Thème : Santé
Pour une politique de santé de gauche dans le monde d’Après
Propositions pour refonder le système de santé en 2025
A – Introduction
La santé est un service public fondamental et une compétence régalienne de l’État. Elle ne peut être abandonnée aux logiques de marché ni pilotée comme une entreprise. Pourtant, depuis vingt ans, c’est bien cette logique qui domine : financiarisation des soins, multiplication des acteurs privés, fragmentation du système. Il est devenu urgent de reprendre la main.
Mais reprendre le contrôle ne signifie pas recentraliser aveuglément. Les politiques de santé doivent être pensées depuis les territoires, au plus près des besoins des populations et articulées à des objectifs nationaux de justice, de solidarité et de prévention. Cela implique une réglementation forte : il ne suffit plus d’inciter, il faut fixer des règles claires, des obligations opposables et des leviers publics puissants.
Nous refusons une santé pilotée par la rentabilité. Le soin n’est pas un produit et la santé n’est pas un marché. Le tri des patients par la carte bancaire ou par le lieu d’habitation est devenu une réalité : les dépassements d’honoraires, la médecine à deux vitesses, la financiarisation croissante de l’offre de soins excluent des millions de personnes.
Près de 5 millions de Français n’ont pas de complémentaire santé. Beaucoup doivent faire des choix impossibles entre soins, logement, alimentation. Ce n’est pas tolérable dans un pays qui se prétend égalitaire. Des mairies ont tenté de pallier ces inégalités avec des mutuelles communales, mais ces dispositifs restent insuffisants : seul un service public renforcé pourra garantir l’universalité. Enfin, la loi Bachelot de 2009, avec la création des ARS et la généralisation de la T2A, a profondément désorganisé l’hôpital public. Elle a imposé une gestion par les coûts, une mise en concurrence des établissements, une logique de performance chiffrée aux dépens du sens du soin. Ces réformes doivent être revues en profondeur. Des avancées concrètes ont récemment été obtenues lors des négociations budgétaires menées par la direction du Parti socialiste avec le gouvernement : pas de nouveaux déremboursements, pas d’augmentation du reste à charge et une hausse du budget de la santé permettant la création ou le maintien de dizaines de milliers de postes soignants, à l’hôpital public. Ces résultats montrent qu’un rapport de force politique clair et assumé peut produire des effets concrets pour la population.
Mais ces mesures, aussi utiles soient-elles, ne suffisent pas. Notre ambition est donc claire : poser les bases d’une refondationstructurelle, assumée, d’une politique de santé publique, égalitaire, territorialisée et démocratique, à rebours des logiques actuelles. Le monde d’après ne se fera pas par ajustement, mais par réaffirmation politique : la santé est un droit, pas un luxe ; une priorité collective, pas une variable d’ajustement.
B – État des lieux en 2025
Le système de santé présente des signes de rupture: Plus de 30 % des services d’urgences connaissent des fermetures temporaires.11 % des citoyen·nes sont sans médecin traitant. La santé mentale est en crise, la prévention s’effondre. La confiance dans la vaccination comme dans la gouvernance sanitaire se dégrade.
À ces constats s’ajoutent trois transitions mal maîtrisées :
- Démographique, avec le vieillissement et l’augmentation des maladies chroniques.
- Épidémiologique, avec la prévalence des pathologies longues et complexes.
- Technologique, dont les innovations sont peu intégrées au service public.
C – Trois principes pour une refondation
Une santé universelle et inclusiveLa santé doit être pensée dans toutes ses dimensions : soins, prévention, conditions de vie, environnement. Lutter contre les inégalités sociales et territoriales implique d’agir aussi sur l’alimentation, le logement, le travail, et d’ancrer la politique de santé au niveau local, en lien étroit avec les collectivités. Des réponses adaptées aux besoins des populations. Le système doit se réorganiser autour des besoins réels, identifiés à l’échelle des bassins de vie. Cela passe par un développement massif des soins de premier recours, des parcours de santé cohérents, et une meilleure coordination entre ville, hôpital et médico-social.
Une démocratie sanitaire concrète
La santé doit cesser d’être pilotée depuis les ministères ou les ARS, sans prise avec le terrain. Les usager·es, les soignant·es et les élu·es locaux doivent être associés aux décisions. La démocratie sanitaire ne doit plus être un slogan, mais un cadre institutionnel effectif.
FOCUS #1 – Déserts médicaux : rétablir un accès égal au soin partout
En 2025, des millions de Français vivent sans accès réel à un médecin généraliste. Dans des territoires comme Saint-Gaudens, en Haute-Garonne, les habitants meurent en moyenne plus jeunes que dans le reste de la région Occitanie. Le taux de mortalité y a bondi de plus de 50 % en 50 ans, avec une population plus âgée, plus précaire, et une offre de soins en recul. Cette situation illustre une vérité ignorée : en France, l’espérance de vie varie selon le code postal. On ne peut plus parler de santé publique sans affronter les inégalités territoriales de morbidité et de mortalité.
La suppression du numerus clausus n’a rien réglé : elle a été remplacée par un numerus apertus, fixé chaque année par les universités, sans contrainte ni stratégie nationale. Pendant ce temps, l’installation en libéral reste libre, malgré des études longues, gratuites et massivement financées par la collectivité. Il est légitime de poser une exigence d’intérêt général : quand on a été formé·e par la Nation, on doit pouvoir lui rendre en retour. Sans imposer une contrainte brutale, des leviers forts d’incitation doivent être mobilisés pour orienter les jeunes médecins vers les territoires en tension.
Nos propositions : une politique publique du soin de proximité
- Instaurer un service public territorial de médecine générale
- Créer un corps de médecins fonctionnaires, recrutés par concours, affectés dans les zones sous-dotées, comme les enseignants ou les magistrats.
- Intégrer ce service aux Maisons de Santé Pluridisciplinaires, ouvertes 7j/7, associant médecins, infirmiers, pharmaciens, sages-femmes, psychologues.
- Rémunérer ces professionnels par salaire public, avec garanties de stabilité, d’accompagnement et d’équilibre de vie.
- Réformer les études médicales pour sortir de la logique de reproduction
- Développer des sites universitaires de formation médicale déconcentrés, favorisant l’ancrage local et la diversité sociale.
- Introduire un module obligatoire de service public dans les études, avec immersion en zone sous-dotée.
- Proposer un parcours prioritaire et valorisé vers l’installation en territoire déficitaire, incluant aides à l’installation, accompagnement familial, et reconnaissance dans la carrière.
- Mieux réguler l’installation en ville tout en accompagnant les choix
- Mettre fin aux incitations peu efficaces et instaurer un permis d’installation modulé, qui encourage l’orientation vers les zones en tension par des avantages concrets : financement de matériel, temps partiel hospitalier, logement, etc.
- Proposer un contrat territorial d’engagement volontaire, dès la fin des études, qui favorise un premier exercice dans les territoires sous-dotés sans pénaliser la liberté professionnelle.
- Organiser l’accès aux premiers soins pour tous
- Déployer un réseau public de télémédecine, encadré et accompagné humainement, pour garantir un premier accès aux soins dans chaque territoire.
- Créer un service public d’accès aux soins urgents, coordonné au niveau départemental, articulé avec les urgences, hôpitaux et centres de santé.
- Repolitiser la question de la démographie médicale
- Instituer une conférence nationale annuelle sur l’organisation des soins de proximité, sous contrôle parlementaire et citoyen.
- Limiter les conflits d’intérêts en interdisant aux médecins en exercice de siéger dans les commissions parlementaires de santé.
- Reconnaître la médecine de proximité comme une mission d’intérêt général, exigeant une politique publique ambitieuse, et non une variable d’ajustement comptable
FOCUS #2 – LeNumérique en santé : outil d’accès ou facteur d’exclusion ?
Promu comme solution à tout, le numérique en santé ne réduit pas automatiquement les inégalités : il peut même les aggraver. Fracture d’accès, surcharge administrative pour les soignant·es, perte de lien humain... mais aussi captation des données de santé par des acteurs privés, souvent sans consentement réel ni transparence.
Ces données, parmi les plus sensibles, sont convoitées pour leur valeur économique : elles nourrissent aujourd’hui des modèles prédictifs, des stratégies commerciales, voire des logiques assurantielles discriminatoires. La santé ne peut devenir un gisement de données au service du profit. Il convient d’en reprendre le contrôle, au nom de l’intérêt général et du droit à la confidentialité.
Nos propositions :
- Créer une Agence publique du numérique en santé, indépendante, dotée d’un mandat clair de protection, régulation et souveraineté : encadrer les usages, interdire les reventes de données, et garantir l’intérêt collectif.
- Déployer des espaces de télémédecine accompagnée, dans les maisons de santé, pharmacies ou lieux publics, avec un soutien humain à chaque étape.
- Créer un corps de médiateur·trices numériques en santé, dans chaque territoire, pour aider les usager·es à s’approprier les outils, en toute sécurité.
- Encadrer strictement le Dossier Médical Partagé (DMP) : le rendre réellement interopérable, mais aussi protégé de toute récupération commerciale, et accessible avec un accompagnement personnalisé.
- Supprimer les tâches numériques redondantes dans les parcours de soins, et rémunérer le temps consacré à la coordination numérique.
- Interdire l’usage des données de santé à des fins commerciales ou assurantielles, et sanctionner toute infraction, y compris par des plateformes ou opérateurs privés.
FOCUS #3 – Vaccination : reconstruire la confiance, localement
La défiance vaccinale, renforcée par la crise COVID, résulte d’un manque de transparence, d’un discours public mal maîtrisé et d’une verticalité autoritaire. La réponse ne peut être punitive : elle doit être pédagogique, humaine et territorialisée.
Les dérives sectaires, complotistes et conspirationnistes des « antivax » ont des conséquences graves en santé publique. Il ne faut pas reculer : certains vaccins doivent rester obligatoires (en néonatalogie et petite enfance) pour protéger la population (tétanos, polio, diphtérie, méningite, hépatite, rougeole, etc.) contre des affections potentiellement mortelles ou lourdement invalidantes, dont le coût humain et collectif est immense.
Nos propositions:
- Créer une instance citoyenne de suivi vaccinal, pluraliste et indépendante.
- Former les professionnel·les à la communication de santé, et leur donner du temps pour informer.
- Déployer des équipes mobiles d’« aller-vers », pour aller à la rencontre des publics éloignés.
- Organiser des débats publics locaux, avec soignant·es, citoyennes, élu·es.
- Privilégier l’adhésion éclairée plutôt que l’obligation, en adaptant les stratégies aux territoires.
FOCUS #4 – Santé mentale : en faire une grande cause nationale
La psychiatrie publique est au bord de la rupture. Le manque criant de personnel, de lits, de moyens humains et financiers entraîne des retards de diagnostic, des soins dégradés, et un sentiment d’abandon massif, tant chez les soignants que chez les patients. Pourtant, les besoins explosent : jeunes, personnes précaires, travailleurs en souffrance psychique. La situation est particulièrement alarmante chez les adolescents. L’enquête nationale EnCLASS 2024 révèle une nette dégradation de leur santé mentale : sentiment de solitude, troubles du sommeil, fatigue, tristesse… Les filles sont les plus touchées. Le risque de dépression progresse, les pensées suicidaires aussi, et les tentatives ne sont plus rares. Et pourtant, les soins arrivent souvent trop tard, faute de psychiatres disponibles, aggravant les situations jusqu’à l’urgence.
Il est temps de rompre avec la logique de sous-investissement et d’ignorance. Face à cette urgence silencieuse, il faut lancer un plan structurant et volontariste , un plan d’urgence pour la psychiatrie publique, incluant recrutements massifs, titularisations et revalorisation des métiers. Chaque département doit disposer d’une Maison de Santé Mentale ouverte à tous, pluridisciplinaire et sans barrière à l’entrée. L’accès aux soins doit être rapide, avec un rendez-vous garanti sous 15 jours pour une première consultation. Il convient de renforcer les soins ambulatoires, les unités mobiles de crise et les alternatives à l’hospitalisation. Pour les jeunes, cela passe aussi par la visibilité des numéros d’écoute, un soutien précoce aux parents, une régulation des usages numériques, et la création de lieux d’engagement solidaire et culturel. Enfin, il est essentiel de combattre la stigmatisation par une grande campagne nationale, dans les établissements scolaires, les entreprises, les médias. La santé mentale est une question de société. Et de vie.
FOCUS #5 – Gouvernance : démocratiser les décisions de santé
Les ARS, créées pour rationaliser l’offre, sont devenues des outils de pilotage opaque, sans lien réel avec les besoins locaux. Les fermetures de services sont souvent imposées, les acteur·rices de terrain écartés des choix.
Nos propositions :
- Remplacer les ARS par des Agences Territoriales de Santé démocratiques, à gouvernance partagée (élus, soignants, citoyens).
- Renforcer les Conférences Régionales de Santé et d’Autonomie avec un pouvoir de décision.
- Créer des Conseils citoyens de la santé dans chaque département, associés à la planification.
- Publier toutes les décisions d’allocation de moyens, avec consultation publique préalable.
- Intégrer un principe constitutionnel de démocratie sanitaire, garantissant l’implication directe des citoyen·nes dans les grandes orientations.
Conclusion
Une politique de santé de gauche ne peut se contenter d’amortir les effets d’un système inégalitaire : elle doit refonder ses bases. Cela suppose de reconnaître que la santé n’est pas un secteur parmi d’autres, mais un socle de justice sociale et territoriale, une clé de l’égalité républicaine, une condition d’émancipation individuelle et collective.
Nous refusons une société où l’accès aux soins dépend du revenu, du statut social ou du lieu de résidence. Nous proposons une autre voie : un système de santé public, universel, territorial, gouverné démocratiquement, où chaque acteur – citoyen·ne, soignant·e, élu·e local·e – retrouve prise sur les décisions et le sens du soin.
Car ce que nous devons reconstruire, c’est un système capable de garantir la prévention, le soin, l’égalité d’accès, dans tous les territoires et pour toutes les personnes, quelles que soient leurs conditions de vie. Cela implique d’aller au bout d’une logique de refondation : planifier, réguler, investir, démocratiser.
Ce texte s’inscrit dans cette exigence. Il vise à rendre opératoire une ambition de gauche forte et lisible sur la santé. C’est à cette condition que nous pourrons construire le monde d’après, où la santé sera enfin reconnue pour ce qu’elle est : un droit, pas un privilège ; un bien commun, pas un coût ; un choix politique, pas une fatalité.
Contributeurs :
Premiers signataires
Jean-Charles Balardy, membre du conseil national, conseiller départemental, section d’Albi
Maryse Bertrand, ancienne maire adjointe St-Juery, section de St Juery
Jean Tkaczuk, conseiller municipal et communautaire – section de Lisle sur Tarn
Sylvie Baguelin, membre du conseil fédéral, section de Gaillac
Jean-Marc Aguerre, conseiller municipal et communautaire – section de Gaillac
Martine Daste Moron, membre du conseil national, conseillère municipale et communautaire – secrétaire de section de Castres
Robert Boudes, ancien maire adjoint de St Juery, militante section de St Juery
Claire Druilhe, membre du conseil fédéral, section de Castres
Pascal Dieudonné, section de Gaillac
Marise Fantin, BFA, section d’Albi
Frédy Ficarra, section d’Albi
Marie-Louise Gonzalès, section de St-Juery
Benoît Ibars, membre du conseil fédéral, secrétaire de section de Gaillac
Marc Izquierdo, conseiller municipal, vice président SIVU Arthès, secrétaire de section de St-Juéry
Nathalie Ibars, section de Gaillac
Mylène Kulifaj, conseillère municipale, secrétaire de section de Carmaux,
Hussein Mokhtari, membre du conseil fédéral, section de St-Juéry
Cathy Muller, membre du conseil fédéral, section de Castres
Joseph Pélissa, section de Carmaux
Vincent Recoules, conseiller régional, maire, membre du conseil fédéral, secrétaire de section de Valderies
Et des militants de la fédération PS81
Je souhaite signer cette contribution, comment faire ?
Cordialement