Pour une politique publique sportive ambitieuse

Lundi 22 mars 2021

Maxime Sauvage, secrétaire national à la Jeunesse et aux Sports

Vendredi dernier, l’Assemblée nationale a adopté, avec 31 votes « pour » (2 votes « contre » et 5 abstentions), la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France portée par la majorité parlementaire.

Avec un tel intitulé, nous pouvions nous attendre à un texte exposant une vision claire de la place du sport dans notre société et promouvant une ambition nette en matière de politique publique sportive ; et ce dans un contexte où le monde du sport est durement frappé par la crise et alors que nous arrivons à bientôt trois ans des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

En réalité, les députés ont eu à examiner un texte sans vision ni ambition, initialement composé de douze articles seulement, que certains ont qualifiés de « poids plume » voire de « poids paille » pour rester dans le registre de la boxe. Si la proposition de loi compte désormais vingt-sept articles, à l’issue de sa première lecture à l’Assemblée nationale, nous restons en présence d’un texte déconnecté des enjeux actuels, incantatoire et sans moyens supplémentaires pour les acteurs du sport.

L’évolution du Comité national olympique et sportif français (CNOSF) sur ce texte illustre bien la déception du mouvement sportif. En janvier, il se félicitait de « ce travail de construction conjointe entre les parlementaires et les représentants du Mouvement sportif » qui « constitue une première ». Désormais, le CNOSF parle de « premières déceptions ressenties à l’issue de l’étude en commission » et, à l’issue de la séance publique, de « méconnaissance totale du fonctionnement fédéral », de « représentations caricaturales » et conclut en soulignant que « l’engagement associatif ne se décrète pas, il s’accompagne, il s’encourage, il se respecte ».

De la grande loi « sport et société », jamais arrivée, à la proposition de loi « poids plume »

La proposition de loi adoptée vendredi dernier n’aurait jamais dû voir le jour. Fin 2017, la ministre des Sports, alors Laura Flessel, avait annoncé pour le début de l’année 2019 une grande loi « sport et société », « visant à encourager la pratique pour tous et partout, tout au long de la vie. Une loi pour le sport du quotidien, le sport plaisir, le sport-santé, le sport éthique ». Ce projet de loi, qui avait fait l’objet d’une grande concertation et de plusieurs groupes de travail, n’a finalement jamais vu le jour, alors même que sa présentation avait également été annoncée à plusieurs reprises par Roxana Maracineanu.

Faute de projet de loi, plusieurs députés de la majorité ont alors été à l’initiative de propositions de loi, jamais inscrites à l’ordre du jour de l’Assemblée nationale sur la décision du gouvernement et du groupe majoritaire.

C’est donc finalement la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France, déposée le 26 janvier dernier, qui a fini par se frayer un chemin dans le calendrier parlementaire. Son mérite est d’être le plus petit dénominateur commun au sein de la majorité sur les sujets relatifs au sport.

Avec trois rapporteurs pour douze articles (ce qui doit constituer un record au Parlement), ce texte a vraisemblablement servi à soigner les ego de certains députés de la majorité, s’étant rêvés secrétaire d’État chargé des Sports ou rapporteur de l’ex-future grande loi « sport et société ».

S’il fallait une illustration du peu d’intérêt que représente ce texte aux yeux du gouvernement, ce serait le calendrier de son examen en séance à l’Assemblée nationale. Étalé sur trois jours, cet examen a été saucissonné au milieu de cinq autres textes, hachant les débats et altérant leur qualité.

Une proposition de loi vouée à rester minimaliste

Avec un quasi-triplement de son nombre d’articles à l’issue de sa première lecture à l’Assemblée nationale, la proposition de loi visant à démocratiser le sport en France s’est étoffée. Néanmoins, si le texte a gonflé en volume, il n’a pas gagné en densité.

Au-delà du manque de volontarisme politique réel et sans surprise de la majorité, cette situation s’explique aussi par les pratiques du président de l’Assemblée nationale et de ses services, qui ont fait le choix d’appliquer de manière exagérée les règles de recevabilité des amendements. Ainsi, de très nombreux amendements n’ont pas pu être examinés en raison soit de leur impact présumé sur les finances publiques, soit de leur absence de lien direct et même indirect avec les articles de la proposition de loi.

Concrètement, tous les amendements visant à donner des moyens supplémentaires aux acteurs du sport, et notamment du sport amateur, ou abordant des thèmes comme l’éducation physique et sportive, le soutien au bénévolat, la lutte contre les discriminations ou la sédentarité, le développement du sport féminin ou des parasports et la reconversion des sportifs de haut niveau ont été déclarés irrecevables.

Le vote « pour mais » du groupe Socialistes et apparentés à l’Assemblée nationale

Les vingt-sept articles de la proposition de loi adoptée vendredi vont donc globalement dans le bon sens. C’est pourquoi le groupe Socialistes et apparentés a voté ce texte.

Toutefois, ce vote « pour » ne doit pas masquer la frustration exprimée par les députés du groupe Socialistes et apparentés, et notamment le responsable du texte, Régis Juanico, tout au long de son examen.

Les députés socialistes souhaitaient instaurer un « 1 % sport » sur le modèle du « 1 % culture » ; renforcer les missions de la Conférence permanente du sport féminin ; favoriser la pratique d’activités physiques et sportives dans le cadre de l’entreprise ; rembourser le sport sur ordonnance ; encourager le bénévolat ; redonner ses lettres de noblesse à l’éducation physique et sportive ; favoriser l’accessibilité des équipements sportifs (en matière de handicap comme en matière de mixité) ; fixer un seuil d’âge à 70 ans pour la présidence d’une fédération ; renforcer la place des sportifs de haut niveau dans la vie des fédérations sportives délégataires ; créer un statut du sportif en reconversion ; mettre en place le Pass’sport d’ici juin avec un budget doublé et ciblé sur les 6-18 ans (25 ans pour les jeunes en situation de handicap) ; rehausser de 60 % à 80 % le plafond de réduction fiscale des dons aux associations sportives pour encourager le mécénat ; transformer une partie du coût des adhésions et licences en dons donnant lieu à un crédit d’impôt pour réduire l’hémorragie du nombre d’adhérents ; relever le plafond des trois taxes affectées au financement de l’Agence nationale du sport ; ou encore abonder les crédits du fonds de solidarité à destination des associations sportives via la mise en place d’un mécanisme d’arrondi à l’euro supérieur pour tout achat d’un article de sport.

Oui, le sport est une activité essentielle !

Avec ces propositions, les Socialistes ont souhaité apporter des réponses aux enjeux structurels et aux défis conjoncturels auxquels fait face le monde du sport.

D’une part, ces mesures auraient permis de porter le soutien financier au sport français à hauteur d’un milliard d’euros. Après tout, le sauvetage du sport, et notamment du sport amateur, vaut bien 1 % du plan de relance. D’autre part, ces mesures prônent une politique publique sportive transversale, en lien avec les problématiques de son époque, avec une dimension collective, solidaire, éducative, culturelle, citoyenne, démocratique, émancipatrice, sanitaire et économique.

En résumé, pour les Socialistes, le sport est une activité essentielle. Or force est de constater que ce n’est pas la vision du gouvernement depuis le début de la crise.

À vrai dire, ce constat n’est pas une surprise, tant les décisions prises au sommet de l’État depuis bientôt quatre ans traduisent une absence de vision sur la place du sport dans notre société et d’ambition en matière de politique publique sportive.

Dès l’été 2017, la suppression massive d’emplois aidés a mis en difficulté de nombreuses associations sportives qui maillent nos territoires. Le recours à des artifices comptables chaque automne pour gonfler les crédits du budget du ministère des Sports ou masquer leur réduction, la tentative de remise en cause du modèle des conseillers techniques sportifs ou encore la disparition à l’été dernier d’un ministère de plein exercice en sont d’autres illustrations.

Autre exemple récent : il aura fallu que le gouvernement s’y prenne à trois reprises pour arrêter son plan de relance à destination du mouvement sportif et plus généralement du secteur du sport. Or ce plan de relance manque sa cible, faute de moyens suffisants et de dispositifs spécialement conçus pour faire rebondir la pratique sportive à l’issue de la crise.
Ne soyons pas dupes, le gouvernement n’a qu’un objectif : démanteler progressivement le service public du sport. Nous, Socialistes, avons un projet inverse : porter une politique publique sportive ambitieuse.

 


Annexes


Dans sa version actuelle, la proposition de loi compte vingt-sept articles répartis en trois titres :

  • Titre Ier : Développement de la pratique pour le plus grand nombre (12 articles)

  • Titre II : Renouvellement du cadre de la gouvernance des fédérations, de leurs instances déconcentrées, des ligues professionnelles et des organismes de représentation et de conciliation (9 articles)

  • Titre III : Modèle économique sportif (6 articles)

Au sein du titre Ier, deux articles ont trait au sport-santé :

  • L’article 1er introduit la pratique d’activités physiques et sportives dans les missions des établissements et services médico-sociaux mais ne donne aucun moyen supplémentaire à ces établissements pour les mettre en place.

  • L’article 1er bis élargit la possibilité de prescrire du sport sur ordonnance aux personnes présentant des facteurs de risques ou étant déjà atteints d'une maladie chronique, sans pour autant prévoir un remboursement par la sécurité sociale.

S’agissant de l’accès aux installations et équipements sportifs :

  • L’article 2 oblige d’aménager un accès indépendant à ces équipements en cas de construction d’un nouvel établissement scolaire. Là encore, aucun moyen n’est prévu pour accompagner les collectivités qui auront la charge de réaliser ces aménagements.

  • L’article 2 bis instaure le principe d’un recensement par académie des locaux et équipements susceptibles de répondre aux besoins de l’enseignement de l’éducation physique et sportive. La majorité aurait été mieux inspirée de rénover le recensement des équipements sportifs mis en place au début des années 2000.

Concernant la définition des politiques sportives à l’échelon local :

  • L’article 3 donne la possibilité aux communes ou aux établissements publics de coopération intercommunale d’établir, en associant de très nombreux acteurs, des plans sportifs locaux afin de formaliser et d’ordonner les orientations et actions visant à la promotion et au développement de la pratique des activités physiques et sportives sur leur territoire. Dans les faits, ce travail en commun est déjà possible et l’article 3 risque de complexifier les choses.
  • L’article 4 élargit le périmètre des projets sportifs territoriaux mis en place par les conférences régionales du sport qui devront désormais traiter des questions relatives aux savoirs sportifs fondamentaux, au sport-santé, à l’intégration sociale et professionnelle par le sport et à la promotion de l’inclusion et le développement des activités physiques et sportives adaptées aux besoins particuliers liés à l’identité de genre des personnes. Cet élargissement du périmètre des projets sportifs territoriaux est une bonne chose, mais rappelons que la plupart des conférences régionales du sport n’ont pas encore été installées.

Le titre II comprend plusieurs dispositions positives pour apporter renouvellement et parité au sein des instances dirigeantes des fédérations :

  • L’article 5 impose la parité au sein des instances dirigeantes des fédérations sportives agréées et de certaines instances de leurs organes régionaux.

  • L’article 6 assure aux associations sportives de représenter au minimum 50 % du collège électoral et 50 % des voix au sein des assemblées générales électives des fédérations sportives.

  • L’article 7 plafonne à trois mandats le nombre de mandats pouvant être exercés par un président de fédération sportive agréée, un président d’organe régional de fédération sportive agréée et un président de ligue professionnelle.

  • L’article 8 élargit la liste des dirigeants au sein des fédérations obligés de déclarer leur situation patrimoniale et d’établir une déclaration d’intérêts auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.

Toutefois, toutes ces mesures ne s’appliqueront qu’en 2024 (ou 2022 pour les fédérations de sports d’hiver), lors du prochain renouvellement des instances fédérales. Si ces dispositions avaient été votées l’année dernière, elles auraient pu entrer en vigueur dès le renouvellement opéré cette année.

Le titre III regroupe des articles très différents :

  • L’article 9 donne une existence législative à la plateforme nationale de lutte contre la manipulation des compétitions sportives qui a été installée en 2016.

  • L’article 10 durcit les moyens de lutte contre la retransmission illicite des manifestations et compétitions sportives, via l’institution d’une nouvelle procédure judiciaire dite « dynamique » pour le blocage, le retrait ou le déréférencement des sites retransmettant illégalement une compétition sportive diffusée en direct. Cette ordonnance dynamique, véritable innovation juridique, ne manquera pas de susciter l’intérêt du Conseil constitutionnel.

  • L’article 10 bis A permet aux ligues professionnelles de créer une société commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation audiovisuelle, avec la possibilité pour des investisseurs privés de posséder jusqu’à 20 % du capital. Cet article, qui n’a fait l’objet d’aucune étude d’impact et qui est vu par certaines comme une solution miracle pour sortir de la crise des droits TV du football français, suscite l’opposition de tous les présidents des fédérations ayant une ligue professionnelle hormis le président de la Fédération française de football.

  • L’article 11 autorise une société sportive à prendre la forme d’une société coopérative d’intérêt collectif (SCIC). Il est toutefois important de souligner que certains clubs n’ont pas attendu la loi pour le faire. Le Sporting Club Bastia a par exemple pris la forme d’une SCIC depuis 2017.


Le groupe socialiste et apparentés est à l’origine de certains amendements adoptés qui ont amélioré le texte :

  • Imposition de la parité au sein du bureau du Comité national olympique et sportif français. L’instance représentante du mouvement sportif français se doit d’être exemplaire sur ce type de sujets (article 5 bis A) ;

  • Obligation pour les ligues professionnelles de recueillir l’accord de leur fédération avant de créer une société commerciale pour la commercialisation et la gestion des droits d’exploitation audiovisuelle. Cet accord permettra aux fédérations d’avoir leur mot à dire sur un sujet d’importance majeur (article 10 bis A) ;

  • Possibilité donnée aux clubs sportifs constitués en SCIC de bénéficier du concours de l’Agence nationale du sport pour leurs actions contribuant au développement de l’accès à la pratique sportive, au sport de haut niveau et à la performance sportive (article 11).

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