Thème : Relations internationales
Face au désordre et au chaos du monde, à des conflits qui s’enracinent dans les humiliations du passé et se développent sur les frustrations du présent, il apparaît indispensable de promouvoir une nouvelle vision des relations internationales.
Inégalités économiques et sociales dans un contexte de mondialisation débridée, carences de la gouvernance et de l’État de droit, sclérose des institutions internationales, incapacité à prendre en compte tant les évolutions du monde du XXIe siècle que ses multiples acteurs et l’émergence de nouveaux risques, nécessitent de refonder une « communauté internationale » qui n’a, de fait, jamais existé.
« Le vieux monde se meurt, le nouveau tarde à apparaître et dans ce clair-obscur surgissent les monstres » Antonio Gramsci
CRÉER LES CONDITIONS D’UN DIALOGUE ÉQUILIBRÉ AVEC LA RUSSIE
La situation géographique de la Russie et son histoire récente depuis le milieu du XXe siècle ont inscrit dans l’esprit du peuple russe et de ses dirigeants le complexe de l’encerclement. Il s’agit maintenant pour la Russie de retrouver son rang, d’être respectée et de jouer de nouveau un rôle de premier plan en Europe et au Moyen-Orient. Cependant, ses difficultés économiques, les risques d’un enlisement en Syrie et de troubles dans le Caucase où résident vingt millions de musulmans sunnites, la menace d’une confrontation avec les ambitions chinoises en Sibérie, a amené la Russie à vouloir réintégrer le jeu international par son invasion de l’Ukraine et contribuer aux nouveaux équilibres mondiaux qui se dessinent.
La défaite de l’URSS en Afghanistan et sa dislocation en 1991 ont créé un véritable traumatisme, une humiliation profonde et toujours vivace qui a nourri une volonté de revanche nationaliste, slave et orthodoxe, face à ce qui fut perçu comme une arrogance occidentale.
Il convient d’éviter le retour d’une logique de guerre froide en trouvant les moyens et les actions concrètes à même de faire évoluer la Russie vers davantage d’ouverture et de coopération :
∙ Cesser de s’aligner sur les positions actuelles de l’OTAN qui conduisent à faire monter les tensions avec la Russie par une stratégie de renforcement agressif du dispositif de défense à l’Est, demandé par la Pologne et les Pays Baltes, tout en réaffirmant la protection assurée à ces pays par leur appartenance à l’OTAN en application de l’article 5 de son traité fondateur qui garantit une intervention des alliés en cas d’« attaque armée » contre l’un de ses membres
∙ Relancer le débat sur les enjeux et les moyens d’une politique européenne de défense autonome vis-à-vis des États-Unis et d’un éventuel partenariat avec la Russie face aux périls extérieurs ∙ Dénoncer le rattachement de la Crimée et des régions de Zaporijjia, Kherson, Lougansk et Donetsk à la Russie au mépris de toutes les règles internationales, tout en reconnaissant l’appartenance historique de ce territoire à l’espace russophone. Envisager une autonomie négociée de ces régions en échange d’une levée progressive des sanctions économiques (même si leur efficacité demeure très faible)
∙ Rétablir le dialogue entre l’Union européenne et la Russie, suspendu par la crise ukrainienne. Relancer notamment les discussions concernant les « conflits gelés »
∙ Sur la base des accords de Minsk, être à l’initiative de négociations visant à donner une large autonomie aux régions du Donbass en échange de garanties pour l’Ukraine (approvisionnement énergétique assuré dans la durée à un prix préférentiel, engagement russe de cesser de susciter des mouvements séparatistes, accords commerciaux préférentiels entre l’Ukraine et l’Union européenne) tout en garantissant à la Russie la non-intégration de l’Ukraine à l’OTAN et à l’Union européenne
∙ Aider techniquement et financièrement la Russie à démanteler ses navires nucléaires hors d’usage suscitant de graves risques environnementaux. Cette aide sera assortie d’obligations de contrôle international des opérations pour éviter la dissémination des produits radioactifs vers des pays peu sûrs ou des organisations criminelles.
DEMÊLER LE NŒUD GORDIEN MOYEN-ORIENTAL
Nous ne pouvons échapper aux tourments de notre voisinage du Proche et du Moyen-Orient, qui se manifestent et s’exportent sous forme de guerres, de flux migratoires et de terrorisme. La liste des sources d’instabilité est longue : des clivages confessionnels et ethniques, la politique expansionniste de la Russie, un État d’Israël toujours contesté par ses voisins, des États-Nations fragiles sans consensus communautaire, des régimes autoritaires souvent corrompus, une société civile et des élites forcées au silence, la question kurde non résolue, l’accès aux ressources en eau, l’exportation du pétrole et du gaz, les ressentiments vis-à-vis de l’Occident et de ses interventions passées et actuelles, les guerres entre voisins... Il convient de remettre la paix à l’ordre du jour, aussi difficile que cela puisse paraître, pour tous ceux qui y ont intérêt des deux côtés de cette mer commune, en proposant de :
∙ Organiser une conférence des cinq membres permanents du Conseil de sécurité, de l’Allemagne et des trois principales puissances régionales, l’Arabie Saoudite, l’Iran et la Turquie, pour un accord écrit imposant le retrait de toutes les forces étrangères en Syrie et la fin immédiate de la fourniture d’armes aux belligérants quels qu’ils soient. En cas de désaccord de l’une des puissances actives dans la région, ou de rupture de l’accord signé, un embargo sur les ventes d’armes à leur destination et des sanctions économiques leur seraient imposés
∙ Réviser les relations privilégiées de la France – et si possible des pays membres de l’Union européenne – avec l’Arabie Saoudite et le Qatar tant qu’ils n’auront pas coupé tout lien avec leurs épigones djihadistes et que leurs lois et pratiques, en Syrie comme au Yémen, s’opposeront au droit international et aux conventions de l’ONU
∙ Mettre en œuvre les accords de Genève avec un gouvernement de transition sans Bachar el-Assad et son entourage proche, comprenant un plan cohérent de transformation de l’armée sans exclusion communautaire et de rétablissement des services de base. La transition devra être anticipée et organisée, à partir d’une stratégie claire et partagée
∙ Proposer une force de maintien de la paix de l’ONU à même de stabiliser le pays pendant la transition et d’éviter les violences interethniques et interreligieuses, en attendant la mise en place d’une armée multiconfessionnelle
∙ Garantir une forte autonomie aux Kurdes syriens comme irakiens
∙ Reconnaître que seules les dynamiques politiques pourront stabiliser le Moyen-Orient et que les pays occidentaux peuvent y contribuer ou, au contraire, aggraver le chaos dont Daesh et Al-Qaïda se nourrissent
Une telle mesure revient à assumer, en évitant toute arrogance néocoloniale, notre responsabilité dans un Moyen-Orient en partie façonné par les accords Sykes-Picot conclus en 1916 entre la France et le Royaume-Uni.
∙ Soutenir les sociétés civiles pour la mise en place de gouvernements de transition multiconfessionnels en Syrie, en Irak et en Libye, respectant l’État de droit et la bonne gouvernance ∙ Accorder un soutien financier exceptionnel pour reconstruire des pays dévastés et accompagner leur développement économique et social
∙ Privilégier, pour délier les conflits, la diplomatie préventive à des interventions armées tous azimuts
∙ Accueillir inconditionnellement les réfugiés pouvant prétendre au droit d’asile au titre des conventions de Genève, assurer leur répartition équilibrée entre les pays occidentaux, États-Unis, Canada, et bien sûr Union européenne.
Ces réfugiés seront vivement incités – y compris financièrement – à retourner ensuite dans leur pays pour participer activement à sa reconstruction et à son développement politique, économique et social.
∙ Définir une stratégie non seulement militaire, mais aussi politique et en termes de valeurs, qui soit adaptée à contrer le projet global de Daesh, mobilisateur et de type révolutionnaire, ainsi que sa puissance d’attraction. Cela nécessite de faire l’effort de comprendre, non pour les excuser mais pour connaître leur tissu social et religieux, les moteurs et désirs des combattants djihadistes
∙ Refondre notre politique de sécurité en privilégiant d’une part le renseignement humain de qualité et de proximité plutôt que la surveillance massive et vaine de la population, d’autre part le rétablissement et le développement des libertés publiques – comme avait su le faire, dans une situation plus tragique encore, le Conseil national de la Résistance – qui représentent la meilleure défense de nos valeurs, en enfin la prévention des conflits identitaires, en France comme ailleurs dans le monde
RELANCER LE PROCESSUS DE PAIX AU PROCHE-ORIENT
Il est nécessaire de presser les gouvernements israélien et palestinien à aboutir à un accord dans un cadre précis et un calendrier contraint afin de régler l’ensemble des problèmes posés et, pour cela, de :
∙ Dénoncer clairement la politique française actuelle qui s’est éloignée de l’équilibre traditionnel de la France au Proche-Orient en soutenant un gouvernement israélien dont la politique extrémiste et expansionniste dénie tout droit aux Palestiniens
∙ Passer des accords culturels, commerciaux et militaires avec le nouvel État palestinien afin d’assurer sa reconstruction économique et sa sécurité
∙ Lancer une initiative internationale visant à contraindre leurs gouvernements à aboutir à un accord réglant impérativement l’ensemble des problèmes: retour aux frontières de 1967 avec d’éventuels échanges de terres décidés d’un commun accord, définition du statut de Jérusalem comme capitale des deux États sous contrôle international, retour des réfugiés ou intégration de ceux-ci dans les pays voisins, conditions de sécurité, partage des ressources en eau
∙ Proposer à la communauté internationale, en cas d’échec de cette initiative, d’exiger l’application immédiate des résolutions de l’ONU concernant l’occupation des territoires palestiniens et d’imposer la création d’un État palestinien dans ses frontières du 4 juin 1967 et sur la base de l’initiative arabe de 2002. Reconnaître officiellement cet État palestinien comme l’ont déjà fait 138 États et comme l’ont recommandé les Parlements français et européen, et proposer à tous nos partenaires européens de faire de même
∙ Exiger un étiquetage précis de tous les produits israéliens entrant dans le marché commun européen afin de permette aux citoyens de boycotter ceux en provenance des territoires occupés, abusivement considérés comme israéliens
FAVORISER UNE INTÉGRATION PACIFIQUE DE LA CHINE AU SYSTÈME INTERNATIONAL
La Chine tente de s’imposer comme une nouvelle puissance hégémonique en Asie et dans le monde. Sa force croissante intimide et elle pousse ses pions comme au jeu de go à travers les « nouvelles routes de la soie », le contrôle des mers de Chine et de l’Asie, la mainmise sur les îles Spratley, et via un nouveau leadership économique sur maints pays souhaitant prendre leurs distances avec les États Unis.
La crainte d’un affrontement entre les deux grandes puissantes inquiète les pays riverains.
∙ Favoriser une émancipation de la Chine au sein du Conseil de sécurité de l’ONU. Encore trop souvent alignée sur la Russie, comme dans le dossier syrien, la Chine doit devenir une puissance diplomatique conforme à son poids économique
∙ Intégrer la Chine dans un système de sécurité collective en Asie aux côtés des États-Unis, de la Russie et du Japon
∙ Construire un partenariat écologique entre l’Union européenne et la Chine, suite à la COP 21 et à l’émergence de fortes préoccupations écologiques des populations chinoises, afin de faire pression sur la politique actuelle de retrait des États-Unis
∙ Poursuivre une diplomatie active concernant les droits de l’homme en Chine, tant pour les individus que pour les minorités tibétaine et ouïghoure
CONDITIONNER LES TRAITÉS DE LIBRE-ÉCHANGE À UN MIEUX-DISANT ÉCOLOGIQUE ET SOCIAL CONTRAIGNANT
Les traités de libre-échange existants obéissent à une même logique : libéraliser le commerce international en ouvrant les marchés aux forceps, en nivelant les règles sociales et environnementales par le bas et en réduisant le pouvoir régulateur des États, dans la mesure où le respect de ces accords doit être assuré par des tribunaux d’arbitrage ayant toute latitude pour condamner les États à des amendes exorbitantes. De surcroît, les négociations de ces accords se déroulent toujours de manière opaque, sans contrôle démocratique ni information aux citoyens. Nous proposons donc de contraindre socialement et écologiquement lesdits traités (TAFTA, TISA et futurs traités éventuels).
La France refusera catégoriquement de signer tout accord de libre-échange entre l’Europe et d’autres régions du monde tant que les conditions suivantes ne seront pas réunies :
- Créer une commission de la société civique composée d’élus locaux européens, d’experts, d’acteurs de l’économie sociale, solidaire et écologique, de citoyens européens tirés au sort et de représentants du monde associatif, ayant droit de regard et de veto sur les négociations d’accord de libre-échange
- Instaurer un mécanisme de cliquet concernant les normes et régulations sociales et écologiques: celles-ci ne peuvent évoluer que dans le sens d’une plus grande « préservation » des droits humains, des protections sociales et des systèmes écologiques; aucun retour en arrière n’est possible, sauf sur demande des citoyens européens (Initiative Citoyenne Européenne) ou de la commission ci-dessus
- Garantir la transparence publique des négociations, et la tenue de débats publics ouverts dans les pays de l’Union
- Exiger de tout accord commercial qu’il respecte a minima le socle européen de normes et règles en matière de social et d’écologie ; c’est-à-dire qu’un accord ne pourra plus être soumis à étude que s’il est au moins aussi « ambitieux » sur ces plans, et juridiquement contraignant, que les législations intra-européennes en cours. Les conditionnalités des accords de libre-échange sont donc évolutives dans le temps, puisqu’elles progressent en même temps que le socle européen
Grâce à ces règles, la porte n’est pas fermée à des accords commerciaux entre puissances économiques, mais nous garantirons non seulement que les lois et normes européennes ne seront pas nivelées par le bas, mais en outre que celles en vigueur à l’étranger ne pourront qu’aller dans le bon sens: quiconque voulant faire commerce avec l’Europe devra au minimum se conformer à la politique socio-écologique de l’Union.
C’est, entre autres, le minimum acceptable afin d’avoir la moindre chance de relever le défi climatique, au-delà de l’ensemble des contributions nationales fixées par l’Accord de Paris sur le Climat entré en vigueur le 4 novembre 2016.
Premier signataire :
Mathieu GITTON secrétaire de section de Belgique