2. Le partage du pouvoir et les assemblées générales des actionnaires

En préambule, il convient de définir la « gouvernance des entreprises » pour ensuite dresser un état des lieux et apporter des propositions pour améliorer la représentativité des salariés dans les entreprises ainsi que leur participation à la prise de décisions.

  • Le gouvernement d'entreprise définit l'ensemble des règles qui régissent le fonctionnement de l’entreprise, son mode d’administration et de gestion ainsi que la gouvernance au sens large par les dirigeants

  • Le gouvernement d’entreprise répartit les droits et les obligations des différentes instances qui gouvernent l’entreprise :

    • Conseils d’administration, Comités de direction

    • Cadres dirigeant·e·s et salarié·e·s au sein de l'entreprise,

    • Actionnaires, ou sociétaires, par exemple dans les Sociétés d’Assurance Mutuelle (SAM), associés dans toutes formes de structures juridiques, adhérents, représentants syndicaux (GPS, IP Mutuelles), État actionnaire.

  • Le gouvernement d’entreprise intègre accessoirement les syndicats et les organes représentatifs du personnel, tels le comité social et économique (CSE) et les représentants du personnel dans les entreprises de petite taille.

  • Développé à partir des années 1990 pour contrer l'exercice solitaire du pouvoir par les dirigeant·e·s, il introduit une plus grande démocratie dans l'entreprise. Son objectif est d’améliorer la performance et la rentabilité des opérations en prenant des décisions de manière concertée, transparente et contrôlée par différents organes de la société.

  • Les règles de gouvernance ne sont pas contenues dans des textes législatifs ou règlementaires, mais seulement dans des codes élaborés par les organes représentatifs des entreprises :

    • Le code « AFEP-MEDEF », utilisé par les sociétés du CAC 40

    • Le code « Middlenext », pour les entreprises cotées moyennes et petites

  • Se référer à un code de gouvernance n’est pas obligatoire. Cependant les sociétés cotées ne s'y référant pas, ou seulement en partie, ont l'obligation d'expliquer pourquoi elles ne le font pas. Il s'agit là de l'adaptation en droit français du principe anglo-saxon "comply or explain" (appliquer ou expliquer). Le constat est clair, en dehors des SCOP et quelle que soit la taille et la forme juridique de l’entreprise, les salarié.e.s n’ont qu’une faible part dans la prise de décision et leur représentativité se trouve amoindrie par les récentes réformes.

 

État des lieux : déficit en représentativité et inégalité excessive du pouvoir en entreprise

Militant·e·s actif/ve·s de Paris, nous observons dans notre vie professionnelle des comportements et des prises de décision qui nous paraissent bien loin de l’idéal de responsabilité et d’efficacité présenté par les entreprises. Ils sont également en décalage avec les intérêts de l’entreprise et de ses salarié·e·s.

Au contraire, on assiste à une captation de fait du pouvoir par un nombre réduit de personnes et un entre soi des dirigeant.e.s des entreprises, trop souvent ignorant·e·s des intérêts de long terme de l’entreprise et de ses salarié·e·s.

Cette contribution en deux parties corédigées présente un regard global sur la question et ébauche des propositions de solutions.

 

Petit·e·s actionnaires et salairé·e·s dépossédé·e·s de leur pouvoir

Les actionnaires individuel·le·s, en général pour des nombres d’actions réduits, y compris les salarié·e·s actionnaires, ont un poids très faible lors des assemblées générales (AG) des actionnaires. L’organisation de cette instance les incite à s’abstenir de voter ou à le faire sans coordination.

La réalité est éloignée de l’image d’Épinal d’une gestion de bon·ne mère/père de famille animée par une sorte de démocratie directe transparente et pluraliste.

Abstention supérieur à 90 % aux AG des actionnaires

Aux assemblées générales des actionnaires, les décisions sont prises par des votes dans lesquels le choix de chaque actionnaire est multiplié par son nombre d’actions. Ce n’est pas un.e actionnaire = une voix, mais une action = une voix. Les entreprises présentent donc, légitimement, la participation en pourcentage des actions qui ont pris part au vote. Ces niveaux de participation sont le plus souvent compris entre 65 % et 90 %.

Ce système est au cœur de la définition du pouvoir dans la plupart des entreprises et nous ne le contestons pas.

Ce qui est contestable en revanche, c’est la manière dont ce principe est appliqué et le peu d’incitation qui est faite pour que les petit.e.s actionnaires prennent part au vote.

Si on calcule la participation en pourcentage des actionnaires qui ont voté, et non des voix, on passe par exemple pour LVMH (première capitalisation française) de 85 % de participation en voix à 5 % de participation des actionnaires.

LVMH n’est pas une exception, bien au contraire, voici quelques exemples parmi les plus grandes capitalisations boursières :

  • TotalEnergies : 68,9 % des actions mais seulement 2,2 % des actionnaires¹

  • BNP Paribas : 65,0 % des voix mais seulement 4,6 % des actionnaires

  • Saint-Gobain : 71,6 % des voix mais seulement 4,9 % des actionnaires

Cela signifie que les gros actionnaires prennent part au vote mais que l’énorme majorité des petit·e·s actionnaires ne le font pas.

D’autres entreprises ne rendent pas publiques leurs estimations du nombre total d’actionnaires, ou du nombre d’actionnaires qui ont pris part au vote, comme par exemple Sanofi, Danone, Schneider Electric, Legrand et Société Générale.

Parmi les grandes entreprises françaises, il convient de distinguer Air Liquide, qui est la seule à aider les petit·e·s actionnaires à participer aux assemblées générales. Malgré une démarche proactive, la part des actionnaires qui votent est la suivante : 55,6 % des voix et 18,1 % des actionnaires. Cette fraction reste faible mais elle est plusieurs fois supérieure à celle des autres entreprises.

 

Les salarié·e·s pèsent peu aux assemblées générales

Parmi les actionnaires individuel·le·s, les salarié·e·s de l’entreprise ont un rôle particulier, avec un double intérêt en tant que salarié.e et actionnaire, qui les invite à respecter un double équilibre, d’une part entre résultats de court et de moyen terme, et d’autre part entre les salaires et la marge de l’entreprise.

Les salarié·e·s détiennent des actions soit directement, soit par l’intermédiaire d’un fonds, et leur part avoisine 10 %, voire plus dans certaines entreprises.

Cependant, les salarié·e·s « pèsent » peu dans les AG pour deux raisons :

  • La majorité ne votent pas, comme les autres petit·e·s actionnaires

  • Leur vote est éparpillé, ils ne savent généralement pas à qui donner pouvoir

 

Les syndicats sont peu engagés à unir les salarié.e.s en AG

D’une manière générale, les syndicats se montrent rétifs à fédérer les salarié·e·s actionnaires, leur proposer des orientations de vote et nommer un.e représentant.e pour recevoir un pouvoir².

 

Pouvoir délégué à un petit nombre d’investisseurs institutionnels

La représentation des investisseurs individuels est également limitée par l’usage dominant des sociétés de gestion d’actifs, qui forment un écran entre les investisseurs et les entreprises. L’achat direct d’actions par des particuliers est devenu l’exception, l’achat de fonds, de Sicav ou d’ETF, la règle. La présence des sociétés de gestion n’est pas neutre dans la gouvernance des entreprises, car elle réduit encore la possibilité pour tout·e un·e chacun·e de traduire par son vote ses préférence en termes de gestion salariale, sociale ou environnementale.

Qui sait, en achetant un fonds, quel sera le vote aux AG, par exemple sur la rémunération millionnaire des principaux dirigeants ?

Or, les investisseurs institutionnels détiennent une part dominante des actions, en moyenne 80 % !

Voici quelques exemples de grandes entreprises françaises :

  • Schneider Electric : 88 %

  • BNP Paribas : 84 %

  • Saint-Gobain : 84 %

  • TotalEnergies : 79 %

  • Sanofi : 78 %

  • Danone : 78 %

  • Air Liquide : 67 %

Donc, non seulement l’organisation des AG est faite pour dissuader les petits actionnaires de voter, mais en plus l’essentiel des actions est détenu par un petit nombre de professionnel·le·s, dans un entre-soi opaque.
Absence des dirigeant·e·s à cause de l’optimisation fiscale

Certain·e·s cadres dirigeant·e·s, important·e·s actionnaires de leur entreprise, ont choisi d’établir leur résidence fiscale dans un pays où l’activité de l’entreprise est annexe ou inexistante. Ce choix implique une résidence à l’étranger une partie de l’année, qui peut être préjudiciable à la vie de l’entreprise.

Il n’est pas rare de voir la/le DG disparaitre quelques semaines avant la fin de l’année car elle/il n’a pas son quota de jours à l’étranger pour justifier sa résidence fiscale.

 

Pas assez d’actionnariat salarié dans les PME

L’actionnariat salarié, malgré les déficiences énumérées ci-dessus, est un moyen qui pourrait être puissant de partager les bénéfices de l’entreprise, de concilier la profitabilité de l’entreprise et la rémunération des salarié·e·s et enfin de motiver les salarié·e·s à encourager un bon fonctionnement de l’entreprise. Il contribue à l’émergence d’un l’esprit d’équipe et à un partage équitable des revenus et des bénéfices.

Cependant, l’actionnariat salarié est relativement moins développé dans les petites et moyennes entreprises. Le capital social est souvent concentré, avec un actionnaire unique ou une famille qui concentre l’intégralité des actions. Il pourrait être intéressant de prévoir des mécanismes qui incitent les actionnaires de PME à partager une partie de leurs actions avec celles et ceux leurs salarié·e·s qui le souhaitent.

 

Taxation insuffisante des patrimoines en actions

Les versions passées de l’ISF ont considéré le patrimoine en action des cadres dirigeants comme un bien professionnel et ont appliqué une exonération totale ou partielle (75%) de la valeur des actions dans le patrimoine imposable.
Ces dispositions ont contribué à faire échapper à l’impôt des patrimoines très supérieurs au seuil de 1,3 M€, ou à minorer de manière considérable le montant de l’impôt au regard du patrimoine du foyer fiscal, contribuant ainsi à l’augmentation des inégalités de patrimoine, très fortes et en croissance.

On pourrait, dans le cadre d’un ISF restauré, mener une réflexion sur une exonération partielle et conditionnée par une forte participation des salarié.e.s au capital de l’entreprise.

 

Propositions

Inciter les actionnaires individuel·le·s à voter aux AG

Les actionnaires devraient se voir proposer de voter à l’AG chaque année, par exemple en faisant du nominatif administré le mode de gestion par défaut.

 

Inciter les salarié.e.s à voter ou donner pouvoir aux AG

Les syndicats peuvent déjà inciter les salarié·e·s à se regrouper, on ne peut que souhaiter qu’ils le fassent plus activement !

Le pouvoir des représentant·e·s des salarié·e·s est actuellement symbolique. Peut-être une participation des salarié·e·s plus large dans les conseils d’administration inciterait-elle les représentant·e·s des salarié·e·s à s’impliquer plus activement dans l’ensemble du fonctionnement de l’entreprise.

Taxer le patrimoine en action dans un ISF renouvelé

Deux options sont possibles dans ce domaine :

  • Soit revenir au principe de la taxation du patrimoine, en sommant la valeur de l’ensemble des actifs, sans exonération. Chaque exonération est le résultat d’un lobbying spécifique et en justifie d’autres. Si on exonère en partie la résidence principale, alors pourquoi pas l’outil de travail, etc. Dans cette optique, on supprimerait toutes les exonérations et on élèverait le seuil de l’impôt, par exemple vers 2 millions d’euros ou un multiples d’années de travail au SMIC, par exemple 100 ou 150 ans de SMIC.

  • L’alternative consiste à doser l’exonération en fonction de paramètres factuels de partage du pouvoir en entreprise. Par exemple en exonérant plus les actions des entreprises qui distribuent des actions à une large part des salarié·e·s

 

Harmoniser la résidence fiscale et les responsabilités managériales

Il pourrait s’agir de conditionner la résidence fiscale dans un autre pays en fonction du poste occupé en France et de la taille de l’entreprise. Par exemple contraindre une résidence fiscale en France pour le poste de directeur/rice général·e d’une entreprise de plus d’un certain nombre de salarié·e·s, filiales majoritaires incluses.


¹ En 2022, certain·e·s actionnaires n’ont pu rejoindre l’AG suite à une manifestation

² À l’exception remarquable de la CFDT de la Société Générale en 2022


Contribution proposée par Emmanuel Fruchard et Elisabeth Markovic, section de Paris 15e

Autres signataires : Jean-Claude Fiaud, François Véron, Laurent Perrin et Isabelle Roy (conseillère d’arrondissement, Paris 15e).

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