Psychologues humanistes, psychologues socialistes


Thème : Psychologie en politique - bien-être des élus, permanents, militants


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Article 2 : La mission fondamentale de la·du psychologue est de faire reconnaître et respecter la personne dans sa dimension psychique. Son activité porte sur les composantes psychologiques des individus considérés isolément ou collectivement et situés dans leur contexte. 1

 

Introduction

Notre société est aujourd’hui face à de nombreux défis et un mal-être grandissant. L'extrême droite est aux portes du pouvoir, l'abstention est de plus en plus importante, et la confiance dans les femmes et les hommes politiques n'a jamais été aussi basse. L’angoisse des lendemains vient rencontrer une situation internationale toujours plus instable. Quelles solutions pour répondre à ces urgences sociales et démocratiques? Quelles grilles de lecture peuvent nous orienter en politique ? Comment faire du monde politique un lieu d'épanouissement pour pouvoir demain changer la vie des gens ? Comment combattre les idées d'extrême droite et le populisme ? La psychologie nous permet de comprendre les ressorts utilisés pour enflammer le débat public. Beaucoup jouent sur les émotions humaines, utilisent l’angoisse comme carburant, la peur comme véhicule, se saisissant d’un fait divers dramatique pour faire passer quelques idées ou textes de loi. La psychologie, science humaine, doit inspirer la politique pour soigner notre Humanité et non pour manipuler le plus grand nombre. Nous défendons l’humain dans notre travail de psychologue mais également dans notre engagement politique. En tant que psychologues nous devons prendre position pour la défense de notre démocratie et toutes les femmes et les hommes qu’elle concerne et engager un travail d’amélioration des pratiques politiques orienté par la psychologie. Le spécialiste doit renoncer à son autarcie lorsque l’histoire frappe à sa porte.”2 nous rappelle Raphael Llorca et Jérémie Peltier. Nous prenons donc notre responsabilité pour “diagnostiquer le présent”3 mais aussi le Parti Socialiste.

1. Eros contre Thanatos

La psychanalyse et notamment Freud nous permet de réfléchir au malaise actuel de notre société. L’absence de vie, la pulsion de mort contenues dans le message de l'extrême droite doit nous pousser à promouvoir un combat pour la vie. La pulsion de mort saisit et empêche, tout du moins met à mal toute possibilité de mise en mouvement dans un monde de plus en plus imprévisible. L'arrêt sur image ou le passage à l’acte sont des symptômes de notre modernité. Le langage et le désir n’étant plus utilisés pour appréhender les sujets sociétaux .

“Cette pulsion agressive est la descendante et la représentation principale de l'instinct de mort que nous avons trouvé à l'œuvre à côté de l'Eros et qui se partage avec lui la domination du monde. Désormais la signification de l'évolution de la civilisation cesse à mon avis d'être obscure : elle doit nous montrer la lutte entre l'Eros et la mort, entre l'instinct de vie et l'instinct de destruction, telle qu'elle se déroule dans l'espèce humaine. Cette lutte est, somme toute, le contenu essentiel de la vie. C'est pourquoi il faut définir cette évolution par cette brève formule : le combat de l'espèce humaine pour la vie » .” Freud

- Malaise dans la civilisation

Le texte de Freud n’a jamais été autant d’actualité alors qu’il a été écrit en 1929. Comment ce combat pour la vie peut se traduire dans notre engagement politique?

Militer avec joie , faire de l’instinct de vie notre arme la plus puissante, danser, chanter, investir l’espace public. Notre militantisme, notre vision de la politique doivent porter un message d’espoir, de joie et de possibilités. Changer la vie de nos concitoyens ne sera possible qu’à travers le combat pour l’instinct de vie. L’espoir et la fraternité comme remparts humanistes pour apaiser l’angoisse et renforcer le lien social. Le combat pour la vie en commun s’inscrit aussi dans les actions concrètes qui favorisent la fraternité et le renforcement du lien social. Retournons sur le terrain ! Nos actions associatives mais aussi les actions des élus sont à réfléchir à travers ce prisme, des actions qui viendront retisser les liens d’une humanité apaisée.

L’écoute, l’observation clinique sont des outils du psychologue, notamment du psychologue clinicien ; clinicien vient du grèc “Kline” qui signifie “le lit”, c'est-à-dire que le psychologue clinicien vient au chevet du malade pour comprendre ces symptômes en lien avec ses connaissances en psychopathologie. Inspirons-nous de cette pratique pour proposer une politique clinicienne, qui viendra au chevet des français.es et des politiques.

2. la psychologie comme grille de lecture politique

Promouvoir la psychologie en politique comme corpus idéologique mais également comme méthodologie dans notre parti afin de garantir en son sein le bien-être pour tous. La psychologie peut venir en aide théorique pour comprendre la montée de l'extrême droite et les difficultés inhérentes à notre société mais la psychologie doit aussi insuffler une manière d’être, une vision du bien-être de tous. L’engagement politique doit être source de bien-être, permettre un sentiment d’utilité. Aujourd’hui cela n’est pas toujours le cas, les relations entre militants, élus et permanents sont parfois source de tensions, de difficultés de communication et même parfois de violence tant les enjeux de pouvoir y sont inhérents. Une bonne partie des nouveaux adhérents ne renouvellent pas leur adhésion au parti après un an passé dans l’organisation. Une certaine fatalité est parfois présente : “la violence fait partie de la politique”, “c’est comme ça, c’est un milieu difficile”. L’engagement apparaît comme un choix parfois sacrificiel par rapport à son bien-être personnel, là se dresse la barrière de l’engagement.

Comment peut-on penser que la violence est un mal nécessaire ? Comment promouvoir une société plus juste et apaisée en utilisant des méthodes stressantes voire violentes? Comment proposer des actions au plus près du peuple quand sa propre psyché est impactée par, parfois, des années de rapports violents, au sein de son propre parti ? Changer la vie des gens est un combat mais le combat doit être dirigé vers les idées que nous combattons, et non reproduit dans nos propres comportements . La violence ne peut plus faire partie du logiciel de notre parti. Nous devons défendre un fonctionnement sain et apaisé qui apporte à tous du plaisir et de l’épanouissement. Les permanents et collaborateurs d’élus sont parfois face à des fonctionnements et des comportements qui génèrent du stress et du mal-être. Les périodes d'élection sont des moments intenses qui peuvent générer beaucoup de fatigue et d’anxiété. La politique de lutte contre les violences sexuelles et sexistes doit être renforcée. Nous devons prendre soin de toutes et tous, de nous, des autres, et être vigilants. Nos élus doivent être exemplaires dans la gestion managériale des équipes, leur rapport à soi, aux autres et au monde. Nous ne pouvons pas cautionner des comportements qui pourraient porter un préjudice moral ou psychologique à des salariés engagés dans notre parti. Nous devons être exigeants, et cohérents avec les valeurs que nous défendons.

La question de la santé mentale des élu.e.s est également peu prise en compte actuellement. Pourtant les démissions des élu.e.s notamment locaux sont de plus en plus fréquentes. Les études récentes sur le sujet évoquent une souffrance psychique chez des élu.e.s en lien avec une charge de travail de plus en plus importante et des incivilités ou des violences envers les élu.e.s. Il est donc nécessaire de prendre cette question au sérieux et de proposer une réflexion sur le sujet.

Un chantier sur le bien-être psychologique des élu.e.s, militant.e.s, permanent.e.s et collaboratrice-eurs doit être engagé. Il faut porter un diagnostic précis et mettre en place un plan d’action, une charte du bien-être socialiste et des outils concrets (questionnaire, formations, observation des pratiques etc) mais également des

procédures de sanction en cas de manquement à ces principes. La santé mentale de toutes et tous est un gage de fonctionnement efficient de notre parti. Particulièrement en cette année de santé mentale comme grande cause nationale. Les politiques la pense pour la société mais les personnes investies en politique sont avant tout des humains et ne peuvent être exempts des causes qu’ils s’engagent à défendre.

3. Les psychologues à renforcer dans tous les services publics

Presque dix ans de macronisme ont mis à terre nos services publics. L’arrivée de l'extrême droite en France ne pourrait qu’aggraver l’état des services publics et plus précisément la prise en charge des soins psychiques. Psychologues, nous assistons depuis quelques années à une augmentation du mal-être psychique chez les enfants, adolescents et adultes que nous recevons. Socialistes, nous sommes engagés dans la défense des services publics. Les psychologues sont présents dans toutes les fonctions publiques mais en nombre insuffisant et avec un salaire trop bas. Les psychologues de la fonction publique hospitalière débutants gagnent aujourd’hui moins qu’une infirmière. Les derniers projets, portés notamment par

F. Bellivier (délégué ministériel à la santé mentale) essaient de laisser croire que pour cette revalorisation salariale il nous faudrait davantage de formation, mais de manière factuelle, aujourd’hui, dans la FPH, un bac + 5 est moins rémunéré qu’un bac +3.

Les psychologues sont présents dans les écoles, les crèches, les entreprises, les prisons etc. Leurs professions restent souvent mal connues, mal reconnues et pourtant il s’agit d’un métier essentiel. Le métier de psychologue est protégé par un titre qui nécessite une licence de psychologie, un master de psychologie et un minimum de 500 heures de stage et est régi par un code de déontologie. Les psychologues ont des orientations théoriques diverses et des parcours différents de formation (la psychologie clinique, la psychopathologie, la psychologie du développement, la psychologie sociale, la neuropsychologie etc). Les psychologues ont aussi des courants, ce qui génèrent fréquemment des tensions entre les différentes chapelles théoriques. Finalement entre la psychologie et le socialisme les ressemblances sont nombreuses.

Nous devons prendre soin des français et leur permettre de trouver dans chaque service public un nombre suffisant de psychologues. Nous devons également être vigilant quant à tous ces projets en cours, car oui, si l’on parle davantage des psychologues depuis la crise COVID, certaines annonces gouvernementales sont inquiétantes: création d’un psychologue de la santé (inféodé au médical), création d’un ordre, une deuxième brique au dispositif mon soutien psy (afin que les psychologues puissent accueillir des problématiques plus lourdes). La psychologie est une discipline des sciences humaines et n’a pas vocation à être médicale, les psychologues sont formés et reçoivent, accueillent et accompagnent la souffrance humaine dans toutes ses formes y compris les formes pathologiques. Laisser croire aux psychologues que pour être pris

au sérieux et reconnu elle doit devenir une filière médicale et régulée par un ordre c’est mépriser leur formation et le travail qu’ils font tous dans la multiplicité et dans la diversité de leur pratique et actions. Une science humaine telle que la psychologie ne peut pas tomber dans le néolibéralisme qui gangrènent notre société.

Conclusion

“ Le socialisme intégral, où le socialisme n’apparaît pas comme une étroite fraction mais comme l’humanité elle-même, comme l’image de l’humanité... ”4

La prise en compte du bien être psychologique doit se penser dans un double mouvement. Pour qu’une société aille bien et reste démocratique, elle a besoin d’élu·e·s, de militants·e· et de permanent·e·s qui prennent soin de leur santé mentale. Les rapports de pouvoir, d'annihilation de l’autre et de sa diabolisation prennent bel et bien leur source aux confins de la psyché humaine individuelle pour devenir groupale puis sociétale. Les socialistes ont dans leurs ADN un humanisme qui peut permettre de dégager un autre chemin. Nous portons une résolution “ de rechercher dans des voies nouvelles les remèdes de la crise qui l'accable (la société), le soulagement de souffrances et d'angoisses que leur durée rend sans cesse plus cruelles, le retour à une vie active, saine et confiante.” 5 La mise en pensée propre aux psychologues pourrait être une belle façon de ré-impulser de la pulsion de vie en commun, si tant est que l’on commence à les reconnaître et à ne plus les mépriser. Pour prendre soin de la santé mentale de tous, commençons par prendre soin de la nôtre !

 

Je signe la contribution : https://forms.gle/s4UYeBWp2XxFH4Rk6

 

1 2021 - code de déontologie des psychologues

2 04-2024 - Raphaël Lloca et Jérémie Peltier - Une série pour penser collectivement notre époque in Sur la fièvre, Enseignements politique d’une série - Fondation Jean Jaurès.

3 Michel Faucault

 


Contributrices :

Ingrid Berthou (29) - Psychologue clinicienne, Animatrice de la circo 2906, déléguée fédérale à la formation

Salima Bouhouche (83) Psychologue clinicienne, militante à la section de la Seyne sur Mer / Six fours


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