Pour une politique familiale de gauche


Thème : Éducation


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Débat

La question familiale est trop longtemps restée un impensé de la gauche, laissant la production d’une doctrine de la famille à la droite et aux associations familiales. La famille du 21e siècle est devenue diverse, mouvante et joyeuse, les citoyens n’ont pas attendu les penseurs de la gauche pour envoyer valser le modèle cher à la Manif pour Tous. En parallèle, le droit et la politique tentent tant bien que mal de suivre le mouvement en lui offrant un cadre juridique adapté. Il est plus que temps pour la gauche d’arrêter de courir derrière le changement pour en devenir un accompagnateur bienveillant. 

Proposition

Reconnaître toutes les familles

C’est quoi une famille ? Est-ce qu’il faut parler de celles et ceux qui vivent sous le même toit ? Comment traiter alors la famille étendue, les dé-cohabitations, les colocations ? Est-ce qu’une famille commence quand paraissent les enfants ? Alors qu’une femme nullipare en âge de procréer sur trois envisage de ne pas avoir d’enfant, le fait de donner la vie peut-il encore être un critère pour définir une famille ? 

De plus en plus, la définition de la famille donnée par nos concitoyens englobe des réalités diverses. Mais un élément clef reste : la famille, ce sont nos gens “sûrs”, celles et ceux sur lesquels nous pouvons compter et qui comptent pour nous. Mais comment le droit peut-il reconnaître cette diversité quand par nature il se doit d’être universel ? Une des réponses de la gauche a été la reconnaissance du mariage des personnes de même sexe.

Les changements sociaux redéfinissent la famille et libèrent les femmes

Autrefois, seul l’homme parlait au nom du « nous conjugal ». Mais avec la suppression de la puissance paternelle remplacée, en 1970, par l’autorité parentale, la révolution féministe a bousculé le couple. Toute l’histoire des cinquante dernières années est celle d’une revendication féministe pour un « nous » égalitaire et au sein duquel chacun peut conserver un pouvoir sur lui-même et sur la définition du couple. L’avènement de l’individualisme touche la famille et particulièrement la place des femmes dans le couple. Les trentenaires ne sont plus pressées de s’installer ensemble ou de faire des enfants, elles cherchent de plus en plus des partenaires stables avec le/laquel/lle construire un “nous conjugal ou familial” commun et équilibré. L’âge moyen du mariage est passé à 36 ans, souvent précédé d’un PACS qui intervient entre 25 et 34 ans. 

Cette recherche d’une reconnaissance de l’individu au sein même de la famille a un impact direct sur le rapport aux aides sociales et à l'impôt : demande de double accès aux comptes CAF, taux d’impôt différencié entre les conjoints, etc. 

Une partie de la gauche porte depuis plusieurs années déjà la dé-conjugalisation de l’impôt et des aides sociales au nom de l’égalité et d’une simplification des systèmes de prélèvement de redistribution. Cette mesure pourrait utilement répondre à la tendance à l’individualisation et au caractère parfois temporaire des unions. Cette unicité face à l'impôt et aux aides sociales permettrait également de mieux protéger les femmes, souvent les premières concernées par les couples inégalitaires. 

Reconnaître l’enfant, comme un citoyen en devenir

Si la reconnaissance de l’enfant comme individu a été transcrite par la gauche dans de nombreux textes : Charte des Droits de l’enfants, interdiction du travail des enfants, interdiction des châtiments corporels, trop souvent elle a refusé de penser à l'enfant avant son entrée à l’école considérant, à tort, que l’enfant n’entre en société qu’à partir de son entrée dans le milieu scolaire. Nous devons repenser notre rapport à l’enfant, dès ses premiers jours. Non plus comme un petit être appartenant encore un peu à ses parents mais déjà comme un individu et un citoyen en devenir. L’enfant, dès sa naissance, est un individu avec des droits et la société doit lui reconnaître ce statut spécifique de citoyen en construction. Si son statut de “petit” ne lui permet pas de jouir pleinement de toutes les possibilités offertes aux adultes ni de prendre toutes les décisions qui le concernent, la société doit s’attacher à respecter ses capacités et le rendre acteurs des grandes décisions qui le concernent. Pour la gauche, l’enfant n’appartient pas à ses parents, il s’appartient à lui-même. Les parents exercent la responsabilité légale sur leur enfant et la société exerce une responsabilité collective de protéger et d’accompagner l’enfant et ses parents. 

Des droits et des droits sociaux en propre

En pensant l’enfant comme un être unique, qui s’appartient en propre,  la gauche pourrait ainsi lui attacher des droits propres. Ses droits sociaux seraient alors confiés à ses parents ou tuteurs pour en être les bons gestionnaires, mais seraient attachés à sa personne. 

De cette doctrine découle plusieurs applications concrètes : les aides sociales, la bourse scolaire, l’allocation de rentrée, etc, appartiennent à l’enfant. Elles lui sont versées en son nom et en raison de sa situation propre. A titre d’exemple, la bourse scolaire est aujourd’hui calculée selon le principe d’une conjugalisation de fait : si la mère est en concubinage avec une autre personne, les revenus de cette autre personne sont pris en compte alors même que le concubin ou la concubine n’a aucune obligation à l’égard de l’enfant et peut faire cesser sans préavis sa contribution au quotidien de la “famille”. Cette conjugalisation de fait pèse sur les droits de l’enfant et le placent dans une situation ou ses droits sont suspendus aux décisions d'appariement de ses représentants légaux.

Accueillir les tout-petits, les guider vers l’autonomie et l’émancipation

Les modes d’accueil de la petite enfance ne doivent pas être des lieux de garde mais aussi des lieux où sont mis en place les prérequis des apprentissages. Ils doivent être des lieux d’éducation et d’émancipation. 

Le service public de la petite enfance que nous appelons de nos vœux a pour rôle d’assurer l’épanouissement, le développement et l’autonomie des tout-petits. Il contribue à la réussite des enfants, à la réduction des inégalités et à la diffusion des valeurs de la République. 

Au-delà de la question de l’accueil, ce service public doit accompagner les enfants dans leur découverte du monde, dans leur rapport à l’autre et dans la découverte de leur environnement. Dans cet accueil, l’enfant doit être respecté comme individu : dans sa personnalité, son histoire familiale et culturelle et dans sa différence. 

Nous considérons que les enfants doivent bénéficier d’un accès à l’art, au sport, à la culture et à la musique. 

On ne naît pas parent, on le devient 

Nous pensons que l’accompagnement à la parentalité est une politique publique qui sert tant les enfants que les adultes. Elle doit prendre différentes formes, de proximité avec les PMI mais aussi de long terme pour ne pas cesser lorsque l’enfant entre à l’école. 

La gauche doit sortir d’une vision quantitative de la politique familiale pour proposer une vision qualitative adaptée à la diversité des familles et des enfants. L’accompagnement à la parentalité est complémentaire des offres de mode de garde. 

Agir

1. 

Reconnaître le droit au répit : De nombreux parents isolés peuvent se retrouver en grande difficulté faute de pouvoir prendre du temps sans leurs enfants (familles monoparentales, pas de proches à proximité, situation de chômage, etc). Il faudrait reconnaître un droit au répit pour ces parents. Pour eux-mêmes, mais surtout pour leurs enfants qui peuvent parfois être des victimes collatérales des « craquages » de parents épuisés. Nous devons développer une offre de mode de garde ponctuelle publique et accessible.

2. 

Développer les tiers lieux dans les zones où cela est possible : certaines municipalités proposent des ludothèques, mais cela reste une offre assez rare. La plupart des activités proposées par le service public commencent à 4 ans. L’essentiel de l’offre d’atelier, d’activités et d’espace ludiques pour les tout-petits est aujourd’hui proposé par le privé. Il serait intéressant de réfléchir à des tiers lieux qui fusionneraient ludothèques, RAM et maison des parents.

3. 

Mise en accessibilité des transports et des espaces publics : se déplacer avec une poussette c’est endurer passagèrement ce que les personnes à mobilités réduites endurent toute leur vie. A ce titre, nous nous associons aux associations de personnes en situation de handicap pour demander une accélération de la mise en accessibilité des transports en commun, des services publics et plus généralement des ERP.

4. 

La place des tout-petits dans l’espace public : de trop nombreux espaces ne sont aujourd’hui pas « baby friendly ». Café, bar, restaurants, musées ne proposent pas par exemple d’espace pour langer bébé, ce qui peut mettre les jeunes parents en difficulté. Nous portons la nécessité d’une réflexion sur la construction d’espaces publics ouverts aux tout-petits et à leurs parents.

5. 

Les employeurs doivent s’investir dans la conciliation vie professionnelle/vie familiale : Ne plus en plus de parents veulent que le travail prennent moins de place dans leur vie. Certaines entreprises commencent à expérimenter la semaine de 4 jours choisie. Dans le sud de la France, des professions libérales s’organisent pour proposer des espaces de coworking offrant des solutions de garde pour les enfants. La question des modes de garde et de la conciliation temps de travail et temps de famille ne peuvent pas reposer uniquement sur la puissance publique, les entreprises doivent également prendre leur part dans cette conciliation.

6. 

Une aide à la garde pour les professions essentielles : Il faudrait réfléchir à mieux accompagner certaines professions essentielles qui doivent souvent travailler de nuit (pompiers, policiers, médecins, infirmiers, etc), à la fois dans la recherche du mode de garde mais aussi dans son financement.

7. 

Un vrai plan de recrutement et de formation de professionnels dans les structures collectives : la réforme du gouvernement Macron qui ouvre le recrutement sans diplôme de personnels dans les crèches, même avec un temps de formation et en nombre réduit, inquiète profondément les parents. Nous demandons un vrai plan de recrutement et de formation. S’occuper de nos enfants est un vrai métier. Les métiers doivent être revalorisés, par une augmentation des salaires mais également par une réflexion sur les conditions de travail, la possibilité de reconversion et d’avancement professionnel.

8. 

Conditions de travail, droit au répit, troubles musculosquelettiques : s’occuper de tout-petits n’est pas de tout repos, en tant que parent nous le savons bien. C’est pourquoi nous nous inquiétons des conditions de travail des professionnels de la petite enfance. Nous considérons également qu’une amélioration des conditions d’exercice permettrait de garder les professionnels dans le métier et de garantir.

9. 

Mieux accompagner les familles d’enfants handicapés : de nombreuses familles se retrouvent démunies lorsqu’elles découvrent que leur enfant est en situation de handicap ou qu’un handicap est suspecté. Le deuil de l’enfant parfait est parfois long et difficile, compliquant une prise en charge précoce qui permet parfois d’envisager un parcours d’inclusion en milieu traditionnel. Les PMI pourraient jouer un rôle de repérage, d’accompagnement et d’orientation dans un parcours d’inclusion.

10. 

Socialiste donc féministes, dès le plus jeune âge : la question de l’éducation à l’égalité de genre n’a pas d’âge. Pour les socialistes, elle doit commencer dès le plus jeune âge par une sensibilisation des familles, une formation des professionnels et une prise en compte dans les lieux d’accueil.

11. 

Reconnaître les enfants nés par GPA : sans trancher le débat sur l’ouverture ou non de la gestation pour autrui, la gauche ne peut pas fermer les yeux sur ces enfants qui vivent aujourd’hui en marge de la République. Si nous considérons l’enfant comme un individu avec des droits, nous devons faciliter la reconnaissance des enfants nés de GPA, améliorer l’accueil des familles concernées et faciliter leur accès aux droits.


Premiers signataires : Lyes Bouhdida-Lasserre, Alizée Ostrowski

Signataires : Sebastien Baranger (75 - Paris) ; Jonathan Baum (44 - Loire-Atlantique) ; Mathieu  Bogros (03 - Allier) ; Alexis  Bouchard  (35 - Ille-et-Vilaine) ; Soen Boulligny (14 - Calvados) ; Romain Boutholeau (44 - Loire-Atlantique) ; Dorine Bregman (75 - Paris) ; Hugo Canesson  (29 - Finistère) ; Rémi Carton (99 - Français de l'étranger) ; Arnaud  Chaboud (26 - Drôme) ; Baptiste Chapuis (45 - Loiret) ; Beatrice Coste (29 - Finistère) ; Louisa  Debris  (87 - Haute-Vienne) ; Guillaume Delaire (59 - Nord) ; Valérie  Delestre  (75 - Paris) ; Aurore  Djerbir Lignière  (41 - loir-et-Cher) ; Victoria Domenech (75 - Paris) ; Moschovia  Dr. Kaskoura-Schulz  (99 - Français de l'étranger) ; Yasmine El Jaï (75 - Paris) ; Ilyes  El Othmani  (75 - Paris) ; Clément Foutrel (76 - Seine-Maritime) ; Julien Gettliffe (82 - Tarn-et-Garonne) ; Gilles Gony (75 - Paris) ; Liliane Govart (59 - Nord) ; Franck Guillory (75 - Paris) ; Elias H'Limi (94 - Val-de-Marne) ; David Huberdeau (89 - Yonne) ; Arthur Job (59 - Nord) ; Louis L'Haridon (95 - Val-d'Oise) ; Chloé  Laurent  (33 - Gironde) ; Luc Lebon (75 - Paris) ; Ézékiel Lucas (59 - Nord) ; Antonin Mahé (22 - Côtes-d'Armor) ; Yannick  Matanda (74 - Haute-Savoie) ; Quentin Pak (69 - Rhône) ; Quentin   (69 - Rhône) ; Estelle Picard (79 - Deux-Sèvres) ; Adrien Pourrat (63 - Puy-de-Dôme) ; Emma  Rafowicz  (75 - Paris) ; Paul Rafroidi (95 - Val-d'Oise) ; Loïck Rauscher-Lauranceau (75 - Paris) ; Sébastien  Ricordel  (76 - Seine-Maritime) ; Eliott Roig (42 -Loire) ; Anzil Tajammal (59 - Nord) ; Abdelghani  Youmni (99 - Français de l'étranger) ; Pierre-Karl  Zahner  (59 - Nord)


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