Pour une nouvelle approche des relations avec les pays les plus pauvres


Thème : Relations internationales


Télécharger la contribution

Comme souvent, les mêmes symptômes : Les pays les plus pauvres au monde ont comme point  commun de vivre sous un régime autoritaire, sans institutions judiciaires solides, sans presse libre et  avec un taux de corruption élevé. Autre constante : Le changement climatique et la sécheresse mettent une énorme pression sur l’agriculture. Si bien que la sécurité alimentaire n’est pas assurée dans ces  pays... 

« Mais j'ai le droit de vous dire que c'est notre devoir à nous, à vous tous, de ne  pas négliger une seule occasion de montrer que vous êtes avec ce parti socialiste  international qui représente à cette heure, sous l'orage, la seule promesse d'une  

possibilité de paix ou d'un rétablissement de la paix. » Discours de Vaise - Discours  de Jaurès, le 25 juillet 1914 - Jean Jaurès 

ASSURER LA SÉCURITÉ ET LA SOUVERAINETÉ ALIMENTAIRES DES PAYS LES PLUS  DEMUNIS 

Près d’un milliard de personnes dans le monde sont sous-alimentées. Plus du double souffrent de  malnutrition. Cet échec est d’autant plus inacceptable que, compte tenu des progrès des savoirs et  techniques agricoles au cours des dernières décennies, nous savons que les obstacles techniques sont  surmontables et que l’on peut nourrir l’ensemble des habitants de la planète à condition de  transformer les logiques de production. Ce sont le courage et la lucidité politiques qui font défaut. La  nécessité d’agir, vite et avec des moyens accrus, demeure incontestable. Pour ce faire, il faut : 

  • Lutter contre l’accaparement des terres cultivables qui a pris, ces dernières années, des  proportions inédites à l’échelle planétaire. Achetés, loués ou concédés, des millions d’hectares  sont arrachés aux communautés paysannes de nombreux pays du Sud et passent aux mains de  sociétés agroindustrielles, d’États tiers et de fonds d’investissements. Des terres, qui assuraient  l’alimentation des populations locales, sont détournées de leur fonction et dédiées à des  monocultures d’exportation, à la production d’agro-carburants (à impact écologique et climatique  négatif) et, de plus en plus, à la spéculation foncière 

En 2016, on recensait 491 accaparements de terres à grande échelle engagés au cours de la dernière  décennie. Ces transactions portent sur plus de 30 millions d’hectares dans 78 pays (environ la moitié de  la superficie de la France). 

  • Soutenir les ONG telles Oxfam ou CCFD-Terres Solidaires pour demander à la Banque Mondiale de  geler les grandes transactions foncières qu’elle finance, mais aussi pour établir des normes  équitables qui protégeront les droits des personnes pauvres en leur donnant un accès prioritaire  aux terres pour une alimentation locale, tout en favorisant les circuits courts à l’échelle des  territoires 
  • Impulser une réforme radicale de la NASAN (Nouvelle alliance pour la sécurité alimentaire et la  nutrition) afin que soit assurées : 

- La transparence, l’inclusion et la participation active de la société civile, la traçabilité et la redevabilité de l’initiative

- La réorientation des financements et des engagements politiques en faveur de la sécurité  alimentaire et nutritionnelle, de la souveraineté alimentaire et de la réduction de la pauvreté - La cohérence avec les positions françaises déjà établie :: favoriser l’agroécologie, lutter contre  les accaparements de terres, promouvoir le modèle de gouvernance... 

Depuis le lancement de la NASAN par le G8 en mai 2012, la France a émis des réserves sur le fondement  même de l’initiative et son mode de fonctionnement. Face aux critiques de la société civile au Nord et  au Sud, et en vue de transformer cette initiative en un véritable instrument de soutien aux agricultures  familiales en Afrique subsaharienne, la France s’était engagée à influencer la NASAN de l’intérieur. 

AUGMENTER L’AIDE PUBLIQUE AU DÉVELOPPEMENT (APD) 

L’APD, instrument central de la coopération et de la solidarité internationales, permet de soutenir les  politiques sociales, éducatives et de santé, l’aide humanitaire, l’appui aux infrastructures, le  renforcement de la société civile, la promotion d’une gouvernance plus démocratique, les programmes  d’adaptation aux changements climatiques... Ainsi, elle couvre tous les champs de l’agenda du  développement durable sur lequel s’est accordée la communauté internationale pour l’horizon 2030.  Même si elle n’en constitue pas l’unique levier, elle demeure essentielle et doit donc être dotée de  moyens à la hauteur de cette ambition. 

Lors de la Conférence internationale qui s’est tenu en 2015 à Addis-Abeba et qui a défini ses modalités  de financement, les pays riches ont réaffirmé leur engagement, vieux de 50 ans, de consacrer 0,7 % de  leur revenu national brut à l’aide au développement. 

La France ne consacre à l’APD que 0,37 % de son revenu national brut, contrairement aux Britanniques  qui ont atteint les 0,7 % et aux pays scandinaves qui font encore mieux. Grâce à la taxe sur les  transactions financières (TTF), l’APD devrait monter fin 2022 à 0,55 % après une longue tendance à la  baisse. 

  • Hisser l’APD à 0,7 % du revenu national brut (RNB) avec un objectif à 5 ans, essentiellement sous  forme de dons et non de prêts ou d’annulation de dettes antérieures – les crédits budgétaires  d’APD votés en loi de finances doivent donc augmenter impérativement de 10 % par an jusqu’en  2022 
  • Augmenter spécifiquement de 10 % par an les crédits de l’aide publique au développement  durable, en garantissant qu’il ne s’agisse pas d’annulation de dettes et en veillant à ce que ce ne  soit pas en échange de marchés pour les entreprises comme c’est souvent le cas  
  • Cibler systématiquement les populations les plus vulnérables : femmes, enfants, adolescents,  personnes âgées et en situation de dépendance 

DÉNONCER LES ACCORDS DE PARTENARIAT ÉCONOMIQUE DE L’UNION EUROPÉENNE  AVEC LES PAYS DU SUD 

Depuis les années 2000, l’Union européenne a négocié avec les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique)  des Accords de Partenariat Économique (APE) en substitution aux anciens accords de Lomé et de  Cotonou, ce dernier ayant été qualifié de « baiser de la mort de l’Europe à l’Afrique » par nombre  d’économistes africains comme d’experts européens. 

Dans le cadre des APE, les pays du Sud concernés sont amenés à ouvrir leurs marchés à la plupart des  produits en provenance de l’Union européenne en rendant réciproques les avantages consentis aux  produits africains sur le marché européen, ce qui risque de détruire dans l’œuf des filières industrielles  qui ont des difficultés à émerger. L’Europe met par là même gravement en péril le développement de  certains secteurs économiques dans ces pays, ainsi que les processus d’intégration régionale.

En Afrique de l’Ouest, le manque à gagner est estimé à plus de 2,3 milliards d’euros cumulés sur quinze  ans. Au Sénégal, le lait local, produit par les milliers de vaches des éleveurs peuls du Nord du pays, est  quatre fois plus taxé que le lait en poudre en provenance de Nouvelle-Zélande et d’Europe. 

  • Dénoncer les risques importants de la libéralisation des marchés pour le développement des pays  du Sud et notamment les marchés agricoles et alimentaires, du fait des APE, ainsi que les pressions  exercées par l’Union européenne en vue de la signature des APE et la mise en œuvre des accords  intérimaires qui constituent une menace pour les processus d’intégration régionale 
  • Reconnaître le droit des pays en développement de protéger leurs marchés des importations afin  de garantir leur sécurité alimentaire et leur développement économique et social dans le cadre de  stratégies régionales d’intégration 

RÉGLEMENTER L’IMPORTATION DES « MINERAIS DE SANG » 

Les minerais de sang – étain, tantale, tungstène et or – sont utilisés dans de nombreux objets,  notamment les smartphones, les téléviseurs et les ordinateurs, mais aussi en bijouterie. À l’autre bout  de la chaîne, en République démocratique du Congo, en République centrafricaine et ailleurs, leur  exploitation, souvent contrôlée par des groupes armés, attise les violences et les atteintes aux droits  humains. Si les États-Unis ont commencé à s’attaquer au problème en 2010, l’Union européenne est  restée longtemps perdue dans ses atermoiements, les entreprises du vieux continent s’opposant à  toute régulation les contraignant à un devoir de vigilance sur les atteintes aux droits humains dans leur  chaîne d’approvisionnement ou à des analyses de risque pour s’assurer que leurs minerais ne  proviennent pas d’opérations illicites dans des zones de conflits. 

Les débats européens sur les minerais de sang constituent l’un des épisodes du combat pour la  régulation des multinationales et de leurs impacts sociaux et environnementaux, entre démarches  volontaires et normes contraignantes. 

Donner à l’Union européenne l’impulsion pour imposer des règles contraignantes à tous les acteurs  concernés, depuis les importateurs de minerais bruts jusqu’aux industriels qui utilisent ces minerais  pour fabriquer des composants et à ceux qui les utilisent dans leurs produits, à l’opposé de la politique  de la Commission et du Conseil européen, soutenus par les industriels, qui ne proposent que des  certificats volontaires de responsabilité, gérés par les entreprises elles-mêmes. 

RENFORCER NOS PARTENARIATS AVEC L’AFRIQUE 

La France doit prendre la mesure de l’émergence économique et sociale de l’Afrique qui en fera l’un  des pôles majeurs de la mondialisation du XXIe siècle. L’Afrique est en effet, depuis plus d’une décennie  et même si le phénomène s’est ralenti en 2016, un continent en pleine croissance économique (5 %  par an en moyenne), juste derrière l’Asie et loin devant l’Europe. Certes, elle ne représente encore que  2 % du commerce mondial mais cette proportion augmente continuellement. 

L’indice de développement humain s’est amélioré de 15,6 % entre 2000 et 2010 pour la seule Afrique  subsaharienne. Les classes moyennes africaines représentent entre 300 et 500 millions d’individus.  Selon l’ONU, la population africaine devrait doubler d’ici à 2050 pour atteindre quasiment 2 milliards  d’individus. 

Au-delà du respect de l’engagement de l’État d’augmenter l’APD à hauteur de 0,7 % du RNB, il convient  de favoriser le développement économique de l’Afrique : 

  • Poursuivre et amplifier les mesures révisant la politique française de visas économiques afin de  faciliter la circulation des acteurs économiques entre la France et l’Afrique
  • Relancer la formation du capital humain, la coopération universitaire et de recherche, les échanges  intellectuels, et les orienter vers le développement 
  • Soutenir le financement des infrastructures 
  • Réduire le coût de mobilisation des capitaux privés et des primes de risque appliquées à l’Afrique,  notamment en introduisant à l’OCDE une proposition de réexamen technique du modèle  d’évaluation des risques financiers africains et, au plan national, ouvrir aux fonds propres le guichet  ARIZ (Accompagnement du risque de financement de l’investissement privé en zone  d’intervention) de l’AFD, de manière à couvrir également les prises de participations pour  encourager les projets de l’économie sociale, solidaire et écologique 
  • Contribuer au renforcement des capacités de financement de l’économie africaine • Augmenter  les capacités d’intervention de l’Union européenne en faveur de l’Afrique en élargissant les  possibilités d’intervention de la Banque européenne d’investissement (BEI) en Afrique • Favoriser  le développement économique en mobilisant les bailleurs de fonds et en facilitant les transferts de technologie 
  • Promouvoir l’économie responsable et l’engagement sociétal des entreprises françaises  intervenant en Afrique (dans les processus d’appels d’offres des financements de l’AFD, dès la pré qualification) 
  • Accompagner l’intégration régionale de l’Afrique 
  • Renouveler les relations de la France avec l’Afrique. Souhaitant, à juste titre, sortir de la  « Françafrique », la France a laissé le champ libre à d’autres (Chine, États-Unis…) dont les pratiques  sont souvent encore plus critiquables. Il s’agit donc de construire un nouveau partenariat,  respectueux des droits des Africains, à l’écoute de leurs demandes et en lien avec la société civile  africaine qui se développe 
  • Associer davantage la diaspora africaine à la définition et à la mise en œuvre de la politique  économique africaine de la France, à la conception et à la participation à des projets d’échange et  de coopération 
  • Développer les projets professionnels (entrepreneuriat, commerce, artisanat, etc.) des migrants  souhaitant rentrer dans leur pays d’origine par une aide financière, une formation et un soutien  aux projets avant le départ, puis un accompagnement sur place par les services consulaires et les  ONG 
  • Augmenter le nombre des Volontaires internationaux en entreprises (VIE) en Afrique  subsaharienne et donner une plus grande place aux Volontaires de solidarité internationale (VSI)  orientés vers les secteurs économiques 
  • Mieux associer les collectivités territoriales, en particulier les régions, à la conception, à la mise en  œuvre et à l’évaluation de la politique économique africaine de la France et favoriser les projets  de co-développement et d’échanges entre collectivités territoriales du Nord et du Sud 
  • Faire de la France un espace d’accueil favorable aux investissements financiers, industriels,  commerciaux et culturels africains 

FAIRE RESPECTER LE DROIT RELATIF AUX EXPORTATIONS DE DÉCHETS ET DURCIR LES  SANCTIONS POUR LES CONTREVENANTS 

Les pays du Sud ne sont pas notre poubelle. Des textes contraignants existent qui sont censés encadrer  la circulation des déchets : la Convention de Bâle, ratifiée en 2011, interdit aux pays de l’OCDE  d’exporter des déchets dangereux vers les pays en développement et impose un contrôle de leur  circulation ; elle renforce la Convention de Bamako de 1991, qui interdit aux pays africains d’importer  des déchets dangereux. Il en est de même pour l’interdiction de désosser de vieux cargos car ceux-ci  contiennent des éléments dangereux (amiante, plomb…) que les pays du Sud ne sont pas en mesure de traiter suivant les normes internationales en vigueur. Pourtant, l’application des textes et le  contrôle des exports/imports de déchets laissent à désirer. On constate de nombreux transferts  détournés avec la complicité de pays tiers et celle des autorités des pays du Sud. C’est pourquoi nous  souhaitons instiguer la création d’une force d’intervention internationale, au sein de laquelle sera  mobilisée notre Marine nationale, dont la priorité sera de renforcer les dispositifs de contrôle en mer.  À terme, nous espérons pouvoir recycler l’intégralité de nos déchets nocifs sur le territoire français et  en éliminer l’exportation vers des pays plus pauvres où ils finissent actuellement dans des décharges  à ciel ouvert à perte de vue et où ils contribuent à la pollution parfois irréversible de l’environnement,  rendent les nappes phréatiques insalubres et constituent quelque fois un problème grave de santé  publique...


Premier signataire :

Mathieu GITTON secrétaire de section de Belgique 


Télécharger la contribution

Veuillez vérifier votre e-mail pour activer votre compte.