– Jeudi 16 décembre 2021
Yannick Trigance, secrétaire national à l'École, à l'Éducation et à l'Accès aux savoirs
À l'aube d'une campagne présidentielle qui n’a pas encore placé la question de l'éducation au cœur des débats et après avoir tout récemment publié un rapport néolibéral sur la question des remplacements — préconisant notamment de revenir sur les obligations réglementaires de service en annualisant les services d'enseignement, d'installer la bivalence, de supprimer les accords PPCR et de faire évaluer les enseignants par les chefs d'établissement — la Cour des comptes publie une nouvelle note qui préconise une « réorganisation » complète de l'École et du métier d'enseignant.
Pour mieux faire passer des mesures qui démantèlent plus encore le service public d'enseignement, la Cour des comptes ne fait pas dans la dentelle : « En dépit d’une dépense nationale d’éducation supérieure à la moyenne de l’OCDE, la performance du système scolaire français tend à se dégrader, en particulier pour les jeunes issus des milieux défavorisés... Pourtant, les pistes d’une meilleure adaptation de l’école aux besoins des élèves existent ».
Quelles sont donc ces « pistes » avancées par la Cour des comptes ?
Supprimer des postes d'enseignants : au moment où les remplacements ne sont plus assurés dans nos écoles, collèges et lycées — véritable rupture de l'égalité dans l'accès aux savoirs — au moment où le ministre Blanquer décide de ponctionner plus de 8 000 postes dans le second degré, en particulier dans les lycées professionnels pour mettre en place les dédoublements des CP et des CE1 en éducation prioritaire, la Cour des comptes considère qu'avec moins d'enseignants nos élèves réussiront mieux !
Augmenter les heures supplémentaires : alors que le second degré subit une véritable saignée de postes à l'issue du « quinquennat Blanquer », la Cour des comptes préconise d'augmenter les heures supplémentaires. On voit là la méconnaissance totale de la réalité de la vie des établissements au sens où le ministre Blanquer multiplie depuis 5 ans des heures supplémentaires qui ne trouvent pas preneurs, les enseignants étant déjà par ailleurs totalement submergés dans un contexte sanitaire harassant.
L'autonomie, encore et toujours : brandie comme la panacée qui règlerait tous les problèmes, la fameuse « autonomie » vise notamment à permettre aux chefs d'établissement de recruter et d'évaluer les enseignants. On retrouve ici le « New Public Management » cher au ministre Blanquer qui, là où il est mis en place comme en Suède, en Angleterre ou aux Pays-Bas avec une autonomie poussée des établissements et des pouvoirs accrus des chefs d'établissement, a donné des résultats extrêmement décevants.
La dérive néolibérale engagée par l'actuel gouvernement se trouve donc confortée par la Cour des comptes qui, de surcroît, ne se prive pas de travestir la réalité avec des assertions approximatives.
En effet, il est, par exemple, inexact de dire que la France dépense plus que les autres pays pour l'éducation. Si la France dépense un peu plus que la moyenne OCDE pour chaque élève — 11 201 $ contre 10 454 $ pour l'OCDE en 2018 —, tous les autres grands pays développés — mis à part le Japon — dépensent plus que la France.
Au final, notre école publique n'a nul besoin d'annualisation des services, d'inflation des heures supplémentaires, d'autorité des chefs d'établissement sur les enseignants, de pilotage par les résultats, d'autonomie sous forme d'une gouvernance descendante et injonctive.
Bien au contraire, le droit à l'éducation, la démocratisation de la réussite nécessitent une politique volontariste qui redonne à notre enseignement public toute sa place et sa légitimité. Formation initiale et continue, revalorisation, amélioration des conditions de travail, autonomie pédagogique propice aux apprentissages : l'exact contraire des préconisations de la Cour des comptes et de la politique de l'actuel ministre Blanquer.