Thème : Enseignement supérieur et recherche
L’ESR français doit être repensé à l’aune des grands défis du XXIe siècle. Recherche scientifique et enseignement supérieur sont au cœur des réponses à la crise climatique, aux transitions écologique et numérique, aux tensions démocratiques, aux menaces sanitaires et aux enjeux de souveraineté technologique. Aucune société ne peut y faire face sans s’appuyer sur le progrès des connaissances et la formation d’esprits éclairés.
En révélant la vérité et en cultivant l’esprit critique, la science est aussi une valeur démocratique essentielle, qui protège contre les idéologies, les manipulations, et permet l’émancipation.
L’enseignement supérieur doit aussi permettre à chacune et chacun de construire un parcours d’avenir, en lien avec les réalités économiques, sociales et professionnelles de notre époque. Cela suppose de mieux articuler les formations aux évolutions du monde du travail, sans céder à une logique purement utilitariste. L’université a vocation à préparer à l’insertion professionnelle tout en développant des savoirs critiques, des compétences transversales et une capacité à s’adapter dans un monde en transformation.
Le modèle actuel de l’enseignement supérieur et de la recherche (ESR) en France traverse une crise profonde, fruit de choix politiques prolongés : une crise de moyens, une crise structurelle, une crise de sens. Face à cette situation, une approche de rupture s’impose pour refonder le système sur de nouvelles bases. La refondation de l’ESR doit s’articuler autour d’une démocratisation réelle de l’accès à l’enseignement supérieur et d’un service public de l’ESR considéré comme un levier pour faire face aux défis de demain.
(Ces textes sont issus des travaux de la commission nationale ESR. Ils ne prétendent pas couvrir l’ensemble des problématiques du domaine mais jettent les premières bases d’une réflexion qui doit pouvoir être approfondie.)
I – La démocratisation réelle de l’accès à l’enseignement supérieur
La France possède un modèle singulier en Europe, combinant grandes universités financées majoritairement par des fonds publics, frais d’inscription modestes, formations courtes dans les lycées et grandes écoles sélectives adossées à un système de classes préparatoires. Depuis les années 1960, le choix de la massification des études supérieures a permis une relative démocratisation de l’accès aux diplômes, concrétisant le droit à l’éducation pour des générations d’étudiants.
Mais cette massification n’a pas fait disparaître les inégalités. Les enfants d’ouvriers restent sous-représentés dans l’enseignement supérieur, et plus on progresse dans les études, plus la part des étudiants issus de milieux favorisés augmente. Selon le Rapport public annuel de la Cour des comptes (2025), seuls 20 % des habitants des territoires ruraux étaient diplômés de l’enseignement supérieur en 2020, contre près de 32 % en moyenne en France métropolitaine.
La précarité étudiante demeure un obstacle majeur à un accès équitable aux études mais aussi à l’égalité des chances. En 2023, 24 % des 18–24 ans vivent sous le seuil de pauvreté, un chiffre qui atteint 40 % pour les étudiants ne vivant plus au domicile familial.
Bien qu’il existe un système de bourses sur critères sociaux, près de 70 % des étudiants en sont exclus et doivent subvenir à leurs besoins sans aide publique. Or les dépenses contraintes des étudiants ont fortement augmenté récemment. Pour beaucoup, il n’y a pas d’autre choix que de travailler en parallèle des études, ce qui entrave considérablement les chances de réussite de la formation voire, dans certains cas, conduit à l’abandon des études.
Pour réduire ces inégalités, et garantir un enseignement supérieur ouvert à toutes et tous, il est impératif de proposer un projet en plusieurs étapes et s’attaquant, de front, à plusieurs chantiers.
► Mise en place d’un processus transparent et démocratique d’accès
Parcoursup a été une réponse à la pénurie dans les établissements d’enseignement supérieur confrontés à l’augmentation du nombre d’étudiants dans les années 2000. La sélection par les capacités d’accueil est ainsi devenue la règle alors même que le droit d’accéder au premier cycle pour tous les bacheliers continue d’être inscrit dans la loi. Parcoursup est aujourd’hui un passage obligatoire pour tous les lycéens qui souhaitent s’orienter vers des études supérieures. Ce système est critiqué, la récente enquête du Parti Socialiste, “Notre France parlons-en” fait d’ailleurs ressortir cela de manière flagrante, la plateforme et le système qui lui est associé est dénoncée pour son opacité, le stress qu’elle engendre, ses modes de sélection et son impact sur les inégalités. Le Parti socialiste a porté la suppression de cette plateforme lors des dernières échéances électorales.
Toutefois, dire que nous souhaitons la suppression de Parcoursup ne suffit pas, car c’est une véritable refonte de l’accès à l’enseignement supérieur qui doit s’envisager. Pour cela, le processus d’accès doit être transparent avec une méthode efficace et une procédure lisible à toutes les étapes et notamment dans les prérequis de chacune des formations et les critères de recrutement (qui eux-mêmes peuvent être différents pour la même formation d’un établissement à l’autre). Cette nouvelle méthode d’accès au supérieur doit être simplifiée, les démarches actuelles sont complexes et anxiogènes pour les jeunes et leurs familles, les documents demandés trop nombreux et pour une partie d’entre eux inutiles. Enfin, toute la procédure devra être humanisée car l’automatisation excessive de l’orientation des jeunes a des conséquences directes sur leurs parcours.
Trop souvent, les choix d’orientation initiale reproduisent les inégalités : manque d’information dans certains lycées, autocensure de jeunes, etc. Pour y remédier, le service public de l’orientation doit être profondément réinventé. Il faut intervenir plus tôt, dès le lycée voire même dès le collège, pour guider chaque élève de manière personnalisée en fonction de ses aptitudes et de ses aspirations. Des conseillers d’orientation formés et en nombre suffisant doivent aider à construire le projet d’études des lycéens. L’orientation ne doit plus être subie, mais devenir un processus choisi, éclairé et réversible : un étudiant mal orienté doit pouvoir se réorienter facilement l’année suivante, sans perdre son élan.
Parallèlement, il convient de redéfinir la notion de « réussite » : celle-ci ne saurait se limiter à l’obtention rapide d’un diplôme prestigieux. La réussite doit désormais embrasser la pluralité des parcours et des rythmes d’études, en reconnaissant la valeur de chaque trajectoire, qu’elle vise l’insertion professionnelle, l’engagement citoyen ou l’accomplissement intellectuel.
C’est pourquoi, le Parti socialiste doit proposer une série de propositions concrètes pour refonder le modèle universitaire : la création d’une première année de licence plus souple, avec tronc commun davantage pluridisciplinaire et ou les réorientations dès le premier semestre seraient facilitées ; la possibilité pour chaque étudiant de valider sa licence en 2, 3 ou 4 ans selon son rythme avec un contrat pédagogique et sans pénalisation ; la généralisation d’un tutorat assuré par des étudiants de niveau L3 ou master (et rémunéré) pour accompagner les nouveaux entrants. Par ailleurs, chaque cursus intègrerait la possibilité d’une année de césure valorisée dans le diplôme, pouvant être assortie d’une bourse pour soutenir le projet de l’étudiant ; de nouveaux masters passerelles à temps partiel faciliteraient la reconversion professionnelle ou la reprise d’études des actifs ; l’intégration d’une ouverture internationale renforcée dans les cursus ; et une plus grande modularité des formations de master offrirait davantage de souplesse d’apprentissage.
La refonte de l’ESR oblige également à traiter de la dualité persistante entre universités et grandes écoles – alimentée par le système des classes préparatoires. Ce système a engendré un modèle d’enseignement supérieur trop souvent élitiste et cloisonné avec une diversité sociale très faible. Ce schéma historique entretient des inégalités d’accès et de réussite qu’il est urgent de corriger. Il nous faut repenser en profondeur le modèle universitaire français pour le rendre plus unifié, équitable et démocratique, en intégrant pleinement les filières aujourd’hui sélectives au sein du service public de l’enseignement supérieur.
► Régulation de l’enseignement supérieur privé
Un autre facteur d’inégalité tient à l’essor de l’enseignement supérieur privé lucratif, souvent hors de portée des moins aisés. La saturation du service public a ouvert la voie au développement rapide d’établissements privés : ceux-ci accueillent désormais près d’un quart des étudiants en France. Une enquête de Claire Marchal (Le Cube, Flammarion 2025) récente a mis en lumière des pratiques préoccupantes au sein de plusieurs de ces groupes privés (notamment à but lucratif).
La régulation de l’enseignement supérieur privé suppose à court terme la mise en place d’une réglementation ferme et d’un code de déontologie obligatoire afin de protéger les étudiants contre une publicité créant l’illusion en matière de qualité de la formation, de fiabilité scientifique des intervenants et des perspectives d’insertion professionnelle. Ce cadre devra également préciser les règles en matière de droits d’inscription, de reconnaissance des diplômes, de structuration juridique et de gestion financière. L’ensemble de ces établissements devra être soumis à une évaluation rigoureuse par une autorité publique indépendante, afin d’éviter toute concurrence déloyale avec le service public.
► Soutien accrue à la vie étudiante
La démocratisation passe aussi par un soutien accru à la vie étudiante, afin de lever les obstacles matériels à la poursuite d’études. Parmi les mesures concrètes envisageables figurent :
- Construire des logements étudiants publics (résidences CROUS) en nombre suffisant sur tous les territoires avec des dispositifs innovants pour les étudiants pouvant parfois être en stage long loin de leur lieu d’études (ex : étudiants en soins infirmiers, en alternance).
- Généraliser le repas à 1 € dans les restaurants universitaires pour tous les étudiants, sans condition de ressources. Cette mesure sociale, portée par les socialistes est déjà amorcée, elle allégerait significativement le budget alimentation des plus précaires et implique un renforcement structurel et financier des CROUS.
- Revaloriser et élargir les bourses étudiantes, et étudier la création d’une allocation d’autonomie pour les jeunes. Il s’agit d’aider financièrement les étudiants sans soutien familial, en augmentant les montants des bourses et le nombre de bénéficiaires, voire en instaurant une aide universelle à l’autonomie des 18–25 ans, source d’émancipation tant financière que familiale. Cette réflexion implique nécessairement un chantier en matière de justice fiscale pour construire son financement. Il s’agit ici de placer la jeunesse au cœur du projet de société, et, en permettant à chacun de poursuivre des études, d’augmenter le niveau de qualification global de la population.
II - L’ESR comme levier pour faire face aux défis contemporains
La France dispose d’atouts scientifiques majeurs, mais ils doivent être consolidés. Elle consacre environ 58,9 milliards d’euros par an à la recherche (publique et privée), soit 2,19 % du PIB. Face à la montée en puissance d’autres nations, y compris émergentes, la France doit faire de la recherche une priorité réelle, et non simplement déclarative.
La crise climatique illustre le rôle irremplaçable de la science : sa compréhension repose sur des travaux pluridisciplinaires (climatologie, physique, sociologie, etc.), et les réponses exigent à la fois innovations technologiques et évolution des comportements. Sans investissement soutenu, nous perdrons la bataille pour une économie décarbonée. La transition écologique doit donc être au cœur de l’ESR : projets d’intérêt général en master, réorientation des formations vers les métiers de la bifurcation écologique, droit d’alerte environnementale pour les étudiants, et généralisation des budgets verts dans les établissements.
Dans le champ de l’intelligence artificielle, la compétition mondiale est intense. Si l’Europe et la France ne forment pas suffisamment et n’encouragent pas la recherche fondamentale en IA, elles deviendront dépendantes des puissances étrangères. Les enjeux ne sont pas seulement économiques : respect de la vie privée, transparence des algorithmes, biais décisionnels. Il est donc crucial de soutenir une recherche éthique forte et d’instaurer des régulations internationales ambitieuses. Le Parti socialiste soutient la mise en œuvre d’une gouvernance mondiale de l’IA, fondée sur des instruments comme le AI Act européen, pour garantir les droits fondamentaux.
Le monde du travail évolue rapidement avec la mondialisation et les transformations technologiques. L’université doit former des diplômés capables de s’adapter à ces mutations, sans devenir une simple fabrique à main-d’œuvre. Face à un marché de l’emploi polarisé et mouvant, l’ESR doit proposer des cursus plus modulaires, interdisciplinaires et connectés aux réalités sociales, tout en préservant les savoirs critiques. Il ne faut pas opposer culture générale et professionnalisation : l’université peut former à la fois des citoyens éclairés et des professionnels compétents.
Par ailleurs, l’enseignement supérieur du futur devra s’ouvrir pleinement à la formation continue. Dans un monde où les carrières ne sont plus linéaires, beaucoup d’actifs ressentent le besoin de se former à nouveau en cours de vie professionnelle (pour changer de domaine, monter en compétences, ou simplement suivre le rythme des évolutions techniques). Les universités doivent devenir de véritables centres de ressources tout au long de la vie, en proposant des diplômes modulaires accessibles aux adultes, des certifications, des cours du soir ou en ligne pour les salariés, etc.
Nos valeurs républicaines doivent irriguer cette vision de l’ESR. Il faut investir davantage, mais aussi autrement : soutenir les projets au service du bien commun, encourager la science ouverte, coopérer à l’international sur la base d’une éthique forte. La France peut aussi agir par sa diplomatie scientifique, en accueillant les chercheurs menacés par les régimes autoritaires, et ainsi affirmer son rôle de terre d’asile intellectuelle.
Conclusion
Nous, socialistes, pouvons impulser une nouvelle ambition pour l’enseignement supérieur, et pour la recherche. Redonnons du sens et des moyens au service public de l’enseignement supérieur et de la recherche. En mobilisant la communauté universitaire, les pouvoirs publics et l’ensemble des citoyens autour de cet idéal, la France peut construire un ESR d’exception, véritable moteur de son développement économique, social et culturel pour les décennies à venir.
Contributeurs :
Alexane Riou – Secrétaire nationale adjointe à l’ESR (75), Gulsen Yildirim – Secrétaire Nationale à l’ESR, 1ère Fédérale et Conseillère départementale de la Haute-Vienne (87)
Laurent Beauvais (61), Michel Bessière (24), Louis Bichebois-Delhief (89), Pauline Collet (31), Gwenaël Cuny (75) Thomas Fagart (92), Gabriel Galvez-Behar (59), Feriel Goulamhoussen (93), Jéremy Henriot (59), Arnaud Hillion (82), Mirina Mammeri (75), Sébastien Maron (75), Bruno Peran (31), Marine Ribals (76), Maxime Rodrigues (87), Pierre Rouillard (92), Camille Salinesi (93), Emmanuel Thomé (54), et les membres de la commission nationale enseignement supérieur et recherche du Parti Socialiste.