Répondre à l’enjeu climatique, assurer notre avenir énergétique


Thème : Énergie


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Alors que nous sortons de l’été le plus chaud enregistré en Europe, que nous nous dirigeons vers un réchauffement « catastrophique » de 2,2°C selon le Programme des Nations Unies pour l’environnement et que s’est ouverte ce 6 novembre la COP 27 en Égypte, l’urgence d’agir pour maintenir une planète vivable ne peut plus rester à l’état d’incantation.

Au cœur de ce défi : nos choix énergétiques. La France doit être un exemple en la matière et ouvrir la voie vers une énergie décarbonée, souveraine et responsable. A cet effet, il est nécessaire d’associer réellement le Parlement et tous les Français à la définition de cette politique lors de la prochaine programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE). 

Ces choix et leurs impacts sur nos concitoyens sont majeurs, et ne sauraient pour autant se faire à leurs dépens. A l’heure où le pouvoir d’achat des Françaises et des Français est impacté par la crise énergétique, en particulier pour les plus fragiles d’entre eux, il nous faut l’affirmer : la sobriété énergétique doit aller de pair avec amélioration du cadre de vie.

 

Tendre vers un mix électrique 100% décarboné avec une proportion d’énergies renouvelables (EnR) en forte croissance

 

Le GIEC le rappelle dans chacun de ses rapports, l’enjeu de la prochaine décennie afin de limiter le réchauffement climatique est de sortir au plus vite des énergies fossiles. En France, elles représentent encore près de 65 % de l’énergie finale consommée.

Nos objectifs de décarbonation doivent nous permettre de tendre vers une énergie « 100% renouvelable ». Cela ne pourra passer que par un mix énergétique diversifié, composé d’éolien terrestre et en mer, de solaire, d’hydraulique, d’hydrogène, de bois renouvelable... et de nucléaire pour un temps.

Cela demande évidemment un investissement massif, tant dans l’effort d’installation que dans la recherche. Cet investissement est encore aujourd’hui insuffisant, ce qui explique que la part des EnR en France n’est que de 19% au lieu de l’objectif de 32% affiché par le gouvernement.

Le gestionnaire du réseau de transport d’électricité (RTE) estime que pour atteindre une électricité entièrement décarbonée, il nous faudrait développer massivement l’éolien en mer qui n’existe pas encore dans notre pays aujourd’hui, multiplier par 4,7 la part de solaire et par 2,3 la part d’éolien d’ici 2050.

La comparaison avec certains de nos voisins européens est ici cruelle : en raison de sous-investissements chroniques et par manque d’anticipation, nous accusons un retard de 20.000 mâts éoliens sur le territoire, alors même que cette solution est plébiscitée par 73% des Français (chiffre qui passe même à 80% chez ceux habitant à moins de 10 kilomètres d’un mât). A cet égard, la question des filières industrielles nationales doit aussi être abordée (EnR, démantèlement, etc.), sous ses dimension à la fois sociale, territoriale et économique.

Ces EnR sont néanmoins intermittentes, le solaire produisant plus en été, l’éolien plus en hiver. Il est donc nécessaire de développer des solutions de stockage de l’énergie afin de pouvoir adapter notre profil de production à celui de notre consommation.

Les technologies en expérimentation ne manquent pas : batteries, barrages, air compressé, ou encore transformation de l’excès d’énergie en hydrogène qui peut ensuite être réutilisé pour faire tourner des turbines lors des périodes de déficit.

Nous accusons, une nouvelle fois, un retard de développement comparativement à nos voisins européens sur ces solutions, et nous devons fortement repenser notre cadre réglementaire, financier et évidemment politique sur ces sujets afin d’espérer faire aboutir ces développements technologiques à moyen terme.

Cela pose également la question des enjeux liés à la maitrise publique de nos barrages hydroélectriques, à un moment où des capacités de stockage sont rendues nécessaires afin d’absorber le développement des EnR. Ces enjeux impliquent de mettre fin à la procédure en cours avec la commission européenne. Ils impliquent également de miser sur la possibilité de suréquipement sur les ouvrages existants et de développer de nouvelles stations de transfert d'énergie par pompage (STEP).

L’essentiel de nos investissements énergétiques doit donc être priorisé et orienté vers le développement de nouvelles sources d’énergie, de capacités de stockages ainsi que dans les réseaux.

 

Une sortie du nucléaire raisonnée et raisonnable

 

Notre objectif de tendre à un horizon de temps raisonnable vers un mix énergétique « 100% renouvelable » implique de prendre appui sur le nucléaire existant, prolongé sans risque quand cela est possible et sous contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN), afin de se donner le temps de la montée en puissance des EnR.

En tout état de cause, aucune sortie du nucléaire brutale et dogmatique ne saurait être admise, au risque de déstabiliser le système électrique et de faire flamber les prix.

Malgré les politiques de réduction de la consommation, l’électrification croissante des usages (mobilités, chauffage, industrie…) engendrera nécessairement une augmentation de notre consommation électrique. En période de conflit sur le territoire européen, les promoteurs d’une sortie trop rapide du nucléaire ont eu la démonstration de la conséquence induite : la dépendance au charbon ou au gaz russe. Avec des corolaires en termes d'indépendance énergétique et d'impact environnemental.

Pour autant, le nucléaire doit être envisagé comme une énergie de transition, contrairement à la vision défendue aujourd’hui par le Président de la République. L’obsession technologique aveugle et unilatérale dont ce dernier fait preuve est une impasse pour relever les défis auxquels nous faisons face.

Son obstination à investir des milliards dans les EPR2, dont on imagine mal qu’ils soient disponibles avant 2035, ou dans les SMR, qui n’existent même pas au stade expérimental, détournera des solutions renouvelables existantes un budget qui est pourtant d’utilité publique.

Le parc nucléaire actuel, qui a aujourd’hui majoritairement plus de 30 ans, doit être géré avec bon sens. D’importants travaux de maintenance et de sûreté devraient être réalisés afin de poursuivre son exploitation de façon transitoire. La durée de vie des centrales nucléaires doit être définie sous le contrôle de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) et du Parlement, et elles pourront bénéficier dans ce cadre d’investissements destinés à prolonger leur durée d’exploitation. Le parc est appelé à décroître progressivement d’ici 2050 en fonction des contraintes techniques fixées par l’ASN pour chaque réacteur.

Si la question du nouveau nucléaire mérite d’être posée, elle nécessite toutefois un débat national transparent et démocratique prenant en compte tous les tenants et aboutissants d’un tel choix, notamment quant à la priorisation des investissements énergétiques, à rebours du virage technologique doctrinaire engagé brutalement par Emmanuel Macron.

 

Vers une sobriété énergétique

 

L’action sur les économies d’énergie constitue le point d’entrée de toute politique énergétique et passe en 1er lieu par la notion de sobriété qui rassemble un ensemble de démarches qui promeuvent – à différents degrés et à différentes échelles – une modération de la production et de la consommation de ressources énergétiques et matérielles, par une transformation des modes de vie au-delà de la recherche d’efficacité.

Il est à noter que dans l’actuelle programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) si la sobriété est citée comme un enjeu, force est de constater qu’elle n’est pas traduite dans la stratégie globale, et est donc invisible.

Un point essentiel de notre projet doit donc être la diminution de nos besoin énergétiques, et ce de manière générale, ainsi qu’une modification de nos pratiques et de nos usages. La sobriété énergétique ne saurait néanmoins être synonyme de décroissance contrainte et brutale ou de détérioration de notre cadre de vie.

Ainsi, la diminution des besoins énergétiques passera évidemment par des gestes individuels, mais aussi par des investissements généralisés de la part de l’État, comme la rénovation thermique ambitieuse des logements ou encore des transports en commun compétitifs sur tout le territoire. En vérité, un modèle socio-économique de sobriété doit être proposé dans son aspect habitat/transport, fondé sur la justice sociale et l’efficacité climato-environnementale.

Le rapport de RTE dans son scénario « sobriété » indique une capacité potentielle de diminution de la consommation électrique d’au moins 14% si nous nous en donnons les moyens.

 

Pour un pôle public de l’électricité et de l’énergie

 

Cette stratégie devra s’appuyer sur un service public fort de l’énergie.

Les directives européennes de 1996 et 2003, puis la loi du 9 août 2004, ont fait d’EDF une société anonyme à capitaux publics (à près de 84 % de l’État), effaçant son statut historique d’établissement public à caractère industriel et commercial (EPIC). Celui-ci se justifiait pleinement par la nature de monopole naturel intégré et par les spécificités de l’électricité qui n’est pas, par ses caractéristiques physiques, un produit marchant comme d’autres : les moyens de production (centrales nucléaires, photovoltaïques, barrages, etc.) et de distribution (le réseau), en raison des coûts de maintenance et d’investissement, de leur impact écologique, etc., sous-tendent une planification de long terme peu compatible avec les aléas du marché.

Et c’est donc bien pour se conformer aux règles européennes du libre marché qu’un mécanisme artificiel de mise en concurrence a dû être inventé qui ne tient pas compte des spécificités de l’électricité : l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (Arenh), mis en place en juillet 2011 par la loi NOME de 2010. Il oblige EDF à céder à ses concurrents un quart (aujourd’hui un tiers) de sa production nucléaire de l’époque (plafonné à 100 TWh/an) à un prix coûtant censé refléter le prix de production, soit 42 €/MWh. Le gouvernement Fillon créait ainsi les conditions d’une chimère que le gouvernement actuel fait mine de découvrir : demander à un acteur d’un marché concurrentiel de soutenir ses concurrents…

En parallèle, les tarifs régulés de vente (TRV, le tarif bleu d’EDF), n’ont cessé d’être attaqués car perçus par les libéraux comme un frein à la « concurrence libre et non faussée » européenne. A terme, ils sont clairement menacés pour les particuliers, après leur disparition progressive pour les entreprises et les collectivités.

En réalité, cette libéralisation du système électrique était condamnée à l’échec. Critiquées de longue date, les limites de l’Arenh sont de notoriété publique : efficace dans la seule mesure où ce mécanisme a ouvert des parts de marché à de nouveaux opérateurs sans aucune valeur ajoutée pour le système global (puisqu’ils n’interviennent que sur les activités de « fourniture »), le dispositif représente surtout une régulation asymétrique pour EDF. Quand les prix de marché sont bas, EDF vend à prix bas, quand les prix de marché sont élevés ou très élevés, EDF brade.

Exemple récent du manque d’anticipation politique du gouvernement à ce sujet : le passage du plafond annuel de l’Arenh de 100 TWh à 120 TWh ainsi que son tarif de 42 à 46,20 euros/MWh. Résultat de l’opération ? 8 milliards de pertes pour une entreprise qui supporte tous les coûts d’investissement, d’entretien du réseau, d’installation de nouveaux moyens de production, etc., au bénéfice de l’ensemble du système électrique. Bilan : depuis 2007, la facture annuelle du client moyen a structurellement progressé de 57 % !

Bien que la récente annonce de la prise de participation à 100% de l’État dans le capital d’EDF soit un bon signe, il peut néanmoins inquiéter au regard de certains projets toujours dans les cartons gouvernementaux, comme le projet « Hercule » temporairement abandonné et qui menaçait d’approfondir la libéralisation du marché de l’énergie. EDF doit rester un groupe intégré, non-découplable (à la différence de ce que prévoyaient justement le projet « Hercule » ou encore le projet « Grand EDF ») et qui doit cesser de compenser les manquements de l’État à travers l’Arenh.

Les règles européennes devront donc bien être renégociées : dans le contexte de l’actuelle crise énergétique, le gouvernement semble avoir engagé des discussions au niveau européen pour réviser les modalités de calcul du prix de l’électricité. L'Union européenne peut et doit jouer son rôle en matière de solidarité et contribuer à amortir le choc économique et social, comme elle l'a fait lors de la crise du Covid 19. La France doit pousser fortement dans cette direction. Pour notre part, nous réclamons un paquet d’urgence qui permette, à l'échelle européenne, de se donner les marges nécessaires pour faire face à cette crise : suspension prolongée du Pacte de stabilité, plafonnement des prix du gaz et découplage des prix de l'électricité et du gaz.

Cette renégociation des règles européennes permettra de mettre fin à l’aberration que constitue le fonctionnement des marchés européens de l’énergie, qui ne profite qu’aux actionnaires sur le dos des consommateurs et de créer un pôle public de l’énergie qui améliorera notre souveraineté énergétique. Ce service public répondra à un principe simple : l'accès à l'énergie est un droit et non un marché.


Premiers signataires :

Marie-Noëlle Battistel, Députée de l’Isère

Christophe Clergeau, Secrétaire national à l’Europe

Alain Delmestre, Secrétaire national adjoint à la transition énergétique

Tristan Foveau, Secrétaire national à l’écologie

Nicolas Ljubenovic, Secrétaire de la section de Maisons-Laffitte

Franck Montaugé, Sénateur du Gers


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