Référendum de 2005 : 20 ans après, reconnaître l’erreur pour renouer avec les classes populaires

Thème : Classes populaires


 

Référendum de 2005 : 20 ans après, reconnaître l’erreur pour renouer avec les classes populaires.


Le 29 mai 2005, Jacques Chirac soumet à la volonté des Françaises et des Français, par voie référendaire, la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE). Le peuple dit non à ce texte. Ce moment fut celui de la rupture notre Parti et les classes populaires, qui constituaient autrefois notre électorat et sans lesquels nous n’avons pas de raison d’être politique. L’adoption du Traité de Lisbonne en 2008 par un vote en ordre dispersé de nos groupes parlementaires puis notre acceptation dans les faits d’une Union européenne libérale ont confirmé cette rupture.
Vingt ans après le référendum de 2005 et alors que nous tentons de renouer des liens sincères avec cette France que nous avons négligée, il est indispensable de reconnaître l’erreur qui fut la nôtre pour mieux la réparer.

1/ Un traité libéral rejeté par 55 % des Françaises et des Français
Le Traité constitutionnel européen signé en 2004 à Rome par les chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne attendait d’être ratifié par les Parlements nationaux. La France, elle, a choisi la voie référendaire. Ce texte consolidait la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des personnes, et renforçait la concurrence libre et non faussée. Ce n’était pas le premier dans ce cas, mais la volonté de le désigner comme constitutionnel revenait à graver dans le marbre l’indépendance de la BCE. Donner ainsi la priorité à la lutte contre l’inflation plutôt qu’à la croissance ou à l’emploi revenait en un mot à rendre les institutions européennes irrémédiablement libérales. Nombreux furent les Socialistes à comprendre que la libéralisation des services, l'augmentation des délocalisations et la moins-disance sociale se trouveraient grandement facilitées par ce texte ; mais ils ne furent pas majoritaires dans le Parti. Les opposants au texte comprenant en grande partie les classes populaires, eux, le furent au moment du vote.


La prescience populaire sur l’orientation prise par l’Union européenne ne datait pas de 2005. Selon l’Eurobaromètre, dès 2003, 86 % des Françaises et des Français craignaient que l’UE ne favorise les délocalisations vers des pays où la production était moins chère. Au fil des années, une corrélation entre l’opinion des Françaises et des Français sur l’appartenance à l’UE et l’évolution du taux de chômage en France est apparue. Ces deux tendances semblent évoluer de manière conjointe : lorsque le taux de chômage est bas, le sentiment d’appartenance à l’UE augmente, et inversement, lorsque le chômage augmente, le sentiment d’appartenance à l’UE diminue (1). L’histoire, semble-t-il, leur a donné raison. En effet, les conséquences d’une mondialisation débridée étaient déjà bien visibles en 2004, lorsque ce traité a été signé. Pourtant, certains socialistes ont persisté à dire qu’il valait mieux un compromis que la blocage institutionnel dans lequel le TCE avait laissé l’UE. Vingt ans après, nous savons que la déconnexion des élites françaises en 2005 a plongé une partie de nos concitoyens dans une défiance profonde des institutions, favorisant ainsi les populistes.


Cette défiance généralisée a touché également les corps intermédiaires, au premier rang desquels les partis de gouvernement. Au sein de notre Parti de nombreux débats ont eu lieu l’année précédant le vote. Les décisions qui en ont découlé ont rendu le discours confus et inaudible pour l’électorat. Lors du vote interne de décembre 2004, 59 % des militants socialistes ont voté “oui”, confirmant l'inscription du Parti dans la continuité du libéralisme européen des années 1980, alors même que la majorité des syndicats, des électeurs et sympathisants de gauche voyait dans ce traité la matrice d’une dégradation de leurs conditions de travail et de vie. En outre, en mars 2005, soit deux mois avant le référendum, François Hollande et Nicolas Sarkozy, dirigeants des deux plus grandes formations politiques du moment, posaient ensemble, et tout sourire, pour la couverture de Paris Match afin de défendre une position politique commune : le “oui” au libéralisme européen.
Contrairement à ce qu’on prétendu trop d’analystes et de responsables politiques, en 2005 comme en 1992 (référendum de Maastricht) les électeurs ont bien répondu à la question posée. Le 29 mai 2005, 55 % des Françaises et des Français choisissaient de dire “non” au TCE.

2/ Une sociologie du “non” qui dit l’éloignement du PS des classes populaires (2)
Le résultat de ce référendum et les décisions politiques qui ont suivi sont doublement éclairants. D’une part, le profil sociologique des partisans du “non” est révélateur de l’anticipation des conséquences du traité par et pour les plus précaires. Selon des données de l’IPSOS, 79 % des ouvriers, 70 % des agriculteurs et 67 % des employés ont voté “non” en 2005, tandis que seulement 35 % des professions libérales et cadres supérieurs s’y sont opposés. De plus, 72 % des votants sans diplômes et 65 % des votants ayant obtenu un CEP/BEP/CAP ont soutenu le “non”, contre seulement 35 % des titulaires d’un Bac+3. En bref, la bourgeoisie culturelle et la bourgeoisie économique se sont alliées face aux délaissés, à ceux que l’on appelle les perdants de la mondialisation.


L’électorat socialiste a été le parti de gauche le plus fracturé sur la question, puisque 56 % de ses électeurs ont voté “non” au référendum, contre 98 % pour le Parti communiste français, 94 % pour l’extrême gauche et 60 % pour les Verts. La répartition géographique du vote témoigne également de la rupture entre deux France qui se sont opposées lors de cette échéance politique : alors qu’en Île-de-France le “non” plafonne à 46 %, il atteint près de 65 % dans des régions victimes de la désindustrialisation (Picardie, Nord-Pas-de-Calais, Haute-Normandie, etc.). Ces mêmes régions qui offrent vingt ans après ses meilleurs scores au Rassemblement national.


Le défi au lendemain du référendum était donc pour les Socialistes de combler le fossé entre les 41 % de militants socialistes initialement opposés au Traité et les 55 % des Français qui l’ont effectivement rejeté (3). Depuis 2005, ces 13 points, au lieu d'être réduit par notre travail militant, ont au contraire augmenté. Probablement parce que nous n’avons jamais reconnu notre erreur, ce qui nous a empêché de véritablement la réparer. Ce travail est toujours devant nous.

3/ Réparer 2005 : aux Socialistes rien d’impossible
En 2007, le Président de la République Nicolas Sarkozy soumet au Parlement le “traité simplifié” visant à faire adopter la substance du TCE, sans consulter les Françaises et les Français. Ce qu’ils n'ont pas avalé par voie référendaire leur serait donc imposé par leurs représentants. La similitude entre le TCE et ce traité de Lisbonne n’est pas une vue de l’esprit. Elle fut confirmée par plusieurs dirigeants européens dont Angela Merkel qui affirmait : “la substance de la Constitution est maintenue” (4). Ce traité était donc bien une Constitution européenne bis.

À l’Assemblée nationale, les députés socialistes ont déposé une motion lors de l’examen du projet de loi de ratification du Traité de Lisbonne le 6 février 2007 pour demander un référendum. Cette démarche, portée par Jean-Marc Ayrault ainsi que 87 membres du groupe socialiste permettait de faire respecter le vote des Français et de mettre l’UMP majoritaire face à ses responsabilités. Malheureusement, la motion fut rejetée et au Congrès à Versailles, sur 301 parlementaires socialistes, 143 s’abstinrent, 32 votèrent pour et seulement 121 votèrent contre lors du congrès. Honneur à ces derniers qui refusèrent de violer la volonté populaire. Si la démocratie directe ne consiste pas à ôter toute légitimité aux décisions assumées par les représentants, la démocratie représentative ne consiste pas à ignorer la souveraineté populaire en prenant des décisions contraires aux siennes.

Nous, Socialistes, n’avons pas su affirmer notre opposition à la doctrine libérale. Il n’est jamais trop tard pour reconnaître une faute, présenter ses excuses et se donner les moyens sincères de réparer le préjudice. Ce moment politique fut grave et eut des conséquences de long terme pour nous. Non seulement le non-respect de la volonté populaire exprimée par référendum fut un signal d’alarme sur l’état de notre démocratie, mais en plus, il a contribué à nous éloigner durablement des classes populaires. La sociologie de l’électorat du PS à l’élection présidentielle de 2017 en est une conséquence : la candidature de Benoît Hamon séduit principalement les jeunes électeurs, les cadres et professions intermédiaires, ayant un niveau de diplôme élevé. Aujourd’hui, les militants et sympathisants socialistes ne représentent plus le même électorat que celui des années 1980. Cet éloignement à la fois en termes de représentation sociologique et de choix politiques nous a fait perdre trop de crédibilité en tant que parti de gauche.

François Hollande, alors premier secrétaire, déclarait que “nous aurions négocié un autre traité si nous avions été en responsabilité”. Ironiquement, cinq ans plus tard, devenu Président de la République, il ne renégocie pas le Pacte de Stabilité et de Croissance, pourtant l’une de ses promesses électorales, refusant le rapport de force avec l’Allemagne d’Angela Merkel dès son premier mois de mandat. Cela acheva d’éloigner les Socialistes de la question sociale et inaugura un mandat avec des conséquences de long terme pour la gauche et pour sa crédibilité. Assumons aujourd’hui d’en faire l’inventaire et de présenter nos excuses aux Français pour cette forfaiture afin de pouvoir à l’avenir renouer avec sincérité et crédibilité avec les classes populaires.

(1) Didier Chabanet, Chômage et exclusion sociale : l'échec européen, Politique européenne, n°22, 2007, pp. 157-187.

(2) Gérard Grunberg, « Le référendum français de ratification du Traité constitutionnel européen du 29 mai 2005 », French Politics, Culture & Society, vol. 23, no 3, 2005, p. 128-144, [en ligne] : https://www.jstor.org/stable/42843415.

(3) Bruno Cautrès. Les clivages socio-politiques sur l’intégration européenne et le vote du 29 mai 2005. Les Cahiers du CEVIPOF, 2005, 42, pp.142 - 155. hal-01020795f

(4) Discours d’Angela Merkel devant le Parlement européen en juin 2007. https://www.touteleurope.eu/fonctionnement-de-l-ue/angela-merkel-le-traite-est-un-succes-pour-l-europe/


Contributeur : Mickaël Vallet, sénateur de la Charente-Maritime


 

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